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déprime

Il y a toutes sortes de manières de sombrer dans l'ennui.

L'ennui est en effet un objet labile et pourtant profond, une catégorie de la vie affective qui, comme le montrent les historiens des sensibilités, semble accompagner l'historicité des expériences humaines : l'acédie médiévale, le spleen romantique, l’" embêtement " fin XIXe ; l'ennui à l'école, l'ennui provincial, l’ennui conjugal, l'ennui à l'usine, l'ennui au bureau ; l'ennui massif de la dépression, l'ennui léger, nuageux de l'enfant en mal d'escapades, l'ennui métaphysique de l'être humain sachant qu'il n'est que poussière, l'ennui historique diagnostiqué par Stendhal dans la France de la monarchie de Juillet... Selon cette dernière perspective, l'ennui, c'est l'exil de l'action.

Auteur: Loyer Emmanuelle

Info: L'impitoyable aujourd'hui

[ monotonie ] [ désenchantement ]

 

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Ajouté à la BD par miguel

art d'écrire

Pourquoi cette " soudaine nécessité de la nuit ", selon la lumineuse expression d'Annie Le Brun ? Pourquoi ces châteaux décatis, emphatiquement médiévaux, avec leurs douves, leurs geôles et leurs revenants ?

Du Château d'Otrante d'Horace Walpole (1764) à Frankenstein de Mary Shelley (1818) en passant par Le Moine de Matthew Lewis (1796), le genre noir déferle, parti des frimas britanniques, pour envelopper de son mauvais goût, de son kitsch et de ses naïvetés aussi bien l'époque des Lumières que celle de la Révolution.

Il continue à phosphorer loin dans le XIXe siècle, contaminant une partie de la littérature anglaise et française, les sœurs Brontë, Young, Chateaubriand, Hugo, Lautréamont et d'autres, jusqu'à la sensibilité fantastique d'Edgar Poe.

Pour le surréalisme tout juste sorti de la grande boucherie de la Première Guerre mondiale et confronté à un monde endeuillé, le roman noir est encore une ressource éthique et poétique - comme le prouve son appropriation passionnée. Cet acquiescement à la nuit fait figure de manifeste politique : noir, c'est noir !

Il prélude à une extraordinaire et énigmatique reviviscence du genre au cinéma à la fin du XXe siècle : films de spectres, films d'horreur dans ses différentes déclinaisons, giallo, zombies, etc., font de nous les contemporains de ce lieu mental, éloigné mais toutefois familier, des châteaux gothiques.

Auteur: Loyer Emmanuelle

Info: L'impitoyable aujourd'hui

[ belles-lettres ] [ terreur ] [ question ]

 

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Ajouté à la BD par miguel

canaillerie

C’est une catégorie un petit peu commode l' "absurde", depuis quelque temps. Tellement commode que lui vient - comme vous savez, les morts sont respectables, mais tout de même nous ne pouvons pas ne pas noter la complaisance qu’a apporté à je ne sais quels balbutiements sur ce thème, le prix NOBEL [Albert Camus] - cette merveilleuse récompense universelle de cette knaverie dont sans aucun doute l’histoire prouvera le palmarès de ce qui peut bien être dit de stigmates d’une certaine abjection dans notre culture.

Auteur: Lacan Jacques

Info: 30 mars 1960

[ catégorie littéraire ] [ philosophie ] [ conformisme ] [ critique ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

écrivain

On peut admettre que dans aucune littérature d’aucun temps il y eut un ouvrage aussi scandaleux, que nul autre n’a blessé plus profondément les sentiments et les pensées des hommes. Aujourd’hui que les récits de MILLER nous font trembler, qui oserait rivaliser de licence avec SADE ? Oui, on peut prétendre que nous tenons là l’œuvre la plus scandaleuse qui fut jamais écrite. Et Maurice BLANCHOT que je vous cite, continue : "N’est-ce pas un motif de nous en préoccuper ?"

[…] En fait, il semble qu’il n’y ait pas d’atrocité concevable qui ne puisse être trouvée dans ce catalogue où semblait puiser une sorte de défi à la sensibilité dont l’effet est à proprement parler stupéfiant.

Si le mot stupéfiant veut dire qu’en quelque sorte on abandonne la ligne du sens à l’auteur, qu’on perd les pédales autrement dit, et qu’à ce point de vue on peut même dire que l’effet dont il s’agit est obtenu sans art, c’est-à-dire sans considération de l’économie des moyens, par une sorte d’accumulation des détails, des péripéties auxquelles s’ajoute apparemment un truffage de dissertations, de justifications dont assurément les contradictions nous intéressent beaucoup car nous les suivrons dans le détail, et dont pour l’instant je veux seulement faire remarquer que seuls les esprits grossiers peuvent considérer - ce qui leur arrive - que ces dissertations sont là pour faire en quelque sorte passer des complaisances érotiques.

Même des gens beaucoup plus fins que des esprits grossiers en sont venus à attribuer à ces dissertations, dénommées digressions, la baisse, si l’on peut dire, de la tension suggestive sur le plan où pourtant les esprits fins en question - il s’agit là très précisément de Georges BATAILLE - sur le plan où ils considèrent l’œuvre comme nous donnant proprement l’accès à cette sorte d’assomption de l’être en tant que dérèglement où ils voient la valeur de l’œuvre de SADE.

Attribuer cette espèce d’intérêt à ces dissertations et digressions est pourtant une erreur. L’ennui dont il s’agit est quelque chose d’autre. Il n’est que la réponse de l’être précisément - que ce soit du lecteur ou de l’auteur peu importe - à l’approche d’un centre d’incandescence ou, si je puis dire, de zéro absolu en tant qu’il est psychiquement irrespirable.

Sans doute, que le livre tombe des mains prouve qu’il est mauvais. Mais ici le mauvais littéraire est peut-être le garant de cette mauvaiseté à proprement parler - pour employer un terme qui était encore en usage au XVIIème siècle - qui est l’objet même de notre recherche.

Dès lors SADE se présente dans l’ordre de ce que j’appellerai la littérature expérimentale. À savoir l’œuvre d’art en tant qu’elle est elle–même expérience, et une expérience qui n’est pas n’importe laquelle, une expérience, dirais-je, qui arrache le sujet comme tel, et par son procès, à ce que je pourrais appeler ses amarres psychosociales, et pour ne pas rester dans le vague, je veux dire, à toute appréciation psychosociale de la sublimation dont il s’agit.

Auteur: Lacan Jacques

Info: 30 mars 1960

[ œuvre ] [ critique ] [ das ding ] [ impossible ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

charité triomphaliste

La résistance devant le commandement : "Tu aimeras ton prochain comme toi-même" et la résistance qui s’exerce pour entraver son accès à la jouissance, sont une seule et même chose. Ceci peut paraître, ainsi énoncé, un paradoxe de plus, une gratuite affirmation. N’y reconnaissez-vous pas, pourtant, ce à quoi nous nous référons de la façon la plus commune chaque fois qu’en effet nous voyons le sujet reculer devant sa jouissance ?

De quoi faisons-nous état ? Mais de l’agressivité inconsciente qu’elle contient, de ce noyau redoutable, de cette destrudo qui, quelles que soient à cet égard les petites manières, les chipotages des mijaurées analytiques, n’en est pas moins pourtant ce à quoi nous nous trouvons constamment affronté dans notre expérience. Et ceci, qu’on l’entérine ou non, au nom de je ne sais quelle idée préconçue de la nature, n’en reste pas moins la fibre, la trame même de tout ce que FREUD a enseigné.

Et nommément ceci : que c’est pour autant que cette agressivité, le sujet la tourne et la retourne contre lui, qu’en provient ce qu’on appelle l’énergie du surmoi. FREUD prend soin d’ajouter cette touche supplémentaire : qu’une fois entré dans cette voie, amorcé ce processus, il n’y a, semble-t-il, littéralement pas de limite, à savoir qu’il engendre un effet, une agression toujours plus lourde du moi.

Il l’engendre, si l’on peut dire, à la limite, à savoir très proprement pour autant que vient à manquer cette médiation qui est celle justement de la Loi. De la Loi, pour autant qu’elle proviendrait d’ailleurs, mais de cet ailleurs aussi, où vient à faire défaut pour nous son répondant, celui qui la garantit, à savoir Dieu lui-même. Ce n’est donc pas là une proposition originale que je vous fais en vous disant que le recul devant le "Tu aimeras ton prochain comme toi-même" est la même chose que la barrière devant la jouissance.

[…] Je recule à aimer mon prochain comme moi-même, pour autant sans doute qu’à cet horizon il y a quelque chose qui participe de je ne sais quelle intolérable cruauté.

Dans la même direction, aimer mon prochain peut être la voie la plus cruelle.

Auteur: Lacan Jacques

Info: 30 mars 1960

[ ignorance ] [ risque ] [ pouvoir ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

écrivain

[...] un des auteurs les plus répugnants de notre époque [...].

Auteur: Lacan Jacques

Info: 30 mars 1960, à propos de Marcel Aymé

[ vacherie ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

théologie chrétienne

Il est vrai, nous ne pouvons pas savoir de Dieu ce qu’il est ; toutefois, dans notre doctrine, nous utilisons, au lieu d’une définition, pour traiter de ce qui se rapporte à Dieu, les effets que celui-ci produit dans l’ordre de la nature ou de la grâce. Comme on démontre en certaines sciences philosophiques des vérités relatives à une cause au moyen de son effet, en prenant l’effet au lieu de la définition de cette cause.

Auteur: Saint Thomas d'Aquin

Info: Somme théologique, I, q.1, a.7

[ méthode ] [ induction ] [ apophatique ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

théologie-philosophie

La science sacrée peut faire des emprunts aux sciences philosophiques, mais ce n’est pas qu’elles lui soient nécessaires, c’est uniquement en vue de mieux manifester ce qu’elle-même enseigne. Ses principes ne lui viennent en effet d’aucune autre science, mais de Dieu immédiatement, par révélation ; d’où il suit qu’elle n’emprunte point aux autres sciences comme si celle-ci lui étaient supérieures, mais au contraire qu’elle en use comme d’inférieures et de servantes […].

Auteur: Saint Thomas d'Aquin

Info: Somme théologique, I, q.1, a.5

[ subordination ] [ dépendance ] [ hiérarchie ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

femmes-par-femme

Nul sens du temps pour qui ne se confronte pas à sa propre finitude. Ce que comprennent presque toutes les femmes, y compris Simone de Beauvoir qui aurait tendance à se croire immortelle et finit pourtant par produire deux très beaux livres sur la mort de sa mère (Une mort très douce) et la mort de Sartre (La Cérémonie des adieux) - façon de régler les échéances d'une vie tout entière sous le signe de la dilatation heureuse de son " moi " de femme et d'autrice. Même elle, surtout elle, selon Mona Ozouf, sait tracer la " ligne de vieillesse " qui départage la litanie des " premières fois " - son insatiable gourmandise des experiences de la vie - et celle des " jamais plus ".

Apprivoiser le temps, c'est la tâche de toute une vie au cours de laquelle la vieillesse survient parfois par surprise comme un adjuvant ; la lecture, dans la manière si particulière qu'elle a de distiller l'arôme de la vie, est un autre alambic de l’art du temps. Les femmes sont ici chez elles, même si les hommes vieillissent eux aussi et si certains sont de vaillants lecteurs...

Auteur: Loyer Emmanuelle

Info: L'impitoyable aujourd'hui

[ chronos ]

 

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Ajouté à la BD par Le sous-projectionniste

théologie chrétienne

Rien n’empêche qu’une connaissance plus certaine selon sa nature soit en même temps moins certaine pour nous ; cela tient à la faiblesse de notre esprit, qui se trouve, dit Aristote, "devant les plus hautes évidences des choses, comme l’œil du hibou en face de la lumière du soleil". Le doute qui peut surgir à l’égard des articles de foi ne doit donc pas être attribué à une incertitude des choses mêmes, mais à la faiblesse de l’intelligence humaine.

Auteur: Saint Thomas d'Aquin

Info: Somme théologique, I, q.1, a.5

[ compréhension ] [ scepticisme ] [ doctrine sacrée ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson