[à propos de la résurrection du fils de la veuve de Naïm, évangile selon Saint Luc, 7, 11-16]
D’une voix naturelle, sur le ton d’un homme qui parle sans éclat, Jésus s’adresse au gisant : "Jeune homme, je te l’ordonne, lève-toi". Aussitôt, le mort s’asseoit, surpris de tout cet appareil, de ces gens qui l’entourent, de cette boîte dans laquelle il est assis. Il regarde autour de lui, étonné. Il voit sa mère, dans une expression telle qu’elle lui révèle un visage jusqu’alors inconnu de lui.
Et qui donc est cet homme près de lui, qui vient de l’éveiller d’un monde d’où il revient – sans savoir que le rien dont il sort s’appelait la mort ?
Alors que, dans la maladie, il se sentait un enfant qui avait oublié son âge, dans le halo de fièvre qui embuait sa conscience, voilà que c’est jeune homme qu’il s’éveille, par l’effet surgissant qu’une voix d’homme intime à son cœur.
[…] L’homme est là. L’adolescent est par lui fasciné. Les yeux fixés dans le regard de Jésus qui parle à son âme, il entend qu’il est délivré une seconde fois, coupé pour toujours de la dépendance magique qui le retenait à sa mère, à la mort.
Une voix d’homme l’appelle et ordonne en son larynx et en ses génitoires la mue de l’adolescence. Son désir est délivré de l’attraction fatale à suivre la voie que lui avait dictée, en désertant son foyer, son père mort trop tôt.
Sa virilité de fils rendue à sa puissance lui revient, à cet orphelin depuis l’enfance, pour qui sa mère était devenue sa compagne, conjointement orpheline. Son option d’adolescent appelé à la vie chante des promesses d’amour.
L’ordre du désir, rendu à la vie symbolique, a passé sur le groupe.
"Jeune homme, je te l’ordonne, lève-toi", dit Jésus. L’adolescent fait signe aux porteurs – c’est lui qui fait signe aux porteurs ! – qui posent à terre le cercueil. Et le jeune homme, en sa pleine stature, laisse rayonner le sourire joyeux qui s’était éteint aux lèvres du petit garçon malade, qui dévivait jusqu’à en mourir.
[…] Jésus a tracé le point de non-retour aux fantasmes conjugués de la mère et de son enfant, attribut d’elle. Ce fils était devenu pervers par son désir voué au faire-plaisir à la femme qui l’a engendré ; désir qui, peut-être, soutient d’ailleurs l’idée qu’on lui donne de son devoir.
Le devoir de cet enfant n’était-il pas, aux yeux de la foule, de se vouer à sa mère, pour son utilité à elle ? Il avait à être son bâton de vieillesse.
C’est à sa liberté d’homme que cette voix mâle, lucide, calme et ferme l’a éveillé. Jésus éveille dans l’enfant d’un père mort le futur homme, et avec l’homme il l’éveille à sa descendance, à son destin fécond. Dans la mort il l’arrache à l’appel qu’il entendait de son père. Ce père dont la voix avait résonné à ses oreilles dans sa jeune enfance était son moi idéal. Par la mort, en quittant sa mère, c’est son père qu’il allait retrouver.
[…] Oui, l’absence de son père entre lui et sa mère avait pétrifié d’impuissance son désir. Cet enfant unique face à sa mère abandonnée ne pouvait, guidé et entouré que par elle, conquérir son destin fécondateur, géniteur, car sans le savoir, elle lui barrait les avenues de son destin.
En effet, ce fils devait panser sa douleur, combler en son cœur le vide laissé par son époux, pallier le manque de tendresse que cette femme n’attendait plus d’aucun homme. Il allégeait sa détresse de femme en se vouant à elle, dont le désir génital refoulé interdisait au jeune garçon les joies et projets de son âge. Le climat confiné de ce couple fils-mère était devenu morbide et leur désir à tous deux, à leur insu, régressivement incestueux.