Émergence et réutilisation : du vivant à la société
L'histoire du vivant est celle d'une complexité qui s'invente par liens, par paliers de transduction , où chaque nouveau degré d'organisation n'annule ni ne dissout les mécanismes antérieurs : il les assimile, les métamorphose, les fait dialoguer avec des innovations lieux d'ailleurs. Qu'on pense à l'endosymbiose — la cellule eucaryote née de l'alliance improbable de plusieurs micro-organismes, conservant en elle la mémoire de ces origines multiples — ou à l'institution des holobiontes , agencements intimes entre un organisme et ses microbiotes, réticulés comme des mondes enchevêtrés.
Ces moments-charnières, où le neuf n'écarte jamais tout à fait l'ancien mais le refaçonne, sont aussi la scène sur laquelle des processus — tels que le quorum sensing — réapparaissent, parfois dans des contextes insoupçonnés. Or, rien ne nous interdit, a priori, de songer qu'une logique similaire puisse opérer au sein des sociétés humaines , tant la dynamique du collectif, de l'information, et des seuils critiques de mobilisation semblent parfois répondre à une toile familiale.
Exemples et cas d'étude : paliers transducteurs et coordination collective humaine
- L'apparition des États-nations
Après des millénaires d'organisation tribale, l'effervescence médiévale, puis la consolidation territoriale et administrative, les sociétés humaines ont donné naissance aux États-nations. Ici, des mécanismes antérieurs — solidarité clanique, rites tribaux, échanges locaux — subsistants, tout en s'enchâssant dans de nouvelles entités, nationales, structurées par le droit, la bureaucratie et la conscience d'un destin commun. Ce palier est franchi lorsqu'une «masse critique» de conscience collective et d'identification se forme, aboutissant à l'émergence d'une solidarité nouvelle, typique du quorum sensing social : le basculement vers l'identité nationale.
- Internet et les mouvements planétaires
L'irruption du numérique constitue un palier transducteur de notre époque. Les réseaux sociaux et l'hyper-connexion bouleversent les pratiques d'interaction et de mobilisation. Les phénomènes viraux — comme Me Too, Black Lives Matter, ou la mobilisation climatique incarnée par Fridays For Future — illustrent ces seuils : une opinion, minoritaire ou diffuse, circule, grandit par effet d'écho, puis franchit un point de bascule où l'action collective se déclenche, parfois à l'échelle mondiale. Le processus rappelle étrangement le fonctionnement du quorum sensing, transposé à la société : l'information jaillit, se propage, atteint un seuil, et tout le groupe s'en trouve transformé.
- Crises globales et " quorum sensing " planétaire
Pensons à la gestion du COVID-19 : chaque nation, initialement, oscille entre réactions individuelles et attentes dubitatives. Progressivement, la diffusion des données, des récits, des modélisations fait émerger dans l'opinion publique mondiale un sentiment d'urgence partagé : dès qu'un seuil d'informations et d'émotions collectivement ressenties est atteint, les sociétés mettent en œuvre des comportements coordonnés à grande échelle (confinements, campagnes vaccinales, solidarité internationale). Le mécanisme est celui d'un quorum sensing où la circulation du signal — ici, l'information et l'agir — détermine le saut collectif.
- Logiques invisibles, résilience et auto-stabilisation dans les collectivités
Les collectivités humaines ne sont pas de simples assemblées rationnelles ou morales : ce sont des arènes où s'affrontent des logiques souvent invisibles. Leur survie ne dépend pas tant de la force ou de la vertu individuelle, mais de leur aptitude à générer des règles auto-stabilisatrices, capables d'intégrer des dynamiques conflictuelles et parasitaires. Par exemple, les démocraties perdurent non parce qu'elles sont intrinsèquement " meilleures ", mais parce qu'elles intègrent des contre-pouvoirs lucides et réforment continuellement leurs institutions pour s'adapter.
De même, les marchés régulés évitent les " crashs " non en éliminant les acteurs égoïstes, mais en rendant leur parasitisme trop coûteux, transformant ainsi les profiteurs, malgré eux, en promoteurs d'équilibres. Ce ne sont plus la force ou la vertu individuelle qui domine, mais la capacité collective à créer des boucles de rétroaction où chacune des stratégies sociales — coopératives ou opportunistes — ajuste son comportement en fonction de sa fréquence dans la population.
À certains niveaux et à diverses échelles, les mécanismes sociaux rappellent alors le quorum sensing : une stratégie parasite ne peut dominer que si elle dépasse un seuil critique, au-delà duquel la coopération s'effondre. Les groupes, telle une communauté microbienne, stabilisent ou rejettent ces comportements selon leur densité. Les " signaux chimiques " humains sont alors incarnés par des normes implicites, des règles informelles ou des seuils de tolérance qui déclenchent des basculements ou des régulations collectives.
- Vers une vision intégrée du vivant et de la société
Les sociétés humaines, à l'image du vivant qui les a engendrées, évoluent par paliers où s'entrelacent héritages anciens et nouveautés porteuses de sens. Ces transitions — incarnées notamment par des mécanismes comme le quorum sensing, c'est-à-dire la coordination par seuils critiques — donnent forme aux architectures complexes des mondes sociaux. L'information devient souffle, la conscience collective une exhalaison, et là où les voix paraissaient isolées s'élèvent parfois une symphonie d'actions coordonnées, preuve éclatante de la puissance créatrice des transitions collectives.
Et donc, en très bref : a) Comme les bactéries, les stratégies sociales ajustent leur comportement en fonction de la fréquence des autres stratégies dans la "population". b) Une stratégie parasite domine jusqu'à ce qu'elle dépasse un certain % seuil critique (ex. : trop de "tricheurs" => effondrement de la coopération). c) Les groupes stabilisent ou rejettent les stratégies selon leur densité, comme un biofilm régule ses membres via des boucles de rétroaction.
Conclusion possible
En croyant nous affranchir de la biologie (par la tech, les institutions abstraites), nous risquons d’oublier que nos sociétés restent régies par ces lois profondes — seuils critiques, parasitismes, équilibres fragiles. Le vivant, lui, n’oublie jamais ses racines ; l’humanité, si. Et c’est en rompant ce dialogue avec nos propres fondations que nous multiplions les crises (climat, inégalités, effondrements sociaux).
Ainsi nos architectures politiques et économiques gagneraient à s’inspirer ouvertement de l’intelligence biomimétique — au lieu de la nier. Car un arbre ne survit pas en reniant ses racines.
Années: 1958 - 20??
Epoque – Courant religieux: Récent et Libéralisme économique
Sexe: H
Profession et précisions: musicien, compilateur, sémioticien, directeur, guitariste, compositeur-chercheur, entrepreneur, astacologue, écrivain, imprimeur-éditeur-producteur, linguiste, père de famille, chansonnier, politicien très local, brocanteur, bûcheron, agent-couchettes...
Continent – Pays: Europe - Suisse