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soutien symbolique

Pourquoi, par exemple, un paysan en train de semer n'aurait-il pas présentes au fond de sa pensée, sans paroles même intérieures, d'une part quelques comparaisons du Christ : "Si le grain ne meurt... ", "La semence est la parole de Dieu...", "Le grain de sénevé est la plus petite des graines...", d'autre part le double mécanisme de la croissance : celui par lequel la graine, en se consommant elle-même et avec l'aide des bactéries, arrive à la surface du sol ; celui par lequel l'énergie solaire descend dans la lumière, et, captée par le vert de la tige, remonte dans un mouvement ascendant irrésistible. L'analogie qui fait des mécanismes d'ici-bas un miroir des mécanismes surnaturels, si l'on peut employer cette expression, devient alors éclatante, et la fatigue du travail, selon le mot populaire, la fait entrer dans le corps. La peine toujours plus ou moins liée à l'effort du travail devient la douleur qui fait pénétrer au centre même de l'être humain la beauté du monde.

Auteur: Weil Simone

Info: L'enracinement, Editions Gallimard, 1949, page 123

[ déplacement subjectif ] [ réconfort ] [ esthétique ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

scolarité

Il est certain que la neutralité est un mensonge. Le système laïque n’est pas neutre, il communique aux enfants une philosophie qui est d’une part très supérieure à la religion genre Saint-Sulpice, d’autre part très inférieure au christianisme authentique. Mais celui-ci, aujourd’hui, est très rare. Beaucoup d’instituteurs portent à cette philosophie un attachement d’une ferveur religieuse.

La liberté de l’enseignement n’est pas une solution. Le mot est vide de sens. La formation spirituelle d’un enfant n’appartient à personne ; ni à l’enfant, puisqu’il n’est pas en mesure d’en disposer ; ni aux parents ; ni à l’État. Le droit des familles invoqué si souvent n’est qu’une machine de guerre. Un prêtre qui, ayant une occasion naturelle de le faire, s’abstiendrait de parler du Christ à un enfant de famille non chrétienne serait un prêtre qui n’aurait guère de foi. Maintenir l’école laïque, telle quelle, et permettre ou même favoriser, à côté, la concurrence de l’école confessionnelle est une absurdité du point de vue théorique et du point de vue pratique. Les écoles privées, confessionnelles ou non, doivent être autorisées, non pas en vertu d’un principe de liberté, mais pour un motif d’utilité publique dans chaque cas particulier où l’école est bonne, et sous réserve d’un contrôle.

Accorder au clergé une part dans l’enseignement public n’est pas une solution. Si c’était possible, ce ne serait pas désirable, et ce n’est pas possible en France sans guerre civile.

Donner ordre aux instituteurs de parler de Dieu aux enfants, comme l’a fait quelques mois le gouvernement de Vichy, sur l’initiative de M. Chevalier, est une plaisanterie de très mauvais goût.

Conserver à la philosophie laïque son statut officiel serait une mesure arbitraire, injuste en ce qu’elle ne répond pas à l’échelle des valeurs, et qui nous précipiterait tout droit dans le totalitarisme. Car, bien que la laïcité ait excité un certain degré de ferveur presque religieuse, c’est par la nature des choses un degré faible ; et nous vivons dans une époque d’enthousiasmes chauffés à blanc. Le courant idolâtre du totalitarisme ne peut trouver d’obstacle que dans une vie spirituelle authentique. Si l’on habitue les enfants à ne pas penser à Dieu, ils deviendront fascistes ou communistes par besoin de se donner à quelque chose.

On voit plus clairement ce que la justice exige en ce domaine quand on a remplacé la notion de droit par celle d’obligation liée au besoin. Une âme jeune qui s’éveille à la pensée a besoin du trésor amassé par l’espèce humaine au cours des siècles. On fait tort à un enfant quand on l’élève dans un christianisme étroit qui l’empêche de jamais devenir capable de s’apercevoir qu’il y a des trésors d’or pur dans les civilisations non chrétiennes. L’éducation laïque fait aux enfants un tort plus grand. Elle dissimule ces trésors, et ceux du christianisme en plus.

La seule attitude à la fois légitime et pratiquement possible que puisse avoir, en France, l’enseignement public à l’égard du christianisme consiste à le regarder comme un trésor de la pensée humaine parmi tant d’autres. Il est absurde au plus haut point qu’un bachelier français ait pris connaissance de poèmes du Moyen Âge, de Polyeucte, d’Athalie, de Phèdre, de Pascal, de Lamartine, de doctrines philosophiques imprégnées de christianisme comme celles de Descartes et de Kant, de la Divine Comédie ou du Paradise Lost, et qu’il n’ait jamais ouvert la Bible.

Il n’y aurait qu’à dire aux futurs instituteurs et aux futurs professeurs : la religion a eu de tout temps et en tout pays, sauf tout récemment en quelques endroits de l’Europe, un rôle dominant dans le développement de la culture, de la pensée, de la civilisation humaine. Une instruction dans laquelle il n’est jamais question de religion est une absurdité. D’autre part, de même qu’en histoire on parle beaucoup de la France aux petits Français, il est naturel qu’étant en Europe, si l’on parle de religion, il s’agisse avant tout du christianisme.

En conséquence, il faudrait inclure dans l’enseignement de tous les degrés, pour les enfants déjà un peu grands, des cours qu’on pourrait étiqueter, par exemple, histoire religieuse. On ferait lire aux enfants des passages de l’Écriture, et par-dessus tout l’Évangile. On commenterait dans l’esprit même du texte, comme il faut toujours faire.

Auteur: Weil Simone

Info: L'enracinement, Editions Gallimard, 1949, pages 118 à 120

[ religieux ] [ compromis ] [ distanciation ] [ sécularisation ] [ transmission ] [ naturalisme ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

urbain-rural

La division entre paysans et ouvriers, en France, date de loin. Il y a une complainte de la fin du XIVe siècle où les paysans énumèrent, avec un accent déchirant, les cruautés que leur font subir toutes les classes de la société, y compris les artisans. 

Dans l’histoire des mouvements populaires en France, il n’est guère arrivé, sauf erreur, que paysans et ouvriers se soient trouvés ensemble. Même en 1789, il s’agissait peut-être davantage d’une coïncidence que d’autre chose.

Au XIVe siècle, les paysans étaient de très loin les plus malheureux. Mais même quand ils sont matériellement plus heureux – et quand c'est le cas, ils ne s'en rendent guère compte, parce que les ouvriers qui viennent passer au village quelques jours de vacances succombent à la tentation des vantardises – ils sont toujours tourmentés par le sentiment que tout se passe dans les villes, et qu'ils sont "out of it".

Bien entendu, cet état d'esprit est aggravé par l'installation dans les villages de T. S. F., de cinémas, et par la circulation de journaux tels que Confidences et Marie-Claire, auprès desquels la cocaïne est un produit sans danger. 

Auteur: Weil Simone

Info: L'enracinement, Editions Gallimard, 1949, pages 105-106

[ envie ] [ convoitise ] [ séparation ] [ monde agricole ] [ martyrs ] [ historique ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

réforme ouvrière

Pour les salaires, il faudrait surtout éviter, d'abord, bien entendu, qu'ils soient bas au point de jeter dans la misère – mais ce ne serait guère à craindre dans de pareilles conditions – puis qu'ils occupent l'esprit et empêchent l'attachement de l'ouvrier à l'entreprise.

Les organismes corporatifs, d'arbitrage, etc., devraient être conçus uniquement à cet effet – fonctionner de manière que chaque ouvrier pense rarement aux questions d'argent.

La profession de chef d’entreprise devrait, comme celle de médecin, être au nombre de celles que l’État, dans l’intérêt public, autorise à exercer seulement sous la condition de certaines garanties. Les garanties devraient avoir rapport non seulement à la capacité, mais à l’élévation morale.

Les capitaux engagés seraient bien plus réduits que maintenant. Un système de crédit pourrait facilement permettre à un jeune homme pauvre qui a la capacité et la vocation d’être chef d’entreprise de le devenir.

L’entreprise pourrait ainsi redevenir individuelle. Quant aux sociétés anonymes, il n’y aurait peut-être pas d’inconvénient, en ménageant un système de transition, à les abolir et à les déclarer interdites.

Bien entendu, la variété des entreprises exigerait l’étude de modalités très variées. Le plan esquissé ici ne peut apparaître que comme terme de longs efforts au nombre desquels des efforts d’invention technique seraient indispensables.

En tout cas, un tel mode de vie sociale ne serait ni capitaliste ni socialiste.

Il abolirait la condition prolétarienne, au lieu que ce qu’on nomme socialisme a tendance, en fait, à y précipiter tous les hommes.

Il aurait pour orientation, non pas, selon la formule qui tend aujourd’hui à devenir à la mode, l’intérêt du consommateur — cet intérêt ne peut être que grossièrement matériel —, mais la dignité de l’homme dans le travail, ce qui est une valeur spirituelle.

L’inconvénient d’une telle conception sociale, c’est qu’elle n’a aucune chance de sortir du domaine des mots sans un certain nombre d’hommes libres qui auraient au fond du cœur une volonté brûlante et inébranlable de l’en faire sortir. Il n’est pas sûr qu’ils puissent être trouvés ou suscités.

Pourtant, hors de là, il semble bien qu’il n’y a de choix qu’entre des formes différentes et presque également atroces de malheur.

Bien qu’une telle conception soit d’une réalisation longue, la reconstruction d’après-guerre devrait avoir immédiatement pour règle la dispersion du travail industriel. 

Auteur: Weil Simone

Info: L'enracinement, Editions Gallimard, 1949, pages 102 à 104

[ organisation de la vie professionnelle ] [ entreprenariat ] [ utopique ] [ individuel-collectif ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

psychanalyse

Pour nous, la question du bien est, dès l’origine, dès l’abord, par notre expérience, articulée dans son rapport avec la Loi. Rien d’autre part, de plus tentant, que d’éluder sans réserve cette question du bien derrière je ne sais quelle implication d’un bien naturel, une harmonie à retrouver sur le chemin de l’élucidation du désir.

Et pourtant, ce que notre expérience de chaque jour nous manifeste sous la forme de ce que nous appelons défenses du sujet, c’est bien très exactement en quoi les voies de la recherche du bien se présentent d’abord constamment, originellement, si je puis dire, à nous, sous la forme de quelque alibi du sujet sur les voies qu’il vous propose, à lui, les voies dont toute l’expérience analytique n’est que l’invite vers la révélation de son désir.

Auteur: Lacan Jacques

Info: Le séminaire, tome 7 : L'éthique de la psychanalyse. 11 mai 1960

[ masque ] [ dissimulation ] [ justification idéaliste ]

 
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Ajouté à la BD par miguel

physique fondamentale

Les physiciens commencent à comprendre comment les étoiles forment des atomes lourds

Au Facility for Rare Isotope Beams (FRIB), un laboratoire niché à l’Université d’État du Michigan, on tente de percer le secret de la genèse des éléments lourds, ceux qui dépassent le fer dans la table périodique. Si la naissance des éléments légers lors du Big Bang et leur transformation jusqu’au fer par fusion nucléaire dans le cœur des étoiles sont désormais bien comprises, le mystère demeure pour les éléments plus lourds comme le zinc, le plomb, le barium ou l’or.

Les trois voies de la création des éléments lourds

Au fil des décennies, les physiciens ont identifié trois grands processus astrophysiques à l’origine de ces éléments :

- Le processus lent (s-process) : Il se déroule dans les étoiles géantes rouges, où les noyaux atomiques capturent des neutrons à un rythme modéré, sur des milliers d’années, menant à la création d’éléments stables comme le barium. Ce mécanisme s’active dans les couches internes des étoiles en fin de vie, lors de phases d’intense mélange et de richesse en neutrons.

- Le processus rapide (r-process) : Ici, tout s’accélère. Dans des environnements extrêmes, tels que la collision de deux étoiles à neutrons, les noyaux capturent une multitude de neutrons en quelques secondes, forgeant des éléments précieux comme l’europium, l’or ou le platine. Ce processus, bien que théorisé depuis longtemps, n’a été que récemment confirmé par l’observation de signatures chimiques dans les débris de telles collisions.

- Le processus intermédiaire (i-process) : Longtemps resté hypothétique, ce mécanisme se situe entre les deux précédents. Il fut imaginé dans les années 1970 par John Cowan, mais ce n’est que récemment que les astrophysiciens ont commencé à en retrouver la trace dans certaines étoiles anciennes, dites " riches en carbone et pauvres en métaux ", dont la composition ne correspondait ni au s-process ni au r-process. Le i-process pourrait se produire dans des géantes rouges " ressuscitées " ou des naines blanches accrétant la matière de leur compagne stellaire.

L’expérimentation terrestre : FRIB à la pointe

Au FRIB, les chercheurs reproduisent ces conditions cosmiques. Ils accélèrent des noyaux à des vitesses vertigineuses, les font percuter des cibles, et observent la naissance d’isotopes rares, instables, identiques à ceux produits dans les étoiles. Grâce à des détecteurs sophistiqués, ils mesurent la capture de neutrons et la désintégration des noyaux, décryptant ainsi la chaîne des réactions nucléaires du i-process. Ce travail permet d’affiner les modèles théoriques et de comparer les abondances d’éléments simulées à celles observées dans les étoiles anciennes.

Vers la résolution d’un mystère cosmique

Les résultats obtenus au FRIB marquent une avancée majeure : les ratios d’éléments produits en laboratoire coïncident avec ceux relevés dans les étoiles énigmatiques du halo galactique. Il reste toutefois à déterminer précisément dans quels types d’astres le i-process se déroule : géantes rouges ou naines blanches ? Les prochaines années verront l’étude de nouveaux isotopes et le développement de modèles tridimensionnels plus précis pour trancher cette question.

Parallèlement, l’équipe du FRIB se prépare à s’attaquer au r-process, encore plus difficile à reproduire, mais essentiel pour comprendre l’origine des métaux précieux de notre univers.

Conclusion

Ce récit met en lumière la quête humaine pour retracer notre héritage cosmique, révélant comment, à travers l’alchimie des étoiles et la rigueur des laboratoires, nous déchiffrons peu à peu l’histoire secrète des atomes qui composent notre monde.



 



 



 

Auteur: Internet

Info: https://www.quantamagazine.org/physicists-start-to-pin-down-how-stars-forge-heavy-atoms-20250702/?mc_cid=16b1140aed&mc_eid=78bedba296, Jenna Ahart, 2 juillet 2025. Synthèse : perplexity.ai

[ matière primordiale ]

 

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Ajouté à la BD par miguel

réforme sociétale

Il est donc urgent d’examiner un plan de réenracinement ouvrier, dont voici, en résumé, une esquisse possible.

Les grandes usines seraient abolies. Une grande entreprise serait constituée par un atelier de montage relié à un grand nombre de petits ateliers, d’un ou de quelques ouvriers chacun, dispersés à travers la campagne. Ce seraient ces ouvriers, et non des spécialistes, qui iraient à tour de rôle, par périodes, travailler à l’atelier central de montage, et ces périodes devraient constituer des fêtes. Le travail n’y serait que d’une demi-journée, le reste devant être consacré aux liens de camaraderie, à l’épanouissement d’un patriotisme d’entreprise, à des conférences techniques pour faire saisir à chaque ouvrier la fonction exacte des pièces qu’il produit et les difficultés surmontées par le travail des autres, à des conférences géographiques pour leur apprendre où vont les produits qu’ils aident à fabriquer, quels êtres humains en font usage, dans quelle espèce de milieu, de vie quotidienne, d’atmosphère humaine ces produits tiennent une place, et quelle place. À cela s’ajouterait de la culture générale. Une université ouvrière serait voisine de chaque atelier central de montage. Elle aurait des liens étroits avec la direction de l’entreprise, mais n’en serait pas la propriété.

Les machines n’appartiendraient pas à l’entreprise. Elles appartiendraient aux minuscules ateliers dispersés partout, et ceux-ci à leur tour seraient soit individuellement, soit collectivement la propriété des ouvriers. Chaque ouvrier posséderait en plus une maison et un peu de terre.

Cette triple propriété — machine, maison et terre — lui serait conférée par un don de l’État, au moment du mariage, et à la condition qu’il ait accompli avec succès un essai technique difficile, accompagné d’une épreuve pour contrôler l’intelligence et la culture générale.

Le choix de la machine devrait répondre, d’une part aux goûts et connaissances de l’ouvrier, d’autre part aux besoins très généraux de la production. Ce doit être évidemment, le plus possible, une machine automatique réglable et à usages multiples.

Cette triple propriété ne pourrait être ni transmise par héritage, ni vendue, ni aliénée d’aucune manière. (La machine seule pourrait dans certains cas être échangée.) Celui qui en jouit n’aurait que la faculté d’y renoncer purement et simplement. En ce cas, il devrait lui être rendu non pas impossible, mais difficile d’en recevoir plus tard ailleurs l’équivalent.

Quand un ouvrier meurt, cette propriété retourne à l’État, qui, bien entendu, le cas échéant, doit assurer un bien-être égal à la femme et aux enfants. Si la femme est capable d’exécuter le travail, elle conserve la propriété.

Tous ces dons sont financés par des impôts, soit directs, sur les profits des entreprises, soit indirects sur la vente des produits. Ils sont gérés par une administration où se trouvent des fonctionnaires, des patrons d’entreprises, des syndicalistes, des députés.

Ce droit de propriété peut être retiré pour incapacité professionnelle par la sentence d’un tribunal. Ceci, bien entendu, suppose que des mesures pénales analogues soient prévues pour punir, le cas échéant, l’incapacité professionnelle d’un patron d’entreprise.

Un ouvrier qui désirerait devenir patron d’un petit atelier devrait en obtenir l’autorisation d’un organisme professionnel chargé de l’accorder avec discernement, et aurait alors des facilités pour l’achat de deux ou trois autres machines ; non davantage.

Un ouvrier incapable de passer l’essai resterait dans la condition de salarié. Mais il pourrait toute sa vie, sans limite d’âge, faire de nouvelles tentatives. Il pourrait à tout âge et à plusieurs reprises demander à faire un stage gratuit de quelques mois dans une école professionnelle.

Ces salariés par incapacité travailleraient soit dans les petits ateliers non coopératifs, soit comme aides d’un ouvrier travaillant chez lui, soit comme manœuvres dans les ateliers de montage. Mais ils ne devraient être tolérés dans l’industrie qu’en petit nombre. La plupart devraient être poussés dans les besognes de manœuvres ou de gratte-papier indispensables aux services publics et au commerce.

Jusqu’à l’âge de se marier et de s’établir chez lui pour la vie — c’est-à-dire, selon les caractères, jusqu’à vingt-deux, vingt-cinq, trente ans —, un jeune ouvrier serait regardé comme étant toujours en apprentissage.

Dans l’enfance, l’école devrait laisser aux enfants assez de loisir pour qu’ils puissent passer des heures et des heures à bricoler autour du travail de leur père. La demi-scolarité — quelques heures d’études, quelques heures de travail — devrait ensuite se prolonger longtemps. Ensuite il faudrait un mode de vie très varié — voyages du mode "Tour de France", séjour et travail tantôt chez des ouvriers travaillant individuellement, tantôt dans de petits ateliers, tantôt dans des ateliers de montage de différentes entreprises, tantôt dans des groupements de jeunesse du genre "Chantiers" ou "Compagnons" ; séjours qui, selon les goûts et les capacités, pourraient se répéter à plusieurs reprises et se prolonger durant des périodes variant de quelques semaines à deux ans, dans des collèges ouvriers. Ces séjours devraient d’ailleurs, à certaines conditions, être possibles à tout âge. Ils devraient être entièrement gratuits, et n’entraîner aucune espèce d’avantage social.

Quand le jeune ouvrier, rassasié et gorgé de variété, songerait à se fixer, il serait mûr pour l’enracinement. Une femme, des enfants, une maison, un jardin lui fournissant une grande partie de sa nourriture, un travail le liant à une entreprise qu’il aimerait, dont il serait fier, et qui serait pour lui une fenêtre ouverte sur le monde, c’est assez pour le bonheur terrestre d’un être humain. 

Auteur: Weil Simone

Info: L'enracinement, Editions Gallimard, 1949, pages 98 à 102

[ prolétariat ]

 
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apprendre

Il y a deux obstacles qui rendent difficile l'accès du peuple à la culture. L'un est le manque de temps et de forces. Le peuple a peu de loisir à consacrer à un effort intellectuel ; et la fatigue met une limite à l'intensité de l'effort.

Cet obstacle-là n'a aucune importance. Du moins il n'en aurait aucune, si l'on ne commettait pas l'erreur de lui en attribuer. La vérité illumine l'âme à proportion de sa pureté et non pas d'aucune espèce de quantité. Ce n'est pas la quantité du métal qui importe, mais le degré de l'alliage. En ce domaine, un peu d'or pur vaut beaucoup d'or pur. Un peu de vérité pure vaut autant que beaucoup de vérité pure.

[…] Les obstacles matériels – manque de loisir, fatigue, manque de talent naturel, maladie, douleur physique – gênent pour l’acquisition des éléments inférieurs ou moyens de la culture, non pour celle des biens les plus précieux qu’elle enferme.

Le second obstacle à la culture ouvrière est qu'à la condition ouvrière, comme à toute autre, correspond une disposition particulière de la sensibilité. Par suite, il y a quelque chose d'étranger dans ce qui a été élaboré par d'autres et pour d'autres.

Le remède à cela, c'est un effort de traduction. Non pas de vulgarisation, mais de traduction, ce qui est bien différent.

Non pas prendre les vérités, déjà bien trop pauvres, contenues dans la culture des intellectuels, pour les dégrader, les mutiler, les vider de leur saveur ; mais simplement les exprimer, dans leur plénitude, au moyen d’un langage qui, selon le mot de Pascal, les rende sensibles au cœur, pour des gens dont la sensibilité se trouve modelée par la condition ouvrière.

L'art de transposer les vérités est un des plus essentiels et des moins connus. Ce qui le rend difficile, c'est que, pour le pratiquer, il faut s'être placé au centre d'une vérité, l'avoir possédée dans sa nudité, derrière la forme particulière sous laquelle elle se trouve par hasard exposée. 

Auteur: Weil Simone

Info: L'enracinement, Editions Gallimard, 1949, pages 90-92

[ classes sociales ] [ adaptation ] [ prolétaires ]

 
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civilisation

Certes, la vérité est une, mais l'erreur est multiple ; et dans toute culture, sauf le cas de perfection, qui pour l'homme n'est qu'un cas limite, il y a mélange de vérité et d'erreur. Si notre culture était proche de la perfection, elle serait située au-dessus des classes sociales. Mais comme elle est médiocre, elle est dans une large mesure une culture d'intellectuels bourgeois, et plus particulièrement, depuis quelque temps, une culture d'intellectuels fonctionnaires.

Auteur: Weil Simone

Info: L'enracinement, Editions Gallimard, 1949, page 89

[ appropriation de classe ] [ intéressée ]

 
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vie professionnelle

De tels ateliers [coopératifs] ne seraient pas de petites usines, ce seraient des organismes industriels d’une espèce nouvelle, où pourrait souffler un esprit nouveau ; quoique petits, ils auraient entre eux des liens organiques assez forts pour qu’ils forment ensemble une grande entreprise. Il y a dans la grande entreprise, malgré toutes ses tares, une poésie d'une espèce particulière dont les ouvriers ont aujourd'hui le goût.

Le paiement aux pièces n’aurait plus d’inconvénient, une fois aboli l’encasernement des travailleurs. Il n’impliquerait plus l’obsession de la vitesse à tout prix. Il serait le mode normal de rémunération pour un travail librement accompli. L’obéissance ne serait plus une soumission de chaque seconde. Un ouvrier ou un groupe d’ouvriers pourrait avoir un certain nombre de commandes à effectuer dans un délai donné, et disposer d’un libre choix dans l’aménagement du travail. Ce serait autre chose que de savoir qu’on doit répéter indéfiniment le même geste, imposé par un ordre, jusqu’à la seconde précise où un nouveau commandement viendra imposer un nouveau geste pour une durée qu’on ignore. Il y a une certaine relation avec le temps qui convient aux choses inertes, et une autre qui convient aux créatures pensantes. On a tort de les confondre.

Coopératifs ou non, ces petits ateliers ne seraient pas des casernes. Un ouvrier pourrait parfois montrer à sa femme le lieu où il travaille, sa machine, comme ils ont été si heureux de le faire en juin 1936, à la faveur de l'occupation. Les enfants viendraient après la classe y retrouver leur père et apprendre à travailler, à l'âge où le travail est de bien loin le plus passionnant des jeux. Plus tard, au moment d'entrer en apprentissage, ils seraient déjà presque en possession d'un métier, et pourraient à leur choix se perfectionner dans celui-là ou en acquérir un second. Le travail serait éclairé de poésie pour toute la vie par ces émerveillements enfantins, au lieu d'être pour toute la vie couleur de cauchemar à cause du choc des premières expériences. 

Auteur: Weil Simone

Info: L'enracinement, Editions Gallimard, 1949, pages 82-83

[ organisation ] [ autonomie ] [ proposition de réforme ] [ amélioration ]

 

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