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microbiote

Le rôle fondamental du carbone dans les mondes souterrains

Au cœur de l'écosystème microbien enfoui dans les profondeurs terrestres, le carbone joue un rôle pivot, liant cycles géochimiques, métaboliques inédits et stabilité climatique mondiale.

Carbone et microbes souterrains : une symbiose puissante

La vie souterraine décrite par Karen Lloyd est avant tout façonnée par la disponibilité et la transformation du carbone. En l'absence de lumière et de flux énergétiques abondants, les microbes doivent puiser leur énergie dans la matière organique enfouie – de minuscules fragments de protéines, débris végétaux issus du monde superficiel, ou même dans la décomposition de résidus issus de leur propre activité. Cette matière organique représente un stock considérable de carbone, bien plus vaste que celui que l'on retrouve dans l'atmosphère ou la biomasse végétale.

Ces microbes, par leurs processus métaboliques, maîtrisent le destin de ce carbone :

- Lorsqu'ils " respirent " des roches (réduction des minéraux), ils facilitent la transformation du carbone organique et inorganique, systématiquement impliquée dans la chimie de la vie profonde.

- En décomposant la matière organique, ils libèrent du dioxyde de carbone (CO₂) ou du méthane (CH₄), participant ainsi aux grands cycles planétaires et influençant le climat.

Stockage, libération et recyclage du carbone : enjeux et paradoxes

Les recherches récentes montrent que la croissance microbienne – autrement dit la capacité des microbes à convertir le carbone en matière vivante – est décisive pour déterminer la quantité de carbone stockée durablement dans les sédiments et les sols. Plus un microbe assimile le carbone pour sa propre croissance, plus ce carbone reste stocké sous terre, dans une forme stable et durable. À l'inverse, lorsque le microbien métabolique privilégie la respiration, une partie importante du carbone est relâchée sous forme de gaz, renforçant l'effet de serre.

Le milieu souterrain étant pauvre en ressources, ces microbes sont contraints à une extrême parcimonie : leur implication dans le cycle du carbone est marquée par des processus ultra-lents, où le stockage domine souvent la libération, entraînant la longévité exceptionnelle de certains individus et la stabilité relative du stock carboné du sous-sol.

La longue vie du carbone souterrain et ses implications planétaires

Il est frappant de noter que l'âge moyen du carbone dans les sols profonds se chiffre en milliers d'années, parfois jusqu'à plusieurs millénaires. Ce vieux carbone est régulièrement recyclé : soit il reste emprisonné dans des structures organiques et minérales, soit il est, au gré de la dynamique microbienne, relâché dans l'atmosphère. Les activités biologiques de ces " intraterrestres " participent ainsi de façon cruciale à la régulation des stocks planétaires de carbone, jouant un rôle de tampon face au changement climatique.

Carbone, évolution et adaptation extrême

Enfin, le métabolisme du carbone, dans des conditions aussi extrêmes, façonne l'évolution des microbes souterrains : ces organismes ont développé des stratégies inédites pour survivre avec un apport minimal, recyclant jusqu'à leurs propres déchets à des fins énergétiques, exploitant la moindre présence de carbone pour se reconstruire et subsister pendant des millénaires.

Ainsi, les travaux de Karen Lloyd et de la communauté scientifique révèlent que, loin d'être marginal, le carbone constitue le fil conducteur de la vie souterraine sur Terre : il en détermine la dynamique, la longévité, la diversité et son potentiel pour stabiliser notre climat. Les microbes incarnent en profondeur la puissance du vivant à transformer, conserver et parfois libérer le carbone, témoignant de la plasticité et de la robustesse de la vie face aux plus rudes conditions de la planète.




 

Auteur: Internet

Info: Quanta Magazine, Laura Poppick, 21 août 2025 (https://www.quantamagazine.org/the-pursuit-of-life-where-it-seems-unimaginable-20250820/?mc_cid=9a36d3aba0&mc_eid=78bedba296) - synthèse résumé intégrée : perplexyity.ia, prompté par Mg

[ microbiome ] [ processus-flux-adaptation ] [ boucle lente ]

 

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Ajouté à la BD par Le sous-projectionniste

philosophie-théologie

Nulle doctrine, mieux que celle des Ennéades, ne met en évidence le lien des notions d’être et d’intelligibilité. Au sommet de la hiérarchie des substances-principes, se trouve l’Un, mais de l’Un absolu on ne saurait rien dire, pas même qu’il est, car ce serait dire de lui qu’il est l’être, et non plus l’un. On ne peut même pas dire de l’un qu’il est l’un, car en considérant deux fois l’un, on le fait être deux. Bref, l’un est ineffable, on ne peut former à son endroit aucune proposition qui n’aurait pour effet de le détruire, et ceci est vrai de l’un lui-même. Sans doute, l’un n’est pas inconscient ; bien au contraire, il est au sommet de l’immatérialité et de la connaissance, mais il ne connaît pas au moyen de propositions et il n’en saurait former, au sujet de lui-même, aucune dont l’effet serait de lui faire connaître ce qu’il est. L’un est au-delà du "ce que", et puisqu’il n’y a rien qu’il soit, il est au-delà de l’être. A strictement et proprement parler, l’un n’est pas.

L’être apparaît donc au-dessous de l’un. Avec profondeur, Plotin fait commencer l’être avec la connaissance des idées, et en même temps qu’elle, car on ne peut vraiment dire que l’être est qu’au moment où l’on peut en dire ce qu’il est. C’est pourquoi la deuxième substance-principe, qui vient immédiatement après l’Un, est l’Intelligence (nous), qui, précisément parce qu’elle est connaissance, est être. L’Intelligence n’est pas l’Un, mais elle est la connaissance de l’Un, sinon en lui-même, qui transcende la connaissance, du moins sous la forme de toutes ses participations possibles. En tant que connues, ces participations possibles se nomment Idées ; c’est donc bien avec l’Intelligence, lieu des Idées, qu’on atteint véritablement l’ordre de l’être. […] La première chose qui vienne après l’Un (qui lui-même est premier), c’est l’être.

Cette inséparabilité de l’être et de l’intelligible tient donc à ce que rien ne commence d’être tant qu’on ne peut savoir et dire que cela est. On entre au même moment dans un ordre où la pensée se sent chez elle ; à l’Un, à l’ineffable et à l’indéfinissable succèdent tout à la fois le multiple, l’exprimable et le définissable. […]

Une leçon se dégage de cette expérience plotinienne sur la notion de l’Un ; c’est que le multiple ne peut s’obtenir, à partir de l’Un, que sous forme d’idées intelligibles distinctes. A moins d’être conçues comme telles, ces formes intelligibles ne sont pas ; elles ne sont donc pas des êtres ; bref, l’intelligibilité de ces formes est un intermédiaire nécessaire entre l’unité, qui transcende sur l’être, et l’être qui ne se pose que dans la multiplicité.

L’opération n’est pas représentable. Si on tente de l’imaginer, on pense à une sorte d’éclatement métaphysique de l’Un qui se disperserait en Idées, mais rien de tel ne se produit. L’Un reste un ; indifférent à cette prolifération d’images de lui-même dans laquelle il n’est pas engagé, parce que son unité n’est pas celle d’un nombre composable et décomposable à la manière d’une somme, l’Un reste hors de cette plurification qui ne le concerne pas. Le multiple est fait de fragments d’une unité qui n’est pas celle de leur tout. La vieille métaphore de l’image est encore ici la meilleure, car une infinité de reflets dans un jeu de glaces n’ajoute rien à la substance de l’objet qu’ils représentent. […]

Pourquoi donc s’engager dans ces embarras inextricables ? Puisque le donné est multiple et que l’être singulier, dont il est fait, nous est intelligiblement concevable, pourquoi lui ajouter cet Un dont le rapport au multiple est si malaisément compréhensible ? Simplement parce que l’antinomie de l’un et du multiple n’est pas une construction de l’esprit ; elle est donnée dans le multiple même, puisque nous ne pouvons le concevoir que comme une certaine sorte d’unité. […]

Saint Thomas [d'Aquin] a toujours marqué un vif intérêt pour cette dialectique platonicienne de l’un et du multiple parce qu’elle préfigurait à ses yeux celle de l’être et de l’essence. Dans une philosophie chrétienne née d’une méditation rationnelle de la parole de Dieu, la première substance-principe n’est pas l’Un, mais l’Être. Comme l’Un, l’Être échappe à la définition. C’est un lieu commun que la notion d’être n’est pas définissable précisément parce que, étant première, elle inclut nécessairement tous les termes dont on pourrait user pour la définir. Pourtant, hors de l’être, il n’y a que le néant. L’entendement fait donc constamment usage, à titre de premier principe, d’une notion dont il a l’intellection, mais qui élude les prises de la raison raisonnante. On ne peut rien dire de l’être, même fini, sinon qu’il est l’acte en vertu duquel l’étant est, ou existe. Tout se passe comme si l’esse créé participait au caractère mystérieux de la cause créatrice, et en effet, concevoir l’esse fini en soi et à l’état pur serait une entreprise contradictoire ; ce serait tenter de concevoir Dieu. 

Auteur: Gilson Etienne

Info: Introduction à la philosophie chrétienne, Vrin, 2011, pages 173-177

[ métaphysique de l'être ] [ métaphysique de l'un ] [ transposition ] [ christianisme ] [ apophatique ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

théologiens chrétiens

[…] Dieu connaît, Dieu se connaît, Dieu se comprend soi-même, Dieu connaît d’une connaissance qui est sa substance même, c’est-à-dire son être […].

Une perspective nouvelle paraît néanmoins s’ouvrir avec la question suivante, De ideis (ST. I, 15). Après avoir considéré la science de Dieu, dit Saint Thomas, il reste à prendre en considération les idées. On peut se demander pourquoi. Ayant déjà fondé la connaissance divine du singulier sur ce qui, de toute manière, doit en être l’ultime fondement – ipsum Esse – pourquoi ajouter à la doctrine cette sorte d’enclave consacrée aux idées : y a-t-il des Idées ? Y en a-t-il plusieurs, ou une seule ? Y en a-t-il de tout ce que Dieu connaît ?

La réponse est donnée par le Sed contra du premier de ces trois articles : oui, il est nécessaire de poser des idées dans la pensée divine, parce que, selon Saint Augustin, leur importance est telle qu’à moins de les comprendre, nul ne saurait être un sage. […] C’est par les Idées que Dieu devient pour nous causa subsistendi, ratio intelligendi et ordo vivendi. […]

Théologien, il [saint Thomas d’Aquin] s’impose le devoir de montrer en quel sens la doctrine augustinienne des Idées peut être rattachée à la vérité philosophique la plus stricte qui, elle, ne bouge pas. Thomas prend ici l’augustinisme en remorque. On le voit bien à l’aspect d’enclave augustino-platonicienne qu’offre si visiblement cette question XV De Ideis. Idée veut dire forme ; les formes sont, soit à l’état de nature dans les choses, soit, dans l’intellect spéculatif, comme ressemblances des formes des choses naturelles, soit enfin, dans l’intellect pratique, comme modèles des choses à faire. Il y a la forme de la maison, il y a cette forme de la maison connue par l’intellect de celui qui la voit, et il y a la forme de cette même maison prévue par l’intellect de l’architecte qui va la construire. Saint Thomas propose ingénieusement de réserver le nom d’Idée, plutôt à ce troisième mode d’existence de la forme. Il sait bien qu’absolument parlant, on ne peut attribuer à Dieu des Idées sans lui en attribuer de spéculatives aussi bien que de pratiques. Le Soleil Intelligible de Platon, de Plotin et d’Augustin, a des pensées aussi bien que des projets. Saint Thomas sait encore mieux que sa propre doctrine contient éminemment la vérité de l’augustinisme et qu’elle peut s’en passer. Dieu connaît parfaitement sa propre essence (qui est son esse) ; il la connaît donc de toutes les manières dont elle est connaissable […]. En d’autres termes, on peut appeler Idée divine la connaissance qu’a l’essence divine de son imitabilité par une essence finie particulière. La doctrine augustinienne des Idées est donc vraie, mais on le savait d’avance, car l’intellect de Dieu étant son essence même, il est évident que son essence et la connaissance qu’il en a ne font qu’un ; c’est donc une seule et même chose, pour Dieu, que d’être et que d’être les Idées de toutes les créatures finies actuelles ou possibles. Ce n’est pas dire que le mot Idée n’a pas de sens propre, mais ce sens n’affecte pas l’essence divine elle-même ; Dieu n’a pas d’Idée de Dieu ; la pluralité des Idées, connue par Dieu, n’est une pluralité de natures que dans les choses […]. Saint Thomas n’adapte donc pas sa propre pensée à celle de Saint Augustin, mais il accueille la vérité de celle-ci et lui fait place. 

Auteur: Gilson Etienne

Info: Introduction à la philosophie chrétienne, Vrin, 2011, pages 169-171

[ continuité ] [ champ catégoriel ] [ référentiel discursif ] [ exactitude relative ]

 

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beaux-arts

On voit représentés dans la gravure sur cuivre d'Albrecht Dürer datée de 1514 et intitulée Melencolia, différents symboles, attributs et emblèmes relatifs à l'industrie d'une part, puis à la réflexion d'autre part, développées par homo sapiens sapiens depuis quelques millénaires: à terre, pour bien signaler la matérialité et l'inscription dans l'immanence du monde de la technè humaine, burette, clous, latte, scie, rabot, tenailles, gabarit, marteau, creuset; puis, un degré au dessus, s'élevant dans l'espace en prenant toutefois appui sur le sol, une sphère, une roue qui s’avère être une meule hors de fonction, et un polyèdre complexe à huit faces exhaussé sur une marche, entre lesquels se love dans une douloureuse contorsion un chien de chasse famélique et abattu. Pourquoi donc, famélique et abattu? Parce qu'il n'a manifestement pas atteint la complétude de sa nature, qui est de chasser et d'atteindre sa proie, pour s'en nourrir, au moins partiellement. Je reviendrai plus bas sur ce que désigne plus profondément la présence de ce chien en cet endroit. Un encensoir éteint placé entre la sphère et le chien, respectivement symboles de perfection et de fidélité, assume par sa dissonance sémiotique au sein de tous les outils jonchant le sol une dimension indicielle que l'ensemble de la gravure viendra confirmer. L'ange songeur et amer, couronné mais déchu, aux ailes inutiles et repliées, portant au côté gauche une manière de châtelaine de cuir à laquelle sont suspendues six clefs et trois bourses, appuie son avant bras droit sur un livre refermé et tient en sa main droite un compas, instrument de mesure par excellence, avant même d'être destiné à tracer des cercles. Cet ange est lourdement assis, plus bas que ses genoux, contre une sorte de gros pilastre, architecture apparemment sans destination, auquel sont suspendus une balance, un sablier surmonté d’un cadran solaire, une cloche, qu'une main invisible placée hors cadre viendra tôt ou tard ébranler: celle de la mort, assurément, qui viendra sonner la fin de cette acédie sans issue. La mort, précisément figurée ici sous la forme d'un crane se devinant dans l'anamorphose d'un apparent défaut de texturation affectant la face la plus frontale du polyèdre [...]. 

Un putto que son innocence et son immaturité rendent inconscient de ce qui se passe continue à consigner en silence sur une tablette de cire on ne sait quels résultats ou réflexions, déjà obsolètes sans qu'il en ait encore pris conscience - ses ailes même, ridiculement atrophiées et hors de proportion par rapport à celles de son aîné, n'ont plus que la fonction décorative d'un organe inutile et sans finalité. Et l'échelle de bois, dérisoirement appliquée au revers du pilastre, laisse entendre que son ascension ne débouchera que sur la matérialité stérile, faisant boucle avec elle-même, d'une paroi sans issue. Nihil prodest: il n'y a manifestement pas même la place pour un belvédère, là-haut, et on est fondé à penser que cette échelle est simplement appuyée à cet élément d'architecture, lui-même également inutile et sans finalité. Dans le pilastre se trouve gravé, à peu près au dessus des ailes de l'ange un carré magique gnomonique, dont la somme de chaque cadrant, ainsi que celle des quatre nombres du milieu, est égale à 34; de plus, toute paire de nombres placés de façon symétrique par rapport au centre du carré donne pour somme 17, soit la moitié de 34, ce qui non seulement renforce la cohésion de ce carré magique, mais également sa signification.

Auteur: Farago Pierre

Info: Une proposition pour l'autisme

[ description ] [ mélancolie ] [ symbolisme ]

 
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philosophie-théologie

[…] au fond, tout ce que Saint Thomas [d'Aquin] a dit des Idées était dans son esprit une concession de plus faite au langage d’une philosophie qui n’était pas vraiment la sienne. C’était aussi, n’en doutons pas, la reconnaissance de l’autorité théologique de Saint Augustin. 

En effet, l’exposé du problème et sa discussion dans le Contra Gentiles (I, 44-71) relègue à l’arrière-plan la notion d’idée divine. Celle-ci fait de brèves apparitions aux chapitres 51 et 54, où il est question de la manière dont une pluralité d’objets peut être dans l’intellect divin sans en rompre l’unité, mais Saint Thomas n’en fait mention que comme d’un artifice employé par Saint Augustin pour "sauver dans une certaine mesure l’opinion de Platon". Celui-ci, dit Saint Thomas, pour éviter d’introduire de la composition dans l’intellect divin, a situé les Idées hors de Dieu, comme des formes intelligibles subsistant en elles-mêmes. Mais on n’évite ainsi un inconvénient que pour s’exposer à plusieurs autres, car, d’abord, puisque Dieu devrait alors prendre connaissance d’objets autres que son essence, sa perfection dépendrait d’êtres autres que lui-même, ce qui est impossible ; en outre, puisque tout ce qui n’est pas son essence est causé par elle, ces formes intelligibles devraient être causées par Dieu, et comme il ne pourrait les causer sans les connaître, la connaissance qu’il en a ne peut dépendre d’elles, mais seulement de lui. De toute manière, il ne suffirait pas de poser des Idées hors de Dieu pour expliquer la connaissance qu’il a des choses ; pour que Dieu connaisse les formes des choses, il faut qu’elles soient dans l’intellect divin lui-même. La solution platonicienne du problème est donc inopérante ; la Somme contre les Gentils ne semble pas avoir jugé nécessaire de mettre en œuvre la notion platonicienne d’Idée, entendue de quelque manière que ce soit.

En fait, Saint Thomas n’en a pas besoin, en ce sens qu’il peut exposer la vérité sur ce point sans recourir à aucune notion qui ne découle nécessairement de ses propres principes, ou qui ne coïncide avec l’un d’eux. Dieu est premier moteur ; qu’on le conçoive comme se mouvant soi-même ou comme entièrement immobile, il faut que Dieu soit intelligent. Dans les deux cas, en effet, Dieu meut en tant que désiré, donc en tant que connu, et il ne se peut que ce qu’il meut connaisse sans que lui-même, qui est premier, soit doué de connaissance. Mais nous en revenons aussitôt au grand principe de la simplicité divine. Intelliger est à l’intellect ce qu’être est à l’essence ; mais c’est l’être qui est l’essence de Dieu ; l’intellect de Dieu est donc son essence, qui est son être. […]

Qu’ont à faire les Idées dans une pareille doctrine ? Jean Duns Scot fera pertinemment observer qu’un théologien pourrait fort bien expliquer la vérité sur la connaissance que Dieu a des choses sans faire mention de la notion d’Idée. C’est au moins aussi vrai de la doctrine de Saint Thomas. En effet, pourquoi poserait-on des Idées en Dieu ? Pourquoi expliquer comment, par elles, il connaît les créatures ? Mais Dieu connaît par son intellect, qui est son essence, qui est son esse. Comme le dit Saint Thomas avec force, si l’on veut que toute connaissance se fasse par une espèce intelligible, alors, c’est l’essence de Dieu qui est en lui l’espèce intelligible […].

De là résulte cette conséquence étonnante que, si l’on veut parler d’espèces intelligibles à propos de la connaissance divine, on ne peut lui en attribuer qu’une seule. Dans une des analyses de l’acte de connaître les plus limpides qu’il ait données, (CG. I, 53, 3), Saint Thomas rappelle que, informé d’abord par l’espèce venue de l’objet connu, l’intellect, en connaissant, forme ensuite en soi une espèce intelligible de cet objet, puis, grâce à cette espèce, une sorte d’intention de ce même objet. Cette intention en est la notion intelligible (ratio), que la définition signifie. L’intention connue, ou notion formée, est donc le terme de l’opération intellectuelle dont l’espèce intelligible est le principe. Ainsi donc, un intellect averti par l’objet sensible et son espèce, forme lui-même une espèce intelligible, puis, fécondé par cette espèce, forme la notion intelligible de l’espèce, son intention.

Nous ne pouvons concevoir l’intellection divine autrement qu’à partir de ce que nous savons de la nôtre. On dira donc que Dieu, lui aussi, connaît les choses par l’opération de son intellect et que son intellect les connaît par une espèce intelligible qui lui permet de s’en former une notion, seulement, dans le cas de Dieu, l’intellect est son essence ; pour la même raison (la parfaite simplicité de Dieu), l’opération de l’intellect divin est identiquement cet intellect, lui-même identique à l’essence divine ; enfin (toujours pour la même raison), l’espèce intelligible, principe formel de l’intellection, est identique en Dieu à l’intellect et à son opération, qui le sont eux-mêmes à l’essence, et comme, en fin de compte, l’essence est identique en Dieu à l’être, être et connaître sont en Dieu une seule et même chose : intelligere Dei est ejus esse.

[…] puisque Dieu ne connaît rien que par son essence, il connaît tout par une seule et unique "intention connue" qui est le Verbe divin, à partir d’une seule et unique espèce intelligible, qui est l’essence divine elle-même (CG. I, 3, 5). En somme, si l’on tenait à parler le langage des Idées, il faudrait dire ici qu’il n’y en a qu’une, qui est Dieu. 

Auteur: Gilson Etienne

Info: Introduction à la philosophie chrétienne, Vrin, 2011, pages 164-168

[ théorie de la connaissance ] [ analogie ] [ critique ] [ superflue ] [ christianisme ]

 

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métaphysique de l'être

Si l’on posait Dieu dans l’ordre de l’essence, fût-ce même à son sommet, il deviendrait extrêmement difficile, pour ne pas dire impossible, de trouver hors de Dieu une place pour le monde des créatures. On ne peut rien ajouter à l’infini, ni rien en soustraire, si bien qu’à la parole de Leibniz "il n’y a qu’un Dieu, et ce Dieu suffit", on pourrait joindre cette remarque : et il se suffit. Mais nous partons ici de la notion d’un Dieu entièrement transcendant à l’ordre des essences, qui inclut la totalité des créatures, d’où l’on peut inférer qu’aucun problème d’addition ou de soustraction ne se posera entre lui et les étants qu’il crée. […]

Il reste donc à chercher comment l’essence peut venir de ce qui transcende l’essence en l’absorbant dans l’être. Certain philosophe d’aujourd’hui a reproché aux métaphysiciens d’autrefois de s’être attardés autour du problème de l’étant (das Seiende) sans aborder franchement celui de l’être (das Sein). Il se peut que nous méconnaissions le sens exact du reproche, car la vérité nous semblerait plutôt que les métaphysiques les plus profondes, de Platon à Thomas d’Aquin et au-delà jusqu’à notre propre temps, aient senti le besoin de dépasser le plan de l’essence pour atteindre celui de la source et cause de l’essence. Quoi qu’il en soit des autres, la métaphysique de l’esse constitue le cas typique d’une ontologie qui refuse expressément de s’en tenir au niveau de l’étant et pousse jusqu’à celui de l’être où l’étant prend sa source. Il est vrai qu’une fois là, le métaphysicien évite bien rarement de parler de l’être autrement que dans le langage de l’étant, mais ceux qui le lui reprochent font exactement la même chose. […] L’entendement n’a qu’un langage, qui est celui de l’essence. De l’au-delà de l’essence, on ne peut rien dire, sinon qu’il est et qu’il est la source de tout le reste, mais il est nécessaire de le savoir et de le dire, car prendre l’essence pour l’être est une des causes d’erreur les plus graves qui menacent la métaphysique. L’extrême pointe de la réflexion du métaphysicien est atteinte au moment où l’étant ne lui est plus concevable que comme une participation de l’être, lui-même insaisissable autrement qu’engagé dans l’essence de l’étant dont il est l’acte. 

Auteur: Gilson Etienne

Info: Introduction à la philosophie chrétienne, Vrin, 2011, pages 162-164

[ limitation du langage ] [ objection ] [ réfutation ]

 

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créature-créateur

[…] chaque être particulier, en tant même qu’il est être, participe à la nature de l’être divin, non comme la partie participe du tout, mais comme l’effet participe de sa cause efficiente. Créé, puis conservé par une action de même nature que celle qui l’a créée, l’être second ne subsiste, à chaque moment de sa durée, qu’en vertu de l’efficace divine. Si l’on se pénètre de cette vue, une nouvelle suite de conséquences s’offre à l’esprit et le conduisent au cœur de l’univers thomiste dans ce qu’il a de plus littéralement sacré.

Il devient en effet manifeste que Dieu est présent à l’être de chacune de ses créatures, immédiatement, par son essence et intimement. 

Le premier effet de Dieu est l’être même des êtres. L’efficace divine atteint donc directement et immédiatement la créature, d’abord parce que créer étant le mode propre à Dieu, rien ne s’interposer ici entre la cause et l’effet : ensuite, parce que, du côté de la créature elle-même, il n’est rien qu’elle puisse recevoir sans recevoir d’abord l’être. Toutes les déterminations particulières de l’être le présupposent ; il est donc certain que Dieu est immédiatement présent par son efficace à chacun des effets qu’il produit.

Mais, en Dieu, l’efficace, le pouvoir et la volonté sont l’essence divine même ; là où est l’efficace de Dieu, là aussi est son essence […] ; il est donc littéralement vrai de dire que Dieu est présent aux êtres par son essence même. On aurait d’ailleurs pu inférer cette conclusion directement, de ce que, dans la Sainte Trinité, la création appartient en propre à l’essence, qui est l’esse divin même. Il y a donc continuité d’une de ces positions à l’autre ; Dieu est son être ; toute cause efficiente produisant son semblable, l’acte propre de l’Être est de causer de l’être ; l’être causé ne subsiste que par la continuation de l’action créatrice ; l’être créé est une participation de l’Être créateur ; enfin, l’Être créateur est présent par son essence même à l’être créé qui ne subsiste que par lui.

Cet enchaînement de propositions met en évidence le rôle unique joué dans cette théologie par la notion d’être (esse) dont l’archétype et le modèle, si l’on peut dire, est Dieu lui-même révélant son nom dans l’Exode. Il faut en revenir souvent à ce point central dans la doctrine : on ne peut se former une notion correcte de l’être, tant que l’esprit ne s’est pas exercé à concevoir l’être à l’état pur, libre de tout alliage d’essence surajoutée et se suffisant à soi-même, sans l’addition ne serait-ce que d’un sujet pour le porter et constituer avec lui un étant. Le langage est incorrigible mais on peut penser correctement ce que la parole échoue à bien dire. […]

A partir de ce point, l’étant fini se conçoit plus clairement comme composé de ce qu’il est et d’une participation par mode d’effet, de l’être pur subsistant. Il faut bien que l’être soit en nous réellement autre que l’essence, puisqu’il y a un être qui n’est qu’Être. […] L’univers se compose d’essences dont aucune n’est l’Être, mais qui toutes sont des étants parce qu’elles sont et durent, hors du néant, comme des effets de Celui Qui Est.

Il y a dans cette doctrine une sobriété métaphysique dont la grandeur étonne. Beaucoup lui reprochent de ne pas assez parler au cœur, mais eux-mêmes n’entendent pas ce qu’ils disent. Pour que le cœur parle, ou qu’on lui parle, il faut d’abord qu’il soit. Même à s’en tenir à l’ordre, si légitime en soi, de l’affectivité et du sentiment, à quel cœur ne doit-il pas suffire de se savoir pénétré de l’efficace divine au point de n’en être que l’effet ? Est-il dépendance plus étroite, à l’égard de sa cause, que celle d’un effet qui en dépend dans son être même ? C’est à ce coup que nous avons en Lui la vie, le mouvement et l’être. […]

Cette métaphysique de l’être est d’ailleurs bien loin d’exclure celle de l’amour, car pourquoi Dieu veut-il la nature et l’homme, sinon parce qu’il les aime ?

Auteur: Gilson Etienne

Info: Introduction à la philosophie chrétienne, Vrin, 2011, pages 155-158

[ tentation anthropomorphique ] [ préjugé réducteur ] [ question ] [ causalité ]

 

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volatiles

Les beaux oiseaux présentent-ils un avantage évolutif ?

Richard Prum explique pourquoi il pense que les plumes et les traits vibrants des oiseaux ont évolué non seulement pour la survie, mais aussi par choix esthétique.

Lors d'une conversation approfondie avec la coanimatrice Janna Levin, Prum retrace les origines évolutives profondes des plumes, qui, selon lui, sont apparues non pas pour voler, mais pour s'isoler, se camoufler et se parer. Leurs couleurs, souvent invisibles à l'oeil humain, sont mises en valeur par la vision ultraviolette des oiseaux, suggérant un monde sensoriel bien plus riche que le nôtre.

Prum explique également pourquoi il défend la théorie de la sélection sexuelle de Darwin, autrefois marginalisée, selon laquelle des traits comme la queue du paon ont évolué non pas pour survivre, mais simplement parce qu'ils étaient attrayants. Autrement dit, la beauté peut façonner la vie aussi puissamment que l'utilité.

JANNA LEVIN : Steve, salut.

STEVE STROGATZ : Salut Janna.

LEVIN : J’ai l’impression que vous vivez dans un environnement plus naturel que moi. Je suis à Manhattan. Avez-vous l’occasion d’observer les oiseaux là où vous êtes ?

STROGATZ : Oh oui. Parfois, oui.

LÉVIN : Tu sors les jumelles ? Tout ça ?

STROGATZ : Je ne suis pas un adepte des jumelles, mais j'ai une très bonne amie qui me montre toutes sortes de comportements et de cris d'oiseaux. Je ne sais pas, mais je suis loin de quelqu'un qui le fait.

LEVIN : C’est surprenant qu’il y ait de l’observation d’oiseaux à Manhattan. Les gens adorent Central Park. C’est un véritable lieu où aller. Et évidemment, les oiseaux sont très connectés à leur environnement. Ils s’y adaptent parfaitement. Ils volent d’un bout à l’autre du monde. Donc tout est connecté.

J'ai eu l'occasion d'en discuter avec un ornithologue amateur passionné d'observation et d'écoute des oiseaux, mais aussi ornithologue évolutionniste à Yale. Il s'appelle Rick Prum. Nous avons eu une conversation passionnante sur l'évolution des oiseaux, sur le fait qu'ils ne sont pas seulement apparentés aux dinosaures, mais qu'ils sont bel et bien des dinosaures.

STROGATZ : Ce sont des dinosaures vivants. Je me souviens de ça dans Jurassic Park. Ils ont essayé de leur donner une forme d'oiseau.

LEVIN : C’est vrai. Tout cela constitue un aspect vraiment intéressant de la compréhension non seulement des espèces d’oiseaux et des dinosaures, mais aussi des concepts fondamentaux de la biologie évolutive elle-même.

STROGATZ : C'est vraiment intéressant, super.

LEVIN : Voici donc le professeur Rick Prum de Yale.

Bienvenue à "La Joie du Pourquoi", Rick. C'est un plaisir de vous parler.

RICHARD PRUM : Merci de m'avoir invité.

LEVIN : Je ne savais pas à quel point les gens étaient obsédés par les oiseaux. C’est une réalité.

PRUM : C'est vrai, et c'est un phénomène en pleine croissance.

LÉVIN : Vraiment ?

PRUM : Vous savez, pendant la COVID, quand les gens avaient besoin de sortir, beaucoup de gens ont découvert que le plein air et l'observation des oiseaux - au même titre que le jardinage et l'adoption d'un chien - étaient l'une de ces choses qui inspiraient vraiment les gens.

LEVIN : Si j'ai bien compris, vous observiez les oiseaux très jeune. Vous étiez comme un enfant, et vous traîniez avec des adultes qui venaient vous chercher pour aller observer les oiseaux.

PRUM : Oui, j’ai eu mes premières lunettes en CM1, et le monde s’est éclairci. En quelques mois, j’étais ornithologue. Je réalisais déjà que ma vie serait peuplée d’oiseaux et j’essayais de comprendre ce que cela signifiait. Au début, c’était l’observation des oiseaux, puis l’étude académique de leur évolution et tout le reste.

LEVIN : Beaucoup de choses ont dû se dessiner. Qu'est-ce qui vous a particulièrement attiré vers les oiseaux ?

PRUM : Difficile à dire. Je me souviens très bien d'avoir vu un exemplaire du Peterson Field Guide dans une librairie et d'avoir regardé la couverture, où il y avait un macareux moine et un gros-bec errant, puis d'avoir regardé les cartes et d'avoir imaginé tous les endroits où il faudrait aller pour voir tous ces oiseaux. Et le côté romantique de tout cela, de ce voyage, de cette chasse, m'est apparu immédiatement.

LEVIN : Et vous voyagez dans le monde entier.

PRUM : Autant que possible. Ce genre de travail interfère avec cela, car il y a un besoin permanent d'aller dans pratiquement tous les pays, chaque petite chaîne de montagnes isolée du monde, chaque île, pour observer les oiseaux qu'ils abritent. C'est une priorité secondaire, mais c'est quand même une priorité de vie.

LEVIN : Observer les oiseaux me semble aussi être une forme d'écoute. Êtes-vous aussi passionné par le chant des oiseaux que par l'observation visuelle ?

PRUM : Absolument, vous savez, parce que j’étais attirée par les oiseaux au moment même où je commençais à porter des lunettes. Il s’avère que mon atout en ornithologie a toujours été mes oreilles, non ? Identifier les oiseaux par l’acoustique, les traquer. C’était vraiment mon atout. Mais malheureusement, j’ai commencé à perdre l’ouïe régulièrement, par malchance, par la maladie, pendant mes études supérieures, puis plus tard, vers la trentaine. Et maintenant, je suis vraiment malentendante, ce qui est un mauvais point pour un ornithologue. Mais les appareils auditifs sont une technologie fantastique. Ils sont très utiles, mais pas totalement.

LEVIN : Il y a donc un chant d'oiseau dont vous vous souvenez, mais que vous ne pouvez plus revivre.

PRUM : Tout un monde d'oiseaux. En fait, je me souviens avoir fait des recherches sur le terrain en 1994 sur un oiseau exotique appelé la philippine veloutée ( velvet asity) à Madagascar. C'était à l'époque où j'avais une perte auditive pas encore très avancée. J'ai obtenu une bourse de la National Geographic Society pour y retourner et étudier sa parade nuptiale, son comportement de parade nuptiale. Cet oiseau est noir profond avec des yeux verts qui se dandinent, et nous avions quelques informations sur sa saison de reproduction, mais pas suffisamment. J'ai donc obtenu cette bourse, je suis retournée et j'ai recruté trois personnes. Nous sommes allés directement à l'endroit du sentier où nous savions que nous trouverions ces oiseaux. Et il y avait un oiseau orange, à bandes orange, toujours perché sur le même arbre. Il a renversé la tête, a ouvert la bouche et a chanté, et je ne l'ai pas entendu. Et c'était un chant que j'avais décrit pour la science, n'est-ce pas ?

LÉVIN : Waouh.

PRUM : Il y a donc tout un monde d'oiseaux qui m'échappe. J'ai maintenant des appareils auditifs transpositeurs, ce qui m'aide à les entendre. Mais, vous savez, quand un piccolo, un saxophone et une flûte sont transposés au niveau d'un basson, ils sonnent tous pareil. Du coup, il me manque certains aspects de cela. J'ai dû développer une nouvelle façon de me rapporter à mon travail, et ce genre de défi personnel, on espère que ça marche, mais ça peut être un défi.

LEVIN : Tu t'es adapté. C'est une sorte de métaphore de la vie. Nos sens sont tous limités, n'est-ce pas ? On ne voit pas comme les oiseaux. On n'entend pas, on est tous confinés, même si c'est juste à notre portée humaine.

PRUM : Ouais.

LEVIN : Je voudrais aborder certaines des forces évolutives, la véritable science fondamentale qui façonne les oiseaux et leur prolifération. Et je voudrais commencer par cette idée fascinante : les oiseaux ne descendent pas des dinosaures, mais sont des dinosaures. Je trouve cela remarquable.

PRUM : En effet.

LEVIN : Pouvez-vous m’aider ? Je pensais qu’ils descendaient des dinosaures, et ça a été la grande révélation.

PRUM : Il est intéressant de noter que dire que les oiseaux descendent des dinosaures revient à imaginer la diversité de la vie comme une sorte d’échelle de la nature, où les éléments proviennent de niveaux inférieurs. Mais l’un des principes fondamentaux, et je pense important, de la biologie évolutionniste est l’idée que l’histoire de la vie est un arbre, une hiérarchie. Et la pensée arborescente, qui s’intéresse en fait à la façon dont ces lignées historiques sont liées les unes aux autres dans le temps, et aux événements de l’évolution auxquels nous pensons constamment – ​​l’origine de la plume ou celle de la syrinx, le gadget avec lequel les oiseaux chantent. Donc, oui, les oiseaux sont des dinosaures, ce qui implique qu’ils sont une branche au sein des dinosaures et que cette branche ne disparaît pas simplement parce que certaines branches ont disparu.

LÉVIN : Fascinant. Si je me souviens bien, corrigez-moi si je me trompe, dans L’Origine des espèces de Darwin, il n’y a qu’un seul dessin : l’arbre de vie. C’est bien ça ?

PRUM : Oui, c’était une phylogénie, une sorte de micro-imaginaire de spéciation sur des strates temporelles. Mais il conclut bien sûr son livre en affirmant que si tout cela a du sens, alors toute vie est liée à un grand arbre de la vie. Et c’est ainsi qu’est née l’idée d’arbre du vivant, à la fois comme construction intellectuelle et comme domaine empirique – une chose à découvrir. Et, bien sûr, c’est un travail considérable, et nous y travaillons encore, mais c’est un axe majeur et important de la biologie évolutionniste à l’heure actuelle.

LEVIN : Fascinant. Le sous-groupe auquel ils appartiennent est-il donc le théropode ?

PRUM : Oui. Les oiseaux font partie de cette espèce très populaire, bipède, principalement carnivore et très active.

LÉVIN : T-Rex.

PRUM : Ouais. Un vélociraptor qui poursuit les enfants dans la cuisine.

LEVIN : C'est amusant.

PRUM : Ce sont les dinosaures qui sont les plus proches des oiseaux vivants.

LEVIN : Et nous commençons à les voir apparaître dans les archives fossiles assez tôt, n'est-ce pas ?

PRUM : Bien sûr, le classique est bien sûr l’Archaeopteryx, un oiseau fossile découvert en Allemagne, dans du calcaire lithographique, au milieu du XIXe siècle. Il remonte au Jurassique supérieur, il y a donc 170 à 160 millions d’années. Et c’est ainsi que la quasi-totalité de la littérature scientifique portait sur cet oiseau. Ces trente dernières années, au Liaoning, dans le nord-est de la Chine, une série de découvertes tout simplement incroyables a été réalisée. Elles ont énormément contribué à l’enrichissement de nos connaissances. Des dizaines et des dizaines d’espèces, de toutes origines, sont aujourd’hui présentes dans cette région.

LEVIN : Je m’interrogeais aussi sur l’immense variété des espèces d’oiseaux. Cette incroyable diversité est-elle propre aux oiseaux ? Est-ce moderne, ou pensons-nous que c’était pareil avec les dinosaures ?

PRUM : Bien sûr, si vous étudiiez les coléoptères, vous ririez de l'affirmation selon laquelle il y a beaucoup d'oiseaux. Ah ! Ah, on a des genres entiers qui ne sont qu'un seul genre, avec plus d'espèces que tous vos oiseaux, n'est-ce pas ? Donc, oui, toutes ces affirmations sont relatives.

Mais l'un des aspects les plus intéressants, à mon avis, et qui a contribué à la diversité des oiseaux, c'est leur complexité cognitive. Leurs choix sociaux et sexuels conduisent à la différenciation, ce qui signifie qu'ils peuvent se spécier rapidement. Ils peuvent devenir différents, et irréversiblement différents. Et je pense que cela y a vraiment contribué.

Un autre facteur est la migration. Ils peuvent vivre au même endroit, puis s'envoler sur un autre continent pour une autre période de l'année. Cela signifie que l'été est presque interminable, qu'ils surfent sur les vagues à différents endroits. Cela permet quelque chose que les organismes sessiles*, ou même les organismes à déplacement lent, ne peuvent pas réaliser. Et ce genre de phénomènes a, je pense, grandement contribué au nombre d'espèces d'oiseaux.

LEVIN : Lorsque vous examinez certains de ces documents archéologiques, pouvez-vous dire quand les plumes ont commencé à apparaître et si elles étaient immédiatement liées à la fonctionnalité du vol, ou y avait-il une autre raison pour laquelle elles auraient pu évoluer vers des plumes ?

PRUM : Oui. L’origine des plumes a toujours été au coeur de la question, au même titre que celle des oiseaux. Les oiseaux, les plumes et le vol. C’est comme la sainte trinité de l’ornithologie, non ?

Alors, d'où et comment viennent ces plumes ? Depuis le milieu du XIXe siècle, nous nous concentrons tous sur l'Archaeopteryx, cet étonnant fossile présentant de nombreux états intermédiaires entre les oiseaux et les reptiles modernes. Mais il faut savoir que ses plumes étaient presque entièrement modernes. On ne pouvait donc rien apprendre sur l'origine des plumes de l'Archaeopteryx, si ce n'est en observant un pigeon écrasé sur la route, n'est-ce pas ? C'est bien le cas. Ce sont des plumes.

Pendant plus d'un siècle, la littérature scientifique s'est limitée à imaginer une évolution à rebours, de la complexité moderne à une espèce ancestrale de plumes. L'idée d'adaptation comme force puissante, la sélection naturelle comme force puissante dominant tout dans l'évolution, étant si forte, la plupart des gens pensaient que les plumes étaient évidemment bénéfiques pour le vol. Ainsi, en imaginant une évolution à rebours, des plumes modernes à un antécédent, nous devrions probablement envisager un élément qui évoluerait pour le vol. L'idée principale était celle des écailles allongées : les plumes sont des structures cutanées partageant certaines caractéristiques développementales avec les écailles. Nous imaginions des écailles s'allongeant, comme les bardeaux d'une maison, puis prenant l'air, et enfin, les oiseaux évoluant pour investir dans le vol plané. Et qu'au final, on obtiendrait des plumes. Bien sûr, cela a guidé les recherches des gens, mais ils ne l'ont jamais trouvées. L'une des raisons est qu'ils cherchaient quelque chose d'absurde. Cela n'avait aucun rapport avec l'évolution des oiseaux.

Ce qu'il nous faut vraiment faire, c'est essayer de comprendre ce modèle – la pensée arborescente, n'est-ce pas ? Quels étaient les stades de développement des plumes et comment se répartissaient-ils sur l'arbre ? Et dans ce cas, le développement. Nous avons donc élaboré une théorie de l'origine des plumes basée sur leur croissance. Cela impliquait que les plumes étaient d'abord tubulaires, puis une touffe, puis une veine, une surface plane – mais non intégrée – et enfin une veine reliée par une fermeture éclair. Ainsi, seule cette plume, la plus complexe, pouvait fonctionner pendant le vol. Autrement dit, dire que les plumes évoluent pour le vol, c'est comme dire que les doigts évoluent pour jouer du piano. C'est la technique la plus avancée que l'on puisse faire avec les doigts, n'est-ce pas ? Nous avons, je pense, une très bonne idée de ce que les plumes étaient à ces premiers stades, mais nous avons encore une idée très large de ce à quoi elles auraient pu servir. Elles auraient pu servir d'isolant si elles étaient duveteuses, comme des cheveux. Ou bien de piquant de porc-épic, non ? Ou encore de défense. Mais il est clair que la thermorégulation, l'imperméabilité, le camouflage et les manifestations sociales étaient probablement toutes des fonctions très anciennes, n'est-ce pas ? Le vol est la dernière fonction à laquelle les plumes ont été utilisées.

LEVIN : Fascinant. Et on pense que les dinosaures étaient colorés ? On me montrait toujours dans les musées d'histoire naturelle des sortes de dioramas gris-brun, non ?

PRUM : Là encore, il fallait extrapoler à rebours. Vous savez, nous recréons à partir de ces matériaux l’apparence de la peau et des muscles, puis celle de la surface, n’est-ce pas ? Beaucoup de spéculations donc. Mais pendant la majeure partie de l’histoire, on s’est inspiré des alligators ou des crocodiles pour imaginer à quoi ressemblaient les dinosaures, et c’était terne, verdâtre et sans ornements. Mais maintenant que nous savons que les plumes ont évolué chez les dinosaures thérapodes – avant l’apparition du vol et des oiseaux – la vraie question est : à quoi servaient-elles ?

Dans le cadre de mes travaux en ornithologie, j'ai étudié l'origine des plumes, puis beaucoup étudié la coloration des oiseaux et leurs couleurs structurelles particulières, les couleurs optiques et les plumes d'oiseaux, et plus récemment les pigments. Mais je n'aurais jamais imaginé que ces deux axes de recherche convergeraient. C'est pourtant ce qui s'est produit à la fin des années 2000. L'occasion s'est présentée d'étudier l'extraordinaire préservation des pigments. Il s'avère que les mélanines, comme celles qui composent les cheveux roux, bruns et noirs chez l'homme, se fossilisent magnifiquement dans des conditions optimales.

LÉVIN : Vraiment ?

PRUM : Oui, ils sont contenus dans la cellule, dans la cellule vivante, dans ce qu’on appelle un mélanosome, où les pigments sont polymérisés en une molécule durable, qui ressemble à un petit paquet. Il est lié à une membrane et est transmis aux cellules du poil ou des plumes. Les chercheurs ont commencé à observer des fossiles de plumes au microscope électronique, et ils ont vu ces petits granules, pensant qu’il s’agissait de bactéries ayant mangé la plume au moment de sa fossilisation. Mais il s’est avéré que ce n’étaient pas des bactéries – quelque chose de la même taille, d’apparence très similaire – mais des mélanosomes.

Nous avons donc pu, tout d'abord, découvrir que les mélanosomes se fossilisent magnifiquement. Ce sont des mélanosomes, et non des bactéries. Et puis, fait intéressant, il s'avère que, du moins chez les oiseaux, les mélanosomes varient en forme de couleur. La phéomélanine, les mélanines rouge-brun à poils roux, ont plutôt la forme d'un bonbon gélifié, et l'eumélanine, celle d'un hot-dog. Cela nous a permis de diagnostiquer la couleur de certains dinosaures. C'était vraiment passionnant. L'étude de la coloration fossilisée est désormais un domaine majeur de la paléontologie.

LEVIN : Comment comprendre la perception des couleurs par les oiseaux, par exemple, ou par les dinosaures ? Même les oiseaux vivants, les oiseaux modernes, nous semblent d'une certaine manière, mais ils peuvent être très différents les uns des autres.

PRUM : Eh bien, nous y travaillons. Bien sûr, c’est un vaste domaine. De nombreux laboratoires dans le monde se concentrent sur l’écologie sensorielle aviaire, l’écologie sensorielle visuelle. Il s’avère qu’en regardant autour de nous, dans presque tous les environnements, on observe une incroyable diversité de couleurs. J’ai plein de livres, une casquette de baseball. Je regarde dehors et je vois des fleurs magnifiques dans le jardin, n’est-ce pas ? Toutes ces couleurs. Eh bien, il s’avère que notre vision des couleurs, améliorée, est plutôt médiocre par rapport aux autres vertébrés. Nous n’avons rien comparé aux oiseaux. Il s’avère que les oiseaux voient quatre couleurs : le rouge, le vert, le bleu, mais aussi le violet ou l’ultraviolet – il y a un quatrième cône.

LÉVIN : Comme hors de portée de la vision humaine.

PRUM : Oui, il voit bien jusque dans le proche UV. Et, pour faire court, les oiseaux voient ces couleurs. Ils les créent dans leurs plumes, souvent avec des structures, parfois avec des pigments. Et elles ont évolué au quotidien.

Ce qui est vraiment intéressant, c'est qu'il s'agit de bien plus qu'une simple extension de la sensibilité aux couleurs. En astronomie, on dit toujours : " Waouh, on a installé ce nouveau télescope, il détecte une toute nouvelle gamme de longueurs d'onde. On obtient des images inédites, pas vrai ? " C'est dû à cette amplitude. Mais il s'avère que la sensation de couleur résulte toujours d'une comparaison de la stimulation relative de différents canaux. Le jaune est un stimulus des canaux vert et rouge. Le turquoise est un stimulus des canaux bleu et vert. Le jeu des couleurs résulte donc de ce stimulus relatif. Il s'avère que les oiseaux, puisqu'ils voient les UV, ont une toute nouvelle dimension de perception des couleurs. Ils voient des couleurs comme le jaune ultraviolet et le vert ultraviolet, qui sont aussi différentes du vert et du jaune que le violet l'est du rouge ou du bleu. Nous savons maintenant qu'ils perçoivent ces couleurs comme distinctes, qu'ils peuvent les apprendre et faire des choix en fonction d'elles. Et cela témoigne de la richesse de leurs systèmes sensoriels et de la façon dont ils les utilisent dans leur plumage et leur vie sociale.

LEVIN : Fascinant. Je suppose qu’il ne m’était jamais venu à l’esprit qu’une partie de ce que nous percevons comme des couleurs n’est qu’une hallucination mentale, n’est-ce pas ? Que nous ne percevons pas les couleurs de manière linéaire sur le spectre. Nous superposons les couleurs et créons, dans notre esprit, l’impression de quelque chose comme du violet ou, dans le cas des oiseaux, du jaune ultraviolet. Alors, quel est, selon vous, le rôle de cette riche perception et de cette exposition des couleurs chez les oiseaux ? Est-ce un mécanisme de défense ou simplement un avantage pour l’accouplement ? Qu’est-ce qui rend les oiseaux si incroyablement colorés ?

PRUM : Oui. Eh bien, cette question a plusieurs facettes. L’une d’elles est qu’au moins une partie de ce système a évolué chez les poissons, n’est-ce pas ? La sensibilité aux quatre couleurs, c’est ancestral. Excellente idée. Probablement nécessaire pour la perception trouble dans l’eau, pour trouver de la nourriture et toutes sortes de choses de ce genre. Mais une fois que les vertébrés sont arrivés sur terre, ils ont soudainement acquis toutes ces capacités sensorielles. Ils n’allaient pas les abandonner. Ils allaient les utiliser. Et ils les ont utilisées, bien sûr, pour la recherche écologique de nourriture, la détection des prédateurs, la recherche de proies, tout ce que font les vertébrés. Mais, bien sûr, lorsqu’ils deviennent socialement complexes et qu’ils s’intéressent au choix du partenaire ou à d’autres types d’interactions sociales, ces systèmes sensoriels vont être mis à contribution dans ces décisions.

Et vous vous retrouvez avec une interaction dynamique entre la biologie sensorielle et la biologie des organismes.

STROGATZ : Waouh ! C’était totalement nouveau pour moi. Je n’avais jamais entendu ça. Même l’idée de la perception ultraviolette était nouvelle pour moi.

LEVIN : Oui, j'avais déjà entendu ça, mais il a vraiment développé ce point : les oiseaux visualisent différemment. Parfois, on voit un oiseau ordinaire, mais eux, ils voient quelque chose de très vivant.

STROGATZ : C'est intéressant d'y penser, car un rouge-gorge, par exemple, a la poitrine orange, mais son apparence est plutôt terne. Je me demande si on sait ce qu'un oiseau pourrait voir. Y a-t-il un moyen de nous le faire comprendre ?

LEVIN : Exact. Je pense que c'est comme tout : si on observe l'ultraviolet astronomiquement, il faut le cartographier par rapport à quelque chose que l'on peut voir de toute façon. Mais oui, j'ai observé ça du mieux que j'ai pu. C'est incroyablement différent, mais cela a vraiment mené à quelque chose que je trouve assez profond, à savoir la beauté et son rôle.

Eh bien, nous allons faire une petite pause, mais à notre retour, Rick Prum nous décrira pourquoi certains oiseaux sont si beaux, pourquoi certains oiseaux sont si laids, et pourquoi cela pourrait en fait être controversé et conduire à des réflexions plus approfondies sur Darwin et la sélection naturelle.

(musique) 

LEVIN : Bienvenue. Nous sommes avec Rick Prum, professeur à Yale, pour discuter de l’évolution des oiseaux.

Au XIXe siècle, je sais que vous en avez beaucoup parlé dans votre travail, Charles Darwin s'est vraiment débattu du rôle de l'esthétique des oiseaux.

La célèbre parade du paon, si flagrante et parfois contraire aux besoins de survie, est célèbre. Et je crois que Darwin détestait cette plume de paon.

PRUM : En effet. Il a dit, vous savez, la vue de la queue d'un paon, chaque fois que je la regarde, me rend malade, n'est-ce pas ?

LÉVIN : Et pourquoi a-t-il dit cela ?

PRUM : Eh bien, parce qu’il était confronté à un défi intellectuel. Il essayait de trouver une explication naturaliste de la biodiversité. Ainsi, après avoir publié L’Origine des espèces en 1859 et proposé la sélection naturelle comme force motrice de l’évolution de la diversité, il s’est rendu compte qu’il avait un problème. Et l’un de ces problèmes était un problème de beauté, n’est-ce pas ? Il a compris que les ornements, les bois, etc., le chant des oiseaux, le plumage éclatant, n’étaient d’aucun secours à la survie ou à la fécondité – vous savez, à l’élevage de nombreux bébés. Ils devaient avoir une fonction différente. Ainsi, au lieu de se reposer sur ses lauriers de scientifique le plus célèbre du monde, il a fait volte-face et a proposé un autre mécanisme d’évolution, qu’il a appelé la sélection sexuelle, conséquence de différences de succès d’accouplement et de fécondation. Il a suggéré deux modes possibles : la compétition physique pour le contrôle des chances d’accouplement, généralement entre mâles, et le choix du partenaire, où les individus des deux sexes pouvaient, selon leurs perceptions, choisir un partenaire.

Et dans ce domaine, il a explicitement fait appel au langage esthétique. Il a décrit la capacité des oiseaux à charmer. Il a décrit les préférences d'accouplement comme des critères esthétiques. Et il a également clairement indiqué que cette idée de sélection sexuelle était distincte de l'adaptation, n'est-ce pas ? Il a affirmé que ces formes avancées de beauté pouvaient servir à l'attraction, et à aucune autre fin, c'est-à-dire à aucune autre fin adaptative, n'est-ce pas ? Il a proposé une idée entièrement nouvelle.

LEVIN : Dites-vous vraiment que la sélection sexuelle a été proposée comme étant fondamentalement différente de la sélection naturelle, par opposition à un sous-ensemble complexe de la sélection naturelle ?

PRUM : Oui, absolument. Et cette réaction de contrôle, visant à rétablir la sélection sexuelle au ranch ( rires ), faisait partie de la réponse immédiate à la proposition de Darwin en 1871, dans La Filiation de l’Homme . Il voulait pouvoir décrire ces ornements, et il savait que, dans certains cas, ils pouvaient être compatibles avec l’adaptation par sélection naturelle – c’est-à-dire qu’un mâle pouvait effectivement signaler qu’il était supérieur. Mais il a explicitement gardé cela à part. Mais la théorie de Darwin selon laquelle la compétition masculine structurait le monde social et sexuel des animaux était si cohérente avec la culture victorienne qu’elle a été un grand succès. C’était instantané. Je pense que cela a largement contribué à faire accepter l’idée de l’évolution en général.

LÉVIN : Des hommes se disputent, se battent pour un territoire.

PRUM : C’est vrai. Mais son idée selon laquelle le choix du partenaire, en particulier celui de la femelle, était une force de la nature, était une grande erreur.

LEVIN : Cela suggérait que les femmes avaient plus de pouvoir qu’elles ne devraient en avoir dans une société victorienne.

PRUM : Et, en effet, même dans certaines des premières critiques du livre, beaucoup étaient explicitement misogynes. La préférence féminine sera un jour d'une certaine manière, et une autre d'une autre. Comment pourrait-on en arriver à quelque chose d'aussi incroyable que la queue du paon ?

Mais la véritable critique qui a mis fin à cette idée était l'idée que, si cela devait se produire, ce serait sous le contrôle de la sélection naturelle. Autrement dit, le choix du partenaire serait toujours orienté vers l'amélioration, vers une amélioration objective – le partenaire absolument le meilleur, n'est-ce pas ? Et ce genre de réponse a conduit les gens à dire : " Si c'est le cas, alors la sélection sexuelle est comme la sélection naturelle, et nous n'en avons plus vraiment besoin. " C'était la réponse d'Alfred Russell Wallace. Nous n'avons plus vraiment besoin de sélection sexuelle. Et c'est exactement ce qui s'est passé pendant près d'un siècle : la sélection sexuelle était une idée étrange de Darwin, reléguée aux oubliettes. Et lorsqu'elle a été relancée un siècle plus tard, dans les années 1970, elle est revenue sous une forme wallacienne, une sorte de sélection naturelle. Et cela fait toujours l'objet d'un débat intellectuel. 

LEVIN : Et vous n'y croyez pas par la façon dont vous formulez vos propos.

PRUM : Évidemment, nous pouvons structurer ces idées sur les processus comme bon nous semble. Les animaux s’en moquent. Cela continuera d’avoir lieu. La question est : quelles sont les définitions qui favorisent le plus le progrès des connaissances ? Et je pense, et je le soutiens depuis longtemps, que nous devrions envisager ou créer une biologie authentiquement darwinienne – rétablir cette séparation entre sélection sexuelle et sélection naturelle, et considérer les formes adaptatives de la sélection sexuelle comme une interaction particulière entre ces deux forces.

LEVIN : Hmm. J’aimerais parler de l’aspect social des oiseaux qui se livrent à ces parades. Ont-ils tendance à être plus sociables ? Tous les oiseaux ne chantent pas, et ceux qui chantent dansent aussi ? Et ceux qui chantent et dansent ont tendance à avoir plus de cohésion sociale et à développer des réseaux sociaux plus nombreux ?

PRUM : Toutes sortes d’écologies favorisent toutes sortes d’organisations sociales. Et celles-ci sont primordiales. La nourriture est distribuée de cette façon, et il faut énormément d’aide pour… élever les petits. Toutes ces caractéristiques écologiques vont structurer le fonctionnement des systèmes de reproduction, ou de la vie familiale, chez les oiseaux.

Et ce qui est formidable, c'est qu'il existe environ 12 000 à 15 000 espèces d'oiseaux. On a tout un tas de situations différentes, non ? La grande majorité d'entre elles sont monogames, avec au moins deux parents sociaux au nid, qui élèvent la progéniture. Il y a aussi des espèces sauvages qui paradent, les plus extrêmes avec des mâles qui se prosternent et dont les soins sont exclusivement assurés par les femelles. Il y a aussi des espèces polyandriques, comme les jacanas, avec leurs longs doigts sur les nénuphars, où la femelle est 40 % plus grande que le mâle. C'est presque aussi grand qu'un gorille de montagne, mâle à femelle. Mais là, c'est femelle à mâle. Les femelles sont énormes, elles occupent une grande partie du marais. Et si elles ont suffisamment de ressources, plusieurs mâles nichent avec elles. La femelle pond les oeufs, et les mâles s'occupent de tous les soins parentaux. Il existe donc une grande variété de systèmes sociaux et de reproduction. Et, pour chacun d'eux, la communication, la couleur et le chant sont essentiels à leur survie.

LEVIN : Donc, si l’organisation sociale fait partie de l’adaptation, la sélection naturelle peut favoriser ou éloigner ces types d’arrangements sociaux. Pourrais-je aussi imaginer que la sélection sexuelle ne soit qu’une variante de ce spectre, que les animaux qui sélectionnent sexuellement le fassent pour la survie de l’organisation sociale ? Qu’il ne s’agit pas seulement de la survie de l’individu, mais aussi de la façon dont l’espèce a réussi socialement.

PRUM : Oui, cette idée unificatrice est séduisante. Cependant, il est clair que, lorsqu’on étudie la biodiversité, on constate que le chant est un élément très spécifique du phénotype, du comportement de l’individu, et qu’il se manifeste dans certains contextes, à certains moments. Donc, pour expliquer cette partie du phénotype, il faut examiner plus précisément le fonctionnement du chant. Ou comment fonctionnent ces taches de plumage. Et ce faisant, on découvre que, selon ces explications généralisées, tout est une question de survie. Ce n’est pas assez précis, à mon avis.

LEVIN : J’ai aussi entendu dire que ce sont peut-être des femmes qui dirigent le chant. Elles aiment telle chanson, n’aiment pas telle autre, et guident le chant pour qu’il évolue au fil du temps.

PRUM : Je veux dire, si les oiseaux sont si beaux, c’est parce qu’ils font des choix, n’est-ce pas ? Ils ont une perception sensorielle, une sorte d’évaluation cognitive : " Ça me plaît ou pas ? " Et ils choisissent ce qu’ils aiment, et ils s’y tiennent. Ou, dans le cas du serpent corail, c’est l’inverse : un genre d’horreur dans le monde naturel. Ah, fuyez, n’est-ce pas ? La nature ne se contente pas de créer de la beauté. Elle peut créer de la beauté, du dégoût, ou bien d’autres formes d’esthétique. Donc, quand on a une procession sensorielle, une évaluation cognitive et un choix, on aboutit à une évolution d’un aspect du corps ou du comportement qui fonctionne dans le cerveau d’autres oiseaux. Et cela n’est pas soumis aux mêmes contraintes que le bec d’un pinson qui casse une noix, ou que celui d’un pic qui s’écrase contre un arbre pour se nourrir. Et je pense que ce genre de caractéristiques est à juste titre qualifié d’esthétique, et je le dis d’un point de vue scientifique, au même titre que Darwin. L’évolution esthétique est donc une caractéristique importante de la vie sociale et sexuelle des animaux. Et cela se distingue par le fait qu’il nécessite une explication distincte, par rapport à l’adaptation.

LEVIN : Il est très facile de se laisser emporter par le fait de dire : " Oh, le paon est magnifique, et tous ces oiseaux sont magnifiques, et nous, peut-être que la beauté est en quelque sorte ce caractère objectif que l'on recherche dans le règne animal. " Mais vous avez évoqué d'autres variantes, et je suppose que vous êtes, celles-ci relèvent de la catégorie esthétique, mais il y a des oiseaux vraiment laids.

PRUM : Je suppose qu'on devrait dire moche à qui ?

LEVIN : Exactement. Alors, qu'entendons-nous par beau ?

PRUM : Oui. L’oiseau le plus laid est peut-être le bébé pigeon. Et, bien sûr, beaucoup de gens ont l’occasion d’en voir sur le rebord de la fenêtre de leur appartement, par exemple, n’est-ce pas ? Vraiment laid, pour nous. Et pourtant, quand les parents s’occupent d’oisillons, ils ont une perception sensorielle, une évaluation cognitive et un choix. Quel oisillon vais-je nourrir ? Et à partir de ces éléments, on observe l’évolution de la gentillesse, la co-évolution de la gentillesse, où les parents trouvent le bébé mignon et les bébés évoluent. Il existe donc toutes sortes d’oiseaux sauvages avec des plumes touffues et des motifs buccaux colorés et magnifiques.

LEVIN : L’un de mes préférés est le mouvement incroyablement long de certains de ces oiseaux, qui semble tout simplement impraticable, surtout si vous devez voler.

PRUM : Et aussi des sacs d'air gonflés. Ce sont toutes des caractéristiques esthétiques intéressantes dans différentes communautés esthétiques que je considère comme naturelles dans notre monde.

LEVIN : Ce qui me pose problème, c'est : comment cela commence-t-il ? Suggérez-vous qu'il existe une raison objective pour laquelle une longue démarche est belle, ou que ces hideux petits pigeons sont vraiment mignons, sans sélection naturelle ni avantage évolutif ? Comment cela se produit-il ? Pourquoi un oiseau choisirait-il cela, en dehors de la sélection naturelle ?

PRUM : Comment cela pourrait-il commencer ? C’est une question importante, n’est-ce pas ? En général, la question est posée, du moins en ornithologie, de savoir comment expliquer l’origine du chant chez le troglodyte familier. Mais le fait est que le choix du partenaire chez les oiseaux a commencé au Jurassique ; ils font des choix depuis très longtemps. Il est donc antiscientifique d’imaginer que nous devrions réfléchir à l’origine du chant chez une espèce. Leurs grands-parents choisissaient déjà. Comment expliquer l’origine du sexe chez les primates ? Cela ne s’est pas produit chez les primates. Donc, si nous voulions comprendre l’origine du choix, nous devrions nous pencher sur des espèces particulières, là où ce phénomène est en train de se produire. Et aucun d’entre eux n’est un oiseau, n’est-ce pas ?

Mais oui, il y a beaucoup de théorie dans ce domaine. Et, évidemment, l'un des aspects est de dire, même si l'on commence par dire : " Oh, je vais préférer une plus grande taille, car cela signifie que l'individu a eu une bonne alimentation ", quelque chose qui est directement lié à des informations objectives et exploitables, potentiellement rentables ou avantageuses sur le plan évolutif. Le défi, bien sûr, c'est qu'une fois qu'on a le choix, on a la possibilité de mentir, de falsifier. Le mensonge et la tricherie corrompent le contenu informatif de l'ornement, et ce processus fait partie intégrante de la vie. Et l'idée que les oiseaux sont en quelque sorte spéciaux, et que la préservation de la pureté et du contenu informatif de leurs signaux, est un fantasme. Et il y a effectivement un problème intellectuel : essayer de faire croire aux gens que certaines choses peuvent échapper à l'adaptation par la sélection naturelle, qui peuvent être sous-optimales. Ou même nier qu'elles sont omniprésentes. C'est donc en quelque sorte mon travail intellectuel : essayer de continuer à promouvoir ce point de vue.

LEVIN : Hum. C'est une distinction intéressante. D'une certaine manière, vous suggérez qu'il y a eu sélection, peut-être, mais qu'on a menti à la femelle. C'était une exagération de la condition physique, ou plutôt une sorte d'excès de complaisance, et cela s'est éloigné de ce qui aurait pu être initialement sélectionné sur la seule base de la condition physique.

PRUM : Eh bien, si l’on s’en tient au dessin humoristique, au départ, des femelles choisissant l’apparence des mâles, ce qui est un contexte très spécifique, pas universellement répandu. Mais, généralement, l’idée ici, issue de l’écologie comportementale, est que les spermatozoïdes sont bon marché. Ils sont nombreux, et tous les producteurs de sperme rivalisent pour promouvoir leurs intérêts particuliers. Ainsi, l’idée du mâle menteur et tricheur, prêt à tout pour améliorer sa condition physique, n’est ni lointaine ni fantaisiste. C’est en quelque sorte le cliché standard de la biologie évolutionniste, n’est-ce pas ? En revanche, nous avons des ovules, rares, chères, qui nécessitent plus d’investissement, et nous devrions être plus prudents. Ainsi, affirmer que les signaleurs mentent et trichent est attendu n’est pas une hypothèse lointaine ni difficile à admettre, n’est-ce pas ?

L'idée, bien sûr, c'est que la biologie évolutionniste maintient l'intérêt pour ce que nous appelons la signalisation honnête, l'idée que la beauté encode des informations sur la qualité, sur le fil du rasoir, n'est-ce pas ? Là où le signal conserve son intégrité, et où les tricheurs ne peuvent pas le compromettre. Je pense que si l'on observe d'autres communautés esthétiques, comme la haute couture par exemple, on constate qu'il y a beaucoup de choses qui connaissent un succès extraordinaire, et qui sont pourtant incroyablement peu pratiques. Et, en effet, j'adore lire les pages consacrées à la mode, que je trouve complètement insondables, et où l'on investit clairement beaucoup. Des millions et des milliards de dollars sont investis dans telle couleur, tel ourlet, tel style. Et puis il y a de véritables expressions artistiques, et c'est presque un monde que je ne comprendrai jamais. Mais cela illustre la nature fondamentale des bulles boursières au sein d'un système basé sur les choix. Je pense qu'il y a de nombreuses raisons d'imaginer qu'une beauté rationnellement exubérante existe dans la nature.

LEVIN : Suggérez-vous que les talons aiguilles ne sont pas pratiques pour survivre ? ( rires )

PRUM : Absolument. Absolument.

LÉVIN : Je ne comprends pas !

PRUM : Et maintenant, nous en arrivons à l’idée lancée par Amotz Zahavi, un ornithologue israélien, qui a proposé ce qu’il a appelé le principe du handicap, dans les années 70. C’était une idée intellectuelle sur la façon de préserver l’honnêteté, par exemple, si tout le monde ment et triche. Il a proposé que le moyen de coder l’honnêteté passe par le coût du signal, n’est-ce pas ? Et si c’était plus coûteux, si les individus n’avaient pas les ressources nécessaires pour fabriquer cette queue incroyablement coûteuse, ou pour maintenir leur équilibre en talons aiguilles, ils montraient qu’ils étaient en réalité meilleurs, car ils pouvaient gaspiller cette énergie, cet investissement. Le principe du handicap de Zahavi est probablement, à mon avis, totalement hors de propos pour la nature.

LEVIN : Oh, donc vous rejetez totalement cela, parce que j’ai entendu ces arguments.

PRUM : Eh bien, la seule façon pour que cela fonctionne, c’est que les ressources soient distribuées comme de l’argent. Autrement dit, qu’il y ait réellement de l’argent à gaspiller, n’est-ce pas ? Il faut que ce soit non linéaire. Il faut en obtenir davantage, puis en avoir suffisamment pour s’accumuler. Et il s’avère que le nombre d’études ayant réellement tenté de tester cette hypothèse essentielle du principe de Zahavi est extrêmement faible. Les gens adorent l’idée, la poursuivent et s’y accrochent, sans vraiment se demander si elle a du sens.

LEVIN : Pensez-vous qu’il existera un moyen de réaliser des expériences et des observations qui permettraient de résoudre ce problème ? Cela me semble être un sujet de débats houleux et controversé au sein de la communauté.

PRUM : Oui. L’un des aspects regrettables, qui s’applique au principe du handicap, mais aussi au choix adaptatif du partenaire en général, est ce qui est considéré comme une falsification. Actuellement, et de manière générale, dans l’histoire de la littérature, les gens – parce qu’ils placent la sélection sexuelle, par définition, dans la sélection naturelle, et parce que la sélection naturelle est par définition une adaptation – ne pensent pas avoir besoin d’un modèle nul, n’est-ce pas ? Ils se disent : " Eh bien, c’est évidemment pertinent. " Et donc, ils cherchent sans cesse des coûts pertinents, ou une association avec de bons gènes ou un territoire de haute qualité – le genre d’avantages que l’on pourrait tirer du choix d’un beau mâle ou d’une belle partenaire. Et s’ils les trouvent, ils publient et obtiennent un poste permanent. S’ils ne les trouvent pas, ils risquent de ne pas terminer leurs études, de ne pas publier leurs articles et d’obtenir un poste permanent.

Et ce que j'ai soutenu, c'est que cela signifie que l'adaptation par sélection naturelle devient une hypothèse de foi, n'est-ce pas ? Si on ne peut pas la réfuter, si tout le monde dit : " Oh, vous n'avez pas cherché assez longtemps pour comprendre comment ce chant d'oiseau code la qualité ", ce qui est presque la norme dans le domaine, alors cela devient non scientifique. Je propose donc que la sélection sexuelle esthétique, arbitraire ou authentiquement darwinienne, constitue le modèle nul. Il appartient à ceux qui croient que la beauté a un sens, codé par la qualité, de le démontrer. Et s'ils ne l'ont pas démontré, cela signifie que c'est arbitraire. Et je travaille toujours sur ce modèle nul, euh, le mouvement.

LEVIN : Hmm. Quelles sont les prochaines étapes de vos recherches qui vous passionnent vraiment ces derniers temps ?

PRUM : Waouh ! Ça fait 50 ans que j'observe les oiseaux et 40 ans que j'étudie l'ornithologie et la biologie évolutive. Et je continue à avoir de nouvelles idées tout en conservant mes centres d'intérêt. Du coup, on est tellement dispersés que l'on fait plein de choses différentes.

En ce moment, sur mon disque dur, les manuscrits que je dois réviser, ou les projets pour lesquels des ensembles de données ont été reçus cette semaine, incluent la transcriptomique des plumes. Nous étudions les ARN exprimés dans les cellules individuelles d'une plume en développement. Nous voulons donc comprendre comment les différentes cellules qui composent une plume complexe utilisent leurs génomes pour créer des cellules de tailles, de formes et de couleurs différentes, n'est-ce pas ? C'est amusant. Nous étudions la théorie de la génétique des populations, essayant de montrer qu'en supprimant la sélection sexuelle de la sélection naturelle, de manière authentiquement darwinienne, nous pouvons encore approfondir notre réflexion sur le fonctionnement de l'évolution. Nous nous intéressons à l'évolution des oiseaux, à la maturation retardée du plumage : pourquoi certains oiseaux, au lieu d'atteindre directement un plumage adulte, passent par un stade d'adolescence intermédiaire ou plus jeune. Il s'agit essentiellement de l'évolution des signaux de l'adolescence chez les oiseaux. Nous avons également abordé l'optique et la physique de la couleur, ainsi que certains pigments d'oiseaux étranges. Toutes sortes de sujets de ce genre.

LEVIN : Vos centres d’intérêt sont manifestement très variés. Et qu’est-ce qui, dans votre travail, vous apporte de la joie au sein de cette diversité d’idées ?

PRUM : On ne scrute pas trop la source du sens, n'est-ce pas ? Parce qu'on ne sait jamais. Mais pour ma part, d'une certaine manière, j'adore les oiseaux. Et donc, quand j'ai l'occasion d'apprendre quelque chose de nouveau à leur sujet, c'est un plaisir. Et puis, comme on l'a dit, je travaillais sur les plumes fossiles et les dinosaures, ainsi que sur les pigments et les plumes d'oiseaux, et tout à coup, de manière inattendue, ces deux domaines se sont réunis pour donner naissance aux couleurs des plumes fossiles de dinosaures, n'est-ce pas ? Il y a donc ce genre de retour d'expérience qui se produit, quand on a suffisamment de décennies dans le métier, c'est vraiment merveilleux.

LEVIN : Rick, merci beaucoup de nous rejoindre ici pour " La Joie du Pourquoi " . Ce fut un réel plaisir.

PRUM : Avec plaisir. Et merci de m'avoir invitée.

(Musique)

STROGATZ : Eh bien, cette remarque de Rick me touche vraiment. Plus on apprend, plus tout prend du sens. Vous savez, les connexions croisées font partie intégrante du plaisir, et ce n'est pas seulement le fait d'être scientifique, c'est le plaisir d'être vieux et de se souvenir des choses tant qu'on le peut encore. Le monde prend de plus en plus de sens, pas tout du moins, mais il devient plus riche et plus cohérent.

LEVIN : Donc vous n'êtes pas de la philosophie : plus je sais, moins je comprends.

STROGATZ : Il y a aussi ça. Il faut que ça existe.

LEVIN : Exact. Ce qu’il décrivait également à propos de l’approche multiforme des plumes était tout simplement fascinant. La chimie de la mélanine et la coloration des plumes. Comment les plumes ont-elles évolué ? Étaient-elles destinées au vol, ou le vol est-il arrivé plus tard ? De nombreuses raisons expliquent l’apparition et la prévalence des plumes. Voler, c’est le summum de ce qu’on pouvait en faire. C’est donc la combinaison de toutes ces différentes caractéristiques, dans quelque chose que nous tenons pour acquis chez les oiseaux : leurs plumes.

STROGATZ : C'est formidable. Il y a beaucoup de perspectives différentes sur des sujets auxquels on ne pense pas habituellement, ou alors on a tendance à réfléchir de manière restreinte.

Il existe une tradition ancienne, remontant au moins à Carl Popper, selon laquelle les arguments traditionnels de Darwin sur la sélection naturelle sont circulaires. Ils ne sont pas falsifiables. C'est le critère de Popper.

La théorie de l'évolution pose donc ce problème majeur : comment savoir si une espèce est bien adaptée, qu'elle se reproduit davantage et pourquoi ? Parce qu'elle est plus adaptée, vous savez.

LEVIN : Oui, je pense qu’il veut dire que si vous êtes tellement influencé par la sélection naturelle basée sur le fitness et que vous ne vous interrogez même pas sur l’existence d’une autre théorie, vous ne la découvrirez jamais. Vous supposerez simplement que tout repose sur l’argument initial et vous continuerez jusqu’à la découverte.

STROGATZ : J'ai aussi été très impressionné par la réponse de Rick, qui adore les oiseaux. Vous savez, nos invités disent souvent : " J'adore résoudre des énigmes ", " J'adore la collaboration avec mes merveilleux étudiants de troisième cycle ", " J'adore l'international ". Ce sont toutes de bonnes réponses, bien sûr, et je suis sûr que beaucoup le ressentent, mais quelle réponse directe !

LÉVIN : C'est vrai.





 

 




 




 

Auteur: Internet

Info: https://www.quantamagazine.org. Janna Levin Chroniqueur contributeur, 21 aout 2025 *désigne des organismes qui vivent fixés à un support. On peut parler de coraux, éponges, balanes ou ascidies comme des animaux sessiles

[ pennes ] [ teintes ] [ mâles-femelles ] [ séduction moteur évolutif ] [ couples ] [ coloris ] [ interdépendances ] [ anisogamie orthogonale reproductrice ]

 

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Bolbometopon muricatum

Rencontrez ce briseur de corail du récif…

Avec des dents fusionnées en un bec et un front construit comme une boule de démolition, le poisson-perroquet à bosse est l'équipe de déconstruction sous-marine ultime de la nature.

Il ne grignote pas.

Il s'écrase contre les murs de corail — des coups de tête si puissants qu'ils résonnent comme un tonnerre sous-marin.

Chaque matin, ces géants se réveillent et dévorent littéralement le récif. Leurs dents en forme de bec réduisent le corail mort en fine poudre - jusqu'à 4 tonnes de coraux par an pour les plus gros individus.. Il ne s'agit pas seulement de se nourrir, mais d'ingénierie écosystémique.

Et le spectacle ne s’arrête pas à la mâchoire.

Ils se déplacent en escouades synchronisées, laissant derrière eux des nuages ​​de poussière et de fragments, remodelant le fond de l'océan comme des bulldozers aquatiques.

Et ce sable blanc et doux sous vos orteils sur une plage tropicale ?

A de bonnes chances d'être en partie issu des activités du poisson-perroquet à bosse.

Auteur: Internet

Info:

[ animal broyeur ]

 

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microbiote

La décomposition humaine : un ballet universel de la vie microbienne

La décomposition des organismes, ce processus fondamental qui rythme la vie et la mort sur terre, demeure l’une des grandes énigmes biologiques. Certes, la décomposition des végétaux a longtemps captivé l’attention, tant son rôle dans les cycles écologiques est majeur ; pourtant, la transformation des cadavres animaux, humains en particulier, reste un continent largement inexploré, obscurci par les mystères d’une microbiologie encore en gestation. Dans cette étude d’une ampleur rare, les auteurs ont suivi le destin de trente-six cadavres humains, déposés en pleine nature sur trois sites aux États-Unis, différents par leur climat, leur géographie et leur saisonnalité, afin d’ouvrir la " boîte noire " de la décomposition animale.

Au cœur de ce travail, ils mettent au jour l’émergence, au fil de la disparition des chairs, d’un réseau microbien universel et singulier, assemblé malgré les contraintes du climat, de la localisation et de la saison. Les communautés microbiennes qui se regroupent autour des cadavres semblent animées d’une logique propre, transcendant les contingences écologiques pour orchestrer collectivement l’effacement de la matière vivante.

Un réseau microbien universel et spécialisé

Au contraire des environnements non soumis à la décomposition, où la diversité microbienne est dominée par des acteurs polyvalents et généralistes, la mise en évidence d’un réseau de décomposeurs spécifiques marque une rupture majeure : ce sont des groupes rares, presque absents en dehors des épisodes de décomposition, qui prennent le relais pour métaboliser les produits issus de la chair et des os. Ces microbes, tant bactériens que fongiques, se spécialisent dans le catabolisme des protéines et des lipides, nécessitant un arsenal enzymatique distinct de celui, plus orienté vers la cellulose, des décomposeurs de végétaux. L’étude montre que ces décomposeurs ne sont pas seulement propres aux humains : on les retrouve dans la transformation de cadavres de porcs, de bovins et de souris, soulignant un véritable déterminisme de la nécrobiologie animale.

Interactions, déterminisme, et efficacité métabolique

La métamorphose microbienne qui préside à la disparition du cadavre n’est pas l’œuvre du hasard : le réseau de décomposeurs se constitue selon une dynamique d’assemblage complexe où interagissent la compétition, la coopération et la sélection environnementale. Les bactéries et les champignons, agissant de concert, manifestent une préférence pour les substrats labiles, notamment les acides aminés issus des protéines, avant de s’attaquer aux lipides plus résistants. Ce ballet enzymatique s’accompagne d’un échange métabolique où les produits du catabolisme d’une espèce profitent à une autre, constituant ainsi une sorte d’économie souterraine régie par la logique de la survie collective.

Central dans ce réseau, Oblitimonas alkaliphila apparaît comme un chef d’orchestre du catabolisme des acides aminés en climat tempéré, tandis que d’autres espèces, comme Ignatzschineria ou Wohlfahrtiimonas, s’illustrent par leur capacité à échanger et transformer des éléments nutritifs clés, dont des acides aminés et des composés sulfurés. Fait remarquable, ces microbes déployés par la mort sont absents ou rarissimes dans les communautés microbiennes du sol ordinaire ou dans le microbiome humain, ce qui les rend identifiables et précieux pour les études médico-légales.

La décomposition comme évènement écologique et forensique

L’assemblage du réseau microbien lors de la décomposition humaine n’est pas un phénomène local, circonscrit à un seul écosystème : il présente une constance remarquable à l’échelle continentale, résistant aux variations de climat, de saison et de géographie. Seuls le rythme et la rapidité du processus—plus lente dans les milieux secs, plus vive dans les climats tempérés—semblent modulés par l’environnement, mais la structure même du réseau demeure conservée.

Cette universalité confère aux microbes associés à la décomposition un potentiel exceptionnel comme " outil forensique " : grâce à l’analyse de la succession microbienne (via l’abondance de certains taxa spécifiques comme Helcococcus seattlensis), les auteurs montrent qu’il est possible de prédire avec une grande précision le temps écoulé depuis la mort (intervalle post-mortem ou PMI), et ce indépendamment du contexte géographique ou climatique. Leurs modèles, basés sur des données de séquençage métagénomique et sur l’utilisation de méthodes de pointe en apprentissage automatique, atteignent une résolution de l’ordre de trois jours, seuil déterminant dans les enquêtes criminelles.

Conséquences écologiques et sociétales

Au-delà de la sphère forensique, cette découverte bouleverse notre compréhension des cycles de la matière et du vivant : la nécrobiome, communauté microbienne de la mort, façonne la redistribution du carbone, de l’azote et d’un large spectre de nutriments, influençant la chimie des sols, la biodiversité locale et, in fine, la productivité des écosystèmes. On soupçonne également que certains insectes, tels que les mouches ou les coléoptères nécrophages, jouent un rôle de vecteur dans la dissémination de ces décomposeurs spécialisés, soulignant l’importance des synergies interdomaines (bactéries, champignons, invertébrés).

Ce savoir est d’autant plus précieux qu’il pourrait inspirer des innovations en agriculture (compostage animal), en thanatopraxie écologique (gestion durable des corps), et dans les réponses à des crises de mortalité massive, tout en guidant de futures recherches sur la productivité globale et la résilience des systèmes vivants face aux bouleversements anthropiques.

Conclusion

L’étude révèle ainsi une orchestration universelle et invisible, où la mort du corps devient la matrice d’un nouvel ordre vivant : une succession déterministe, concertée, et porteuse d’une beauté tragique, où des communautés microbiennes discrètes s’assemblent pour redonner à la terre ses nutriments, scellant l’union de la chair et du cosmos. La décomposition humaine, loin d’être une simple disparition, apparaît comme un événement fondamental, porteur de mémoire, de cycles et d’innovation écologique.

 

Auteur: Internet

Info: A conserved interdomain micribial network underpins cadaver decomposition despite environmental variables. Nature Microbiology 2024. Synthèse de Perplexity.ai

[ recyclage ]

 

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Ajouté à la BD par Le sous-projectionniste