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baise

La vie ne le poursuivait-elle pas au contraire de son mépris réitéré jusque dans les bras de la putain qu'il s'était décidé à aborder pour satisfaire en même temps son désir de savoir et de consolation ? Elle avait les yeux noirs, compatissants, brillant d'une fausse douceur qui se dissipa dès qu'elle fut seule avec lui et aucune lueur n'éclairait plus le regard qu'elle posait sur lui pendant qu'il procédait à sa toilette intime dans un bidet grisâtre et fissuré, elle le regardait impitoyablement et il tremblait de honte, présentant l'amertume de ce qu'il était sur le point d'apprendre et n'espérant plus la consolation. Il la suivit dans les draps qui sentaient le moisi où il dut supporter qu'elle lui fît jusqu'au bout l'affront de son impassibilité. Il sentait la chaleur à l'endroit où leurs ventres se rejoignaient et se mêlaient comme des cloaques de reptiles, il sentait la moiteur de ses seins pressés contre sa poitrine, de ses jambes contre les siennes, des images intolérables naissaient dans l'esprit de Marcel, il était une bête, un grand oiseau vorace et frémissant qui s'enfouissait jusqu'au cou dans les entrailles d'une charogne, car elle conservait l'impassibilité obscène d'une charogne, ses yeux morts levés vers le plafond, et là où leurs peaux se touchaient, à chaque point de contact, des fluides s’échangeaient la lymphe transparente, les humeurs intimes, comme si son corps devait garder à jamais, dans une hideuse métamorphose, la trace du corps de cette femme qu'il se redressa brutalement pour s'habiller et partir. Il déboucha dans la rue en haletant, du sang étranger coulait dans ses veines, la sueur qui ruisselait sur ses paupières n'avait plus la même odeur et il crachait par terre parce qu'il ne reconnaissait pas le goût de sa propre salive. Pendant des semaines, il scruta son corps avec angoisse, chaque petit bouton, chaque rougeur de peau, il se sentait condamné à l'eczéma, aux mycoses, à la syphilis, à la blennorragie, mais quel que soit le nom de la maladie qui le guettait, elle ne serait que la forme superficielle sous laquelle le mal qui s'était emparé de lui manifesterait sa présence irrémédiable et il harcela les médecins chaque semaine jusqu'à ce que l'armée allemande envahisse la zone libre et le force à s'arracher à lui-même.

Auteur: Ferrari Jérôme

Info: Le sermon sur la chute de Rome, Actes sud, 2012

[ pute ] [ prostituée ] [ culpabilité ] [ obsessionnel ] [ souillure ]

 

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christianisme

Pendant trois jours, les Wisigoths d’Alaric ont pillé la ville et traîné leurs longs manteaux bleus dans le sang des vierges. Quand Augustin l’apprend, il s’en émeut à peine. Il lutte depuis des années contre la fureur des donatistes et consacre tous ses efforts maintenant qu’ils sont vaincus, à les ramener dans le sein de l’Eglise catholique. Il prêche les vertus du pardon à des fidèles qu’anime encore l’esprit de vengeance. Il ne s’intéresse pas aux pierres qui s’écroulent. Car bien qu’il ait rejeté loin de lui, avec horreur, les hérésies de sa jeunesse coupable, peut-être a-t-il gardé en lui des enseignements de Mani la conviction profonde que ce monde est mauvais et ne mérite pas que l’on verse des larmes sur sa fin. Oui, le monde est rempli des ténèbres du mal, il le croit toujours, mais il sait aujourd’hui qu’aucun esprit ne les anime, qui porterait atteinte à l’unité du Dieu éternel, car les ténèbres ne sont que l’absence de lumière, de même que le mal indique seulement la trace du retrait de Dieu hors du monde, la distance infinie qui les sépare, que seule Sa grâce peut combler dans les eaux pures du baptême.

Auteur: Ferrari Jérôme

Info: Le sermon sur la chute de Rome, Actes sud, 2012, pages 198-199

[ temporel-éternel ] [ paganisme ]

 

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aguicheuse

- Et surtout, faut pas niquer les serveuses, hein ? Les gens, ils viennent pas pour claquer leur fric chez vous pour vous voir niquer les serveuses ! Vous, vous pouvez niquer les clientes, mais pas les serveuses.

Annie était bien d'accord, dans la vie, on pouvait se permettre des tas de choses mais, quand on tenait un bar, jamais, au grand jamais, il ne fallait niquer les serveuses. Matthieu et Libero assurèrent qu'une telle horreur ne leur avait jamais traversé l'esprit.

Ils eurent la surprise de constater dès le lendemain qu'Annie, dont l'efficacité était par ailleurs irréprochable, semblait avoir conservé de ses anciennes fonctions la curieuse habitude d'accueillir chaque représentant du sexe masculin qui poussait la porte du bar d'une caresse, furtive mais appuyée, sur les couilles. Nul n'échappait à la palpation. Elle s'approchait du nouvel arrivant, tout sourire, et lui faisait deux grosses bises claquantes sur les joues tandis que de la main gauche, comme si de rien n'était, elle explorait son entrejambe en repliant légèrement les doigts. Le premier à faire les frais de cette manie fut Virgile Ordioni, qui arrivait les bras chargés de charcuterie. Il devint cramoisi, eut un rire bref, et resta debout dans la salle sans trop savoir quoi faire. Matthieu et Libero avaient d'abord pensé demander à Annie d'essayer de se montrer moins immédiatement amicale mais personne ne se plaignait, bien au contraire, les hommes du village faisaient plusieurs apparitions quotidiennes au bar, ils y venaient même pendant les heures habituellement creuses, les chasseurs abrégeaient leurs battues et Virgile mettait un point d'honneur à descendre tous les jours de la montagne, ne serait-ce que pour boire un café, si bien que Matthieu et Libero gardèrent le silence, non sans louer intérieurement la clairvoyante Annie dont l'immense sagesse avait percé à jour la simplicité de l'âme masculine. 

Auteur: Ferrari Jérôme

Info: Le sermon sur la chute de Rome, Actes sud, 2012, pages 98-99

[ technique commerciale ]

 

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compte d'apothicaire

Il parlait de l'avenir en visionnaire et Matthieu l'écoutait comme s'il était le sceau des prophètes, il leur fallait modérer leurs ambitions sans y renoncer tout à fait, il était exclu qu'ils offrent un service de restauration complet, c'était un bagne et un gouffre financier, mais ils devaient proposer à manger à leurs clients, surtout en été, quelque chose de simple, de la charcuterie, des fromages, peut-être des salades, sans lésiner sur la qualité, Libero en était certain, les gens étaient prêts à payer le prix de la qualité, mais comme il fallait se résigner à vivre à l'heure du tourisme de masse et accueillir également des cohortes de gens fauchés, il était hors de question de se cantonner aux produits de luxe et ils ne devaient pas hésiter à vendre aussi de la merde à vil prix, et Libero savait comment résoudre cette redoutable équation, son frère Sauveur et Virgile Ordioni leur fourniraient du jambon de premier choix, du jambon de trois ans, et des fromages, quelque chose de vraiment exceptionnel, et même de si exceptionnel que quiconque y aurait goûté mettrait la main au portefeuille en pleurant de gratitude, et pour le reste, inutile de s'embarrasser avec des produits de seconde zone, les saloperies que vendaient les supermarchés dans leurs rayons terroir, conditionnés dans des filets rustiques frappés de la tête de Maure et parfumés en usine avec des sprays à la farine de châtaigne, autant y aller carrément dans l'ignoble, en toute franchise. sans chichis, avec du cochon chinois, charcuté en Slovaquie, qu'on pourrait refourguer pour une bouchée de pain, mais attention, il ne fallait pas prendre les gens pour des cons, il fallait annoncer la couleur et faire en sorte qu'ils comprennent les différences de prix et n'aient pas I'impression de se faire entuber à sec, la daube, c'est cadeau, la qualité, tu raques, l'honnêteté était absolument indispensable en la matière, non seulement parce qu'elle était une vertu recommandable en elle-même, mais surtout parce qu'elle jouait à peu près le rôle de la vaseline, il fallait préparer des plateaux de dégustation pour que les clients puissent se faire une idée, vous goûtez et vous prenez la commande après, mais non, je vous en prie, reprenez donc un bout pour être sûr, et cette honnêteté serait d'autant plus récompensée que quelque soit le choix final, leur marge serait sensiblement la même, ils allaient les saigner honnêtement, et même en les choyant, un patron de bar devait s'occuper de sa clientèle, il ne pouvait pas passer son temps vissé derrière sa caisse, comme demeuré sa caisse, comme ce demeuré de Gratas, il fallait qu'il soit disponible, avenant, soucieux de faire plaisir, et le problème crucial à résoudre était donc celui des serveuses.

Auteur: Ferrari Jérôme

Info: Le sermon sur la chute de Rome, Actes sud, 2012, pages 95-96

[ rentabilité ] [ authentique ] [ industriel ]

 

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saint chrétien

Rien n'échappait aux débordements tumultueux de son mépris, pas même Augustin qu'il ne pouvait plus supporter maintenant qu'il était sûr de l'avoir compris mieux qu'il ne l'avait jamais fait. Il ne voyait plus en lui qu'un barbare inculte, qui se réjouissait de la fin de l'empire parce qu'elle marquait l'avènement du monde des médiocres, et des esclaves triomphants dont il faisait partie, ses sermons suintaient d'une délectation revancharde et perverse, le monde ancien des dieux et des poètes disparaissait sous ses yeux, submergé par le christianisme avec sa cohorte répugnante d'ascètes et de martyrs, et Augustin dissimulait sa jubilation sous des accents hypocrites de sagesse et de compassion, comme il est de mise avec les curés.

Auteur: Ferrari Jérôme

Info: Le sermon sur la chute de Rome, Actes sud, 2012, page 63

[ critique ] [ rejet ]

 

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faculté

Libero avait d'abord cru qu'on venait de l'introduire dans le cœur battant du savoir, comme un initié qui a triomphé d'épreuves incompréhensibles au commun des mortels, et il ne pouvait pas s'avancer dans le grand hall de la Sorbonne sans se sentir empli de la fierté craintive qui signale la présence des dieux. Il emmenait avec lui sa mère illettrée, ses frères cultivateurs et bergers, tous ses ancêtres prisonniers de la nuit païenne de la Barbaggia qui tressaillaient de joie au fond de leurs tombeaux. Il croyait à l'éternité des choses éternelles, à leur noblesse inaltérable, inscrite au fronton d'un ciel haut et pur. Et il cessa d'y croire. Son professeur d'éthique était un jeune normalien extraordinairement prolixe et sympathique qui traitait les textes avec une désinvolture brillante jusqu'à la nausée, assénant à ses étudiants des considérations définitives sur le mal absolu que n'aurait pas désavouées un curé de campagne, même s'il les agrémentait d'un nombre considérable de références et citations qui ne parvenaient pas à combler leur vide conceptuel ni à dissimuler leur absolue trivialité. Et toute cette débauche de moralisme était de surcroît au service d'une ambition parfaitement cynique, il était absolument manifeste que l'Université n'était pour lui qu'une étape nécessaire mais insignifiante sur un chemin qui devait le mener vers la consécration des plateaux de télévision où il avilirait publiquement, en compagnie de ses semblables, le nom de la philosophie, sous l'œil attendri de journalistes incultes et ravis, car le journalisme et le commerce tenaient maintenant lieu de pensée, Libero ne pouvait plus en douter, et il était comme un homme qui vient juste de faire fortune, après des efforts inouïs, dans une monnaie qui n'a plus cours. Bien sûr, l’attitude du normalien n’était pas représentative de celle des autres enseignants, lesquels s’acquittaient de leur tâche avec une austère probité qui leur valait le respect de Libero. Il vouait une admiration sans bornes au doctorant qui, tous les jeudis de dix-huit à vingt heures, vêtu d’un pantalon en velours côtelé beige et d’une veste vert bouteille à boutons dorés qui semblait sorti d’un magasin de la Stasi et attestait de son indifférence aux biens matériels, traduisait et commentait imperturbablement le livre gamma de La Métaphysique devant un maigre public d’hellénistes obstinés et attentifs. Mais l’ambiance de dévotion qui régnait dans la salle poussiéreuse de l’escalier C où on les avait relégués ne pouvait dissimuler l’ampleur de leur déroute, ils étaient tous des vaincus, des êtres inadaptés et bientôt incompréhensibles, les survivants d’une apocalypse sournoise qui avait décimé leurs semblables et mis à bas les temples des divinités qu’ils adoraient, dont la lumière s’était jadis répandue sur le monde.

Auteur: Ferrari Jérôme

Info: Le sermon sur la chute de Rome, Actes sud, 2012, pages 60-61

[ discours universitaire ] [ arrivistes ] [ anachroniques ] [ désillusion ]

 

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homme-femme

Elle laissa la lumière éteinte, mit de la musique tout doucement et s’allongea sur le lit, en T-shirt et culotte, le visage vers la fenêtre. Quand Matthieu s’allongea près d’elle, tout habillé, elle se tourna vers lui sans dire un mot, il voyait ses yeux briller dans l’obscurité, il lui sembla qu’elle souriait d’un sourire frémissant et il entendait sa respiration lourde et profonde et il en était ému, il savait qu’il lui suffisait de tendre la main et de la frôler pour que quelque chose se passe, mais il ne pouvait pas, c’était comme s’il l’avait déjà abandonnée et trahie, la culpabilité le paralysait et il ne bougeait pas, se contentant de lui faire face et de la regarder dans les yeux jusqu’à ce que son sourire ait disparu et qu’ils se soient endormis tous les yeux. Il tenait à elle comme à sa possibilité la plus lointaine.

Auteur: Ferrari Jérôme

Info: Le sermon sur la chute de Rome, Actes sud, 2012, page 52

[ chastes ] [ inexistante ] [ abstraite ]

 

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région italienne

Ses parents avaient immigré depuis la Barbaggia, comme tant d’autres, dans les années 1960 mais lui-même n’avait jamais mis les pieds en Sardaigne. Il ne la connaissait que par les souvenirs de sa mère, une terre misérable, de vieilles femmes au voile noué soigneusement sous la lèvre inférieure, des hommes aux guêtres de cuir dont des générations de criminologues italiens avaient mesuré les membres, la cage thoracique et le crâne, notant soigneusement les imperfections de l’ossature pour en déchiffrer le langage secret et y repérer l’inscription indiscutable d’une propension naturelle au crime et à la sauvagerie.

Auteur: Ferrari Jérôme

Info: Le sermon sur la chute de Rome, Actes sud, 2012, page 50

[ clichés ] [ mémoire ] [ habitants ]

 

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retrouvailles

Il a sans doute regardé ses enfants sans les reconnaître mais son épouse n'avait pas changé parce qu'elle n'avait jamais été jeune ni fraîche, et il l'a serrée contre lui bien que Marcel n'ait jamais compris ce qui avait bien pu pousser l'un vers l'autre leurs deux corps desséchés et rompus, ce ne pouvait être le désir, ni même un instinct animal, peut-être était-ce seulement parce que Marcel avait besoin de leur étreinte pour quitter les limbes au fond desquels il guettait depuis si longtemps, attendant de naître, et c'est pour répondre à son appel silencieux qu'ils ont rampé cette nuit-là l'un sur l'autre dans l'obscurité de leur chambre, sans faire de bruit pour ne pas alerter Jean-Baptiste et Jeanne-Marie qui faisaient semblant de dormir, allongés sur leur matelas dans un coin de la pièce, le coeur battant devant le mystère des craquements et des soupirs rauques qu'ils comprenaient sans pouvoir le nommer, pris de vertige devant l'ampleur du mystère qui mêlait si près d'eux la violence à l'intimité, tandis que leurs parents s'épuisaient rageusement à frotter leurs corps l'un à l'autre, tordant et explorant la sécheresse de leurs propres chairs pour en ranimer les sources anciennes taries par la tristesse, le deuil et le sel et puiser, tout au fond de leurs ventres, ce qu'il y restait d'humeurs et de glaires, ne serait-ce qu'une trace d'humidité, un peu de fluide qui sert de réceptacle à la vie, une seule goutte, et ils ont fait tant d'efforts que cette goutte a fini par sourdre et se condenser en eux, rendant la vie possible, alors même qu'ils n'étaient plus qu'à peine vivants.

Auteur: Ferrari Jérôme

Info: Le sermon sur la chute de Rome, Actes sud, 2012, page 16

[ scène originaire ] [ conception ] [ baise ]

 

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technostructure

Le manifeste de la coalition [Hiatus] (relayé par le journal Le Monde) stipulait que "certaines applications spécifiques" de l’IA pouvaient être bénéfiques et affirmait que l’IA pouvait "effectivement répondre à l’intérêt général". Il en appelait donc seulement à "une maîtrise démocratique de cette technologie".

Régnauld et son association Le Mouton Numérique vont plus loin. Non seulement ils ne considèrent pas que l’IA pose problème en elle-même, mais dans un texte également paru en février 2025, ils affirment que le fait "de rejeter “l’IA” en bloc" constitue "une posture privilégiée, à la fois occidentalo-centrée, souvent masculiniste et validiste". Malheureusement, ils ne fournissent aucune explication à l’appui de cette étrange affirmation. Aucun argument, aucun développement. C’est juste ainsi. Et il faut les croire.

Ce type d’affirmation est de plus en plus courant à gauche.



En septembre 2023, dans une intervention à la Recyclerie, Alexandre Monnin, professeur à l’ESC Clermont Business School, auteur de livres nuls parus chez Divergences, prenait la défense du capitalisme industriel en prétendant qu’il serait "validiste" et "viriliste" de vouloir le démanteler intégralement ou de souhaiter son effondrement. Pour argument, il soulignait que les réfugié∙es ont besoin de smartphone et que les "personnes trans" ont besoin d’hormones de synthèse. On pourrait donner d’autres exemples dans la même veine : les femmes ont besoin de machines à laver le linge et de pilules abortives ; les myopes ont besoin de lunettes. On pourrait aller plus loin et arguer que les personnes atteintes de maladies encore incurables ont besoin du meilleur de la recherche technoscientifique et du développement de l’intelligence artificielle pour, un jour, peut-être, guérir. On ne peut donc pas aspirer au démantèlement du capitalisme industriel. Nous devons conserver le système sociotechnique existant. Nous devons finir de polluer et de détruire le monde.

[...]

Selon la logique des champions autoproclamés des minorités, s’opposer aux industries fossiles, aux hydrocarbures, « est du validisme et une forme d’eugénisme » puisque leur disparition amputerait de nombreuses personnes vulnérables de ce qui les maintient en vie ou en autonomie. En fait, la logique des militants de l’inclusivisme, des fiers défenseurs des vies vulnérables, queer et autres, conduit forcément à prendre la défense du monde tel qu’il est. À prendre la défense du capitalisme, de l’État, du système techno-industriel. Étant donné que les presque 8 milliards d’humains ont plus ou moins tous été rendus vitalement dépendants des marchandises et des infrastructures du capitalisme industriel, toute opposition au capitalisme industriel est une forme de misanthropie génocidaire.

[...]

Ceux qui agitent frénétiquement le mot "validisme" dès qu’on critique une technologie médicale ou une infrastructure industrielle ne prennent jamais la peine de définir ce dont ils parlent. Le validisme, dans son sens sérieux, désigne l’ensemble des discriminations systémiques à l’encontre des personnes handicapées. Or le système technologique n’a pas pour but de mettre fin au validisme : il produit des handicaps, pathologise des corps, normalise des seuils de performance, induit des dépendances, et propose ensuite des appareillages, des molécules, des interfaces pour gérer les dommages. Ce que nous disons, c’est que d’autres formes de prise en charge de la vulnérabilité sont possibles : non-industrialisées, non-marchandes, non-algorithmiques. Et que s’opposer à l’ordre technique, c’est précisément refuser que les vulnérables soient assignés à dépendre éternellement de ce qui les abîme.

Toute la rhétorique techno-progressiste repose sur une confusion soigneusement entretenue entre besoins et désirs. Les besoins humains consistent en gros à manger, se loger, se soigner, avoir des proches. Avoir un enfant qui me ressemble génétiquement malgré une infertilité, pouvoir sculpter son corps selon son identité intérieure grâce aux technologies hormonales et chirurgicales, prolonger sa fertilité pour d’abord "réaliser ses projets", disposer d’un exosquelette pour courir comme tout le monde, etc., ces choses-là ne sont pas des "besoins" mais des désirs, souvent présentés comme des "droit à". Et ces désirs ne naissent pas dans le vide : ils sont façonnés par un monde ayant au préalable détruit des formes de vie collectives différentes. Et une fois ces désirs installés, produits par le marché, encouragés par les discours médicaux ou militants, on les transforme en exigences politiques : s’y opposer, ce serait être réac, oppressif, validiste, transphobe, parfois tout à la fois. Ainsi, ce que le capital produit comme désir, une partie de la gauche le récupère comme projet d’émancipation. Et peu importe que la réalisation de ces désirs travestis en droits implique diverses formes d’exploitation sociale, une dépendance accrue au système technologique et/ou à la bureaucratie planétaire, et des destructions environnementales. C’est précisément cette supercherie qu’il faut démasquer.

Ce n’est pas par hasard que les grandes fondations philanthropiques, les ONG internationales, les médias progressistes, les industries et les institutions culturelles financent et promeuvent des discours critiques amputés de toute critique du système technique. Le capitalisme apprécie les causes "minoritaires" tant qu’elles ne menacent pas son infrastructure. C’est pourquoi les luttes qui ne demandent rien d’autre qu’un meilleur accès aux prothèses du système sont accueillies avec bienveillance. Elles participent de sa légitimation. De sa perpétuation.

[...]

Malheureusement, au lieu d’essayer de penser sérieusement les questions de progrès et de technologie, la gauche continue, comme elle le fait depuis un siècle, de seriner de pathétiques et vains appels à "démocratiser" l’indémocratisable, à moraliser l’immoralisable, etc., à la manière de croyants incapables de renoncer à leur foi malgré l’évidence du désastre. À la manière de fidèles obstinés qui, confrontés à un dieu cruel, absurde ou simplement inexistant, redoublent de prières et de liturgies. Tout plutôt que d’admettre que ce dieu n’existe pas. Alors on rêve d’IA féministe, de PMA anticapitaliste, de cybernétique décoloniale. On veut tout : la machine et l’émancipation, l’extractivisme et l’écologie, les algorithmes et la justice sociale. Et surtout, on veut croire. Car s’il fallait reconnaître que certaines technologies sont structurellement incompatibles avec la liberté, l’égalité, la démocratie, la nature, il faudrait tout repenser. Le travail, l’habitat, le quotidien, la santé, la vie en société, la mobilité, la subsistance, le sens de la vie. Il faudrait renoncer à l’imaginaire hégémonique du "progrès". Réapprendre l’humilité auprès des dernières sociétés autochtones non-industrialisées qui vivent encore au contact direct de la nature. Et ça, l’élite de la gauche contemporaine, dûment formée par les institutions du Progrès, intégrée, diplômée, subventionnée, ne le veut pas. Elle préfère accuser celles et ceux qui dénoncent la machine d’être des ennemis du peuple.

Auteur: Casaux Nicolas

Info: https://danslemaelstrom.substack.com/p/sopposer-au-capitalisme-cest-validiste

[ hypocrisie sociétale ] [ justification ] [ confort fait nécessité ] [ scission transpolitique ] [ discours religieux ]

 

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