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puissance-acte

Dans la mesure où l’un de ces êtres [finis] est, on dit qu’il est en acte ; on le dit au contraire en puissance dans la mesure où une certaine distance le sépare de ce qu’il pourrait être et qu’il n’est pas. En pareil cas, il existe un degré de perfection de l’être, et cette perfection en mesure précisément l’acte. Au contraire le manque d’acte de l’être en constitue et en mesure la puissance et l’imperfection. Notons que la puissance ne s’oppose pas à l’être ; au contraire, elle est de l’être-en-puissance. Simplement, elle est un mode déficient et inégal au degré d’actualité dont cet être est naturellement capable.

Auteur: Gilson Etienne

Info: Introduction à la philosophie chrétienne, Vrin, 2011, page 190

[ définition ] [ métaphysique de l'être ] [ étant ]

 

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province reculée

Entre Les Martres et Saint-Amand-le-Petit, il y a le bourg de Castelnau, sur la Grande Beune. C’est à Castelnau que je fus nommé, en 1961 : les diables sont nommés aussi je suppose, dans les Cercles du bas ; et de galipette en galipette ils progressent vers le trou de l’entonnoir comme nous glissons vers la retraite. Je n’étais pas encore tombé tout à fait, c’était mon premier poste, j’avais vingt ans. Il n’y a pas de gare à Castelnau ; c’est perdu ; des autobus partis le matin de Brive ou de Périgueux vous y larguent fort tard, en bout de tournée. J’y arrivai la nuit, passablement ahuri, au milieu d’un galop de pluies de septembre cabrées contre les phares, dans le battement de grands essuie-glaces ; je ne vis rien du village, la pluie était noire. Je pris pension Chez Hélène qui est l’unique hôtel, sur la lèvre de la falaise en bas de quoi coule la Beune, la grande ; je ne vis pas davantage la Beune ce soir-là, mais par la fenêtre de ma chambre me penchant sur du noir plus opaque je devinai derrière l’auberge un trou. 

Auteur: Michon Pierre

Info: La Grande Beune, incipit, p. 11

[ Corrèze ] [   Dordogne ]

 

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métaphysique de l'être

L’être fini est l’effet propre de l’acte créateur, mais on a vu que l’être fini ne saurait être créé à part ; il ne peut être que concréé, avec et dans l’essence, dont il est l’acte, mais dont il reçoit sa mesure, c’est-à-dire, avec un ens, un étant. Le nom technique de l’étant est "substance". […]

C’est de là qu’on a tiré la définition ordinairement reçue de la substance ens per se, un être par soi, c’est-à-dire existant ou capable d’exister par soi seul, par opposition à l’ens per aliud, ou accident, incapable d’exister à part et autrement que dans une substance. C’est d’ailleurs pourquoi l’on dit communément que la substance possède l’esse, c’est-à-dire un être propre, mais que l’être de l’accident se réduit pour lui à "être dans" la substance. C’est de et par l’être de la substance que l’accident existe ; il n’a pas d’être à lui, distinct de l’être de la substance : accidentis esse est inesse

Prise en elle-même, cette notion de la substance est correcte, mais la forme sous laquelle elle s’exprime d’ordinaire ne l’est pas. Il y a un ens per se, et il n’y en a qu’un seul, qui est Dieu. […] Si l’on veut absolument définir la substance, bien qu’elle soit le genre généralissime, il faudra plutôt dire qu’elle est "ce à la quiddité de quoi il est dû de ne pas être en quelque chose" […].

[…] il s’agit ici de définir une certaine manière d’exister : celle qui convient à la substance. C’est donc l’essence, le modus essendi, qui est ici en jeu. Si l’essence en question est telle qu’elle soit capable de porter à elle seule un acte d’exister, l’étant correspondant est une substance ; au contraire, si l’essence en question n’est pas capable de porter à elle seule un acte d’exister, l’étant correspondant est un accident. […] La définition de la substance non est ens per se ; il faudrait plutôt en dire quod habeat quidditatem cui conveniat esse non in alio (CG. I, 25, 10). C’est d’ailleurs pourquoi Dieu n’est pas proprement une substance, puisqu’il n’a pas d’essence autre que son esse. […] Bref, une substance n’est pas de l’être, elle est toujours un étant.

Il faut ajouter à cela qu’une substance est un étant en vertu de l’esse qui fait d’elle un être. En ce sens, l’esse créé est vraiment cause de l’étant, mais il ne faut pas se l’imaginer comme une cause efficiente dont l’opération serait de produire l’existence actuelle du fini. […] On doit plutôt le concevoir comme un principe constitutif formel de l’étant ; exactement, comme ce par quoi l’essence est un étant. Il faut donc briser le cadre de l’aristotélisme où la forme essentielle est l’élément formel suprême, car il y a ici quelque chose de plus formel encore que l’essence, et c’est précisément l’esse, principe constitutif de l’étant, qui compose avec l’essence pour constituer une substance. 

Auteur: Gilson Etienne

Info: Introduction à la philosophie chrétienne, Vrin, 2011, pages 185-188

[ imprécision ] [ correction ] [ philosophie ] [ substance-accident ]

 

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créature-créateur

On ne célèbrera donc jamais assez la gloire des essences, miroirs où se reflète en une infinité de modes divers la perfection simple d’un Acte pur d’être qui les transcende. Leur intelligibilité, leur ordre, leur bonté et leur beauté sont ceux de tout univers créé, actuel ou possible. Le propre de l’essence, mode fini de participation à l’être, est de rendre possible l’existence d’une natura rerumi qui ne soit ni le néant ni Dieu. C’est pourquoi nous la présentions comme la condition ontologique de la possibilité même d’une réalité non-divine. Conquis sur le néant par la libre volonté du créateur, un tel univers se compose d’étants, qui ne sont ni essences sans existence, ni existences sans essences, mais plutôt, actes d’être mesurés par les essences auxquelles eux-mêmes confèrent l’existence. […]

Faut-il désigner d’un nom ce genre de métaphysique ? Mais ce n’est pas un genre de métaphysique, c’est la métaphysique même à la pointe extrême de pénétration dans la nature de l’être. De toute manière, on ne pourrait la nommer ni un essentialisme (de l’essence sans l’être), ni un existentialisme (de l’être sans l’essence) ; pour lui trouver un nom, il faudrait l’appeler un "ontisme", ce qui n’avancerait pas à grand-chose, puisque le sens du nom serait simplement : philosophie de l’être. En effet, tout est, soit l’être de Qui Est, soit le mode d’être d’un étant mesuré par son essence et créé par l’efficace divine […]. 

Auteur: Gilson Etienne

Info: Introduction à la philosophie chrétienne, Vrin, 2011, pages 183-184

[ métaphysique de l'être ] [ christianisme ] [ irréductibilité réciproque ]

 

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acte d'être

L’être pur et unique, c’est Dieu. L’être fini ne peut subsister que fini par quelque chose qui ne soit pas du pur être. Il est donc nécessaire que l’être fini soit composé en tant précisément qu’être fini et cette composition est nécessairement d’esse et d’un élément autre que l’esse. […] s’il n’y a rien en dehors de l’être que le néant, avec quoi l’esse pourrait-il composer, sinon avec l’être ? Mais une composition d’être et d’être ne semble pas une notion claire, car on peut aisément comprendre que des êtres s’additionnent pour former un être d’autre espèce que ses composants, mais il est incompréhensible que de l’être doive s’ajouter à de l’être afin que l’être lui-même soit possible.  […]

Les objections des suaréziens contre la métaphysique thomiste de l’être fini sont invincibles sur le plan de la raison et de l’être quiddatif où elles sont formulées. Le tort de beaucoup de leurs adversaires thomistes est d’accepter la notion suarézienne de la connaissance métaphysique et de vouloir ensuite refuser la notion suarézienne de l’être. Si l’on admet, avec Suarez, que l’essence est l’être même, comment pourrait-on la composer avec quoi que ce soit pour en faire de l’être ? Ce serait en faire ce qu’elle est déjà. Mais il ne s’agit pas de "réfuter" le suarézianisme ; il n’y a même pas lieu de l’éliminer, à supposer qu’on le puisse, ce qui est douteux. La métaphysique des essences et des concepts quiddatifs, loin d’être incompréhensible, serait plutôt la métaphysique naturelle de l’entendement humain épris de cette ratio intellecta qu’il forme avec aisance et dont il se repaît avec avidité […]. Il est bon que l’entendement dispose d’une métaphysique de l’essence à quoi convienne adéquatement le titre d’ontologie ; il est encore meilleur d’avoir une métaphysique de l’être qui, s’enfonçant courageusement dans l’épaisseur du mystère, en voie du moins assez pour reconnaître qu’il existe. […]

Le métaphysicien se trouve donc ici dans une situation analogue à celle du platonicien, mais au lieu de chercher comment l’Un peut engendrer le multiple sans se diviser lui-même, il faut essayer de comprendre comment l’Être peut causer les étants sans compromettre sa propre simplicité, et de même que l’Un de Plotin engendrait ces reflets de lui-même que sont les Idées, de même aussi l’Être fait émaner de lui ces participations créées que sont les essences. […]

Saint Thomas [d'Aquin] lui-même n’est pas mieux placé que nous pour formuler ce rapport de l’essence à l’être au sein de l’étant. En un sens, il s’agit là d’un rapport d’être à être, car si l’essence n’était pas elle-même de l’être, elle ne serait rien ; mais, en un autre sens, l’essentia n’est pas de l’être au sens précis où l’est l’esse, sans quoi, infinie comme lui, elle serait Dieu. Il faut donc admettre que l’essence est bien de l’esse, mais déterminé, délimité, ou plutôt, il faut admettre que l’essence est la détermination, la délimitation, la restriction et contraction de l’esse. C’est ce que Saint Thomas donne à entendre lorsqu’il dit que l’essence est un mode d’être. L’expression signifie pour nous une "manière d’être", ce qui est en effet son sens, mais les diverses "manières" d’être sont d’abord, si l’on peut dire, des "mesures" d’être. Nous sommes assurément ici dans l’ordre de la métaphore, car on ne saurait littéralement comprendre les différences qualitatives des essences comme des différences quantitatives d’être, mais il semble bien que ce soit la meilleure formule imaginée par Saint Thomas lui-même, et elle lui plaisait d’autant plus que le Philosophe [Aristote] l’avait suggérée en disant que les essences sont comme les nombres. […] dans l’ordre des étants, augmentez ou diminuez la participation d’un étant à l’être, vous le changez d’espèce : ajoutez la vie au minéral, vous obtenez un végétal ; ajoutez la sensibilité à la vie, vous avez l’animal, et si la raison est conférée à l’animal, on voit apparaître l’homme. Les essences ainsi entendues se distinguent donc entre elles comme les mesures de la quantité d’être qui constitue et définit chaque espèce.

On ne sera pas surpris, après cela, des difficultés auxquelles se heurtent ceux qui veulent se représenter par quelque image le rapport de l’être à l’essence au sein de l’étant. L’être y est l’effet propre de Dieu, la participation (par mode d’effet) à l’Esse pur qu’est sa cause ; c’est donc bien à l’être (esse) que revient la fonction d’acte premier et suprême dans la structure métaphysique complexe de l’étant. 

Auteur: Gilson Etienne

Info: Introduction à la philosophie chrétienne, Vrin, 2011, pages 177-180

[ christianisme ] [ créature-créateur ] [ problème ] [ différence ]

 

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organisation

Adapter un être à une société stable, c'est le spécialiser de manière à pouvoir l'intégrer à un échelon de la structure verticale.

Adapter un être à une société métastable, c'es lui donner un apprentissage intelligent lui permettant d'inventer pour résoudre les problèmes qui se présenteront dans toute la surface des relations horizontales.

Le XIXe siècle a dû construire en quelques décades une société de spécialistes, adaptée à l'ère de la thermodynamique, selon le principe de rigidité : d'où un renforcement de la structure verticale, devenant omniprésente et s'étendant même là où jadis existaient des structures horizontales (par exemple, dans le rapport entre la ville et la campagne ; un gentilhomme du XVIIIe siècle, vivant sur ses terres, n'était pas inférieur à un riche marchand citadin; au XIXe siècle, le banquier devient le dieu industriel citadin). Nous avons maintenant à faire en quelques années une éducation qui transforme les survivances des relations verticales, en relations horizontales.

Auteur: Simondon Gilbert

Info: Sur la technique

[ coopétition ] [ agencement orthogonal ] [ glocalisation ]

 

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filiations

Un objet technique est produit quand il est détachable ; il y a, dans d'autres cultures, des formes de cette séparation entre l'homme et l'objet autres que la condition de vénalité ; la transmission héréditaire, nécessitant apprentissage et continuité du savoir sous peine d'évacuation du sens fonctionnel de l'outil, en est une. Mais, dans notre culture, la vénalité est la forme la plus répandue de cette libération qui intervient lorsque l'objet a été produit, c'est-à-dire à la fois continuité et mis hors de l'agent constituant, comme le jeune est engendré, puis, au sens propre du terme, éduqué par l'adulte.

Auteur: Simondon Gilbert

Info: Sur la technique

[ famille ] [ autonomie ] [   échange ] [ société ] [ fric ]

 
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microbiote

Le rôle fondamental du carbone dans les mondes souterrains

Au cœur de l'écosystème microbien enfoui dans les profondeurs terrestres, le carbone joue un rôle pivot, liant cycles géochimiques, métaboliques inédits et stabilité climatique mondiale.

Carbone et microbes souterrains : une symbiose puissante

La vie souterraine décrite par Karen Lloyd est avant tout façonnée par la disponibilité et la transformation du carbone. En l'absence de lumière et de flux énergétiques abondants, les microbes doivent puiser leur énergie dans la matière organique enfouie – de minuscules fragments de protéines, débris végétaux issus du monde superficiel, ou même dans la décomposition de résidus issus de leur propre activité. Cette matière organique représente un stock considérable de carbone, bien plus vaste que celui que l'on retrouve dans l'atmosphère ou la biomasse végétale.

Ces microbes, par leurs processus métaboliques, maîtrisent le destin de ce carbone :

- Lorsqu'ils " respirent " des roches (réduction des minéraux), ils facilitent la transformation du carbone organique et inorganique, systématiquement impliquée dans la chimie de la vie profonde.

- En décomposant la matière organique, ils libèrent du dioxyde de carbone (CO₂) ou du méthane (CH₄), participant ainsi aux grands cycles planétaires et influençant le climat.

Stockage, libération et recyclage du carbone : enjeux et paradoxes

Les recherches récentes montrent que la croissance microbienne – autrement dit la capacité des microbes à convertir le carbone en matière vivante – est décisive pour déterminer la quantité de carbone stockée durablement dans les sédiments et les sols. Plus un microbe assimile le carbone pour sa propre croissance, plus ce carbone reste stocké sous terre, dans une forme stable et durable. À l'inverse, lorsque le microbien métabolique privilégie la respiration, une partie importante du carbone est relâchée sous forme de gaz, renforçant l'effet de serre.

Le milieu souterrain étant pauvre en ressources, ces microbes sont contraints à une extrême parcimonie : leur implication dans le cycle du carbone est marquée par des processus ultra-lents, où le stockage domine souvent la libération, entraînant la longévité exceptionnelle de certains individus et la stabilité relative du stock carboné du sous-sol.

La longue vie du carbone souterrain et ses implications planétaires

Il est frappant de noter que l'âge moyen du carbone dans les sols profonds se chiffre en milliers d'années, parfois jusqu'à plusieurs millénaires. Ce vieux carbone est régulièrement recyclé : soit il reste emprisonné dans des structures organiques et minérales, soit il est, au gré de la dynamique microbienne, relâché dans l'atmosphère. Les activités biologiques de ces " intraterrestres " participent ainsi de façon cruciale à la régulation des stocks planétaires de carbone, jouant un rôle de tampon face au changement climatique.

Carbone, évolution et adaptation extrême

Enfin, le métabolisme du carbone, dans des conditions aussi extrêmes, façonne l'évolution des microbes souterrains : ces organismes ont développé des stratégies inédites pour survivre avec un apport minimal, recyclant jusqu'à leurs propres déchets à des fins énergétiques, exploitant la moindre présence de carbone pour se reconstruire et subsister pendant des millénaires.

Ainsi, les travaux de Karen Lloyd et de la communauté scientifique révèlent que, loin d'être marginal, le carbone constitue le fil conducteur de la vie souterraine sur Terre : il en détermine la dynamique, la longévité, la diversité et son potentiel pour stabiliser notre climat. Les microbes incarnent en profondeur la puissance du vivant à transformer, conserver et parfois libérer le carbone, témoignant de la plasticité et de la robustesse de la vie face aux plus rudes conditions de la planète.




 

Auteur: Internet

Info: Quanta Magazine, Laura Poppick, 21 août 2025 (https://www.quantamagazine.org/the-pursuit-of-life-where-it-seems-unimaginable-20250820/?mc_cid=9a36d3aba0&mc_eid=78bedba296) - synthèse résumé intégrée : perplexyity.ia, prompté par Mg

[ microbiome ] [ processus-flux-adaptation ] [ boucle lente ]

 

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Ajouté à la BD par Le sous-projectionniste

philosophie-théologie

Nulle doctrine, mieux que celle des Ennéades, ne met en évidence le lien des notions d’être et d’intelligibilité. Au sommet de la hiérarchie des substances-principes, se trouve l’Un, mais de l’Un absolu on ne saurait rien dire, pas même qu’il est, car ce serait dire de lui qu’il est l’être, et non plus l’un. On ne peut même pas dire de l’un qu’il est l’un, car en considérant deux fois l’un, on le fait être deux. Bref, l’un est ineffable, on ne peut former à son endroit aucune proposition qui n’aurait pour effet de le détruire, et ceci est vrai de l’un lui-même. Sans doute, l’un n’est pas inconscient ; bien au contraire, il est au sommet de l’immatérialité et de la connaissance, mais il ne connaît pas au moyen de propositions et il n’en saurait former, au sujet de lui-même, aucune dont l’effet serait de lui faire connaître ce qu’il est. L’un est au-delà du "ce que", et puisqu’il n’y a rien qu’il soit, il est au-delà de l’être. A strictement et proprement parler, l’un n’est pas.

L’être apparaît donc au-dessous de l’un. Avec profondeur, Plotin fait commencer l’être avec la connaissance des idées, et en même temps qu’elle, car on ne peut vraiment dire que l’être est qu’au moment où l’on peut en dire ce qu’il est. C’est pourquoi la deuxième substance-principe, qui vient immédiatement après l’Un, est l’Intelligence (nous), qui, précisément parce qu’elle est connaissance, est être. L’Intelligence n’est pas l’Un, mais elle est la connaissance de l’Un, sinon en lui-même, qui transcende la connaissance, du moins sous la forme de toutes ses participations possibles. En tant que connues, ces participations possibles se nomment Idées ; c’est donc bien avec l’Intelligence, lieu des Idées, qu’on atteint véritablement l’ordre de l’être. […] La première chose qui vienne après l’Un (qui lui-même est premier), c’est l’être.

Cette inséparabilité de l’être et de l’intelligible tient donc à ce que rien ne commence d’être tant qu’on ne peut savoir et dire que cela est. On entre au même moment dans un ordre où la pensée se sent chez elle ; à l’Un, à l’ineffable et à l’indéfinissable succèdent tout à la fois le multiple, l’exprimable et le définissable. […]

Une leçon se dégage de cette expérience plotinienne sur la notion de l’Un ; c’est que le multiple ne peut s’obtenir, à partir de l’Un, que sous forme d’idées intelligibles distinctes. A moins d’être conçues comme telles, ces formes intelligibles ne sont pas ; elles ne sont donc pas des êtres ; bref, l’intelligibilité de ces formes est un intermédiaire nécessaire entre l’unité, qui transcende sur l’être, et l’être qui ne se pose que dans la multiplicité.

L’opération n’est pas représentable. Si on tente de l’imaginer, on pense à une sorte d’éclatement métaphysique de l’Un qui se disperserait en Idées, mais rien de tel ne se produit. L’Un reste un ; indifférent à cette prolifération d’images de lui-même dans laquelle il n’est pas engagé, parce que son unité n’est pas celle d’un nombre composable et décomposable à la manière d’une somme, l’Un reste hors de cette plurification qui ne le concerne pas. Le multiple est fait de fragments d’une unité qui n’est pas celle de leur tout. La vieille métaphore de l’image est encore ici la meilleure, car une infinité de reflets dans un jeu de glaces n’ajoute rien à la substance de l’objet qu’ils représentent. […]

Pourquoi donc s’engager dans ces embarras inextricables ? Puisque le donné est multiple et que l’être singulier, dont il est fait, nous est intelligiblement concevable, pourquoi lui ajouter cet Un dont le rapport au multiple est si malaisément compréhensible ? Simplement parce que l’antinomie de l’un et du multiple n’est pas une construction de l’esprit ; elle est donnée dans le multiple même, puisque nous ne pouvons le concevoir que comme une certaine sorte d’unité. […]

Saint Thomas [d'Aquin] a toujours marqué un vif intérêt pour cette dialectique platonicienne de l’un et du multiple parce qu’elle préfigurait à ses yeux celle de l’être et de l’essence. Dans une philosophie chrétienne née d’une méditation rationnelle de la parole de Dieu, la première substance-principe n’est pas l’Un, mais l’Être. Comme l’Un, l’Être échappe à la définition. C’est un lieu commun que la notion d’être n’est pas définissable précisément parce que, étant première, elle inclut nécessairement tous les termes dont on pourrait user pour la définir. Pourtant, hors de l’être, il n’y a que le néant. L’entendement fait donc constamment usage, à titre de premier principe, d’une notion dont il a l’intellection, mais qui élude les prises de la raison raisonnante. On ne peut rien dire de l’être, même fini, sinon qu’il est l’acte en vertu duquel l’étant est, ou existe. Tout se passe comme si l’esse créé participait au caractère mystérieux de la cause créatrice, et en effet, concevoir l’esse fini en soi et à l’état pur serait une entreprise contradictoire ; ce serait tenter de concevoir Dieu. 

Auteur: Gilson Etienne

Info: Introduction à la philosophie chrétienne, Vrin, 2011, pages 173-177

[ métaphysique de l'être ] [ métaphysique de l'un ] [ transposition ] [ christianisme ] [ apophatique ]

 

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théologiens chrétiens

[…] Dieu connaît, Dieu se connaît, Dieu se comprend soi-même, Dieu connaît d’une connaissance qui est sa substance même, c’est-à-dire son être […].

Une perspective nouvelle paraît néanmoins s’ouvrir avec la question suivante, De ideis (ST. I, 15). Après avoir considéré la science de Dieu, dit Saint Thomas, il reste à prendre en considération les idées. On peut se demander pourquoi. Ayant déjà fondé la connaissance divine du singulier sur ce qui, de toute manière, doit en être l’ultime fondement – ipsum Esse – pourquoi ajouter à la doctrine cette sorte d’enclave consacrée aux idées : y a-t-il des Idées ? Y en a-t-il plusieurs, ou une seule ? Y en a-t-il de tout ce que Dieu connaît ?

La réponse est donnée par le Sed contra du premier de ces trois articles : oui, il est nécessaire de poser des idées dans la pensée divine, parce que, selon Saint Augustin, leur importance est telle qu’à moins de les comprendre, nul ne saurait être un sage. […] C’est par les Idées que Dieu devient pour nous causa subsistendi, ratio intelligendi et ordo vivendi. […]

Théologien, il [saint Thomas d’Aquin] s’impose le devoir de montrer en quel sens la doctrine augustinienne des Idées peut être rattachée à la vérité philosophique la plus stricte qui, elle, ne bouge pas. Thomas prend ici l’augustinisme en remorque. On le voit bien à l’aspect d’enclave augustino-platonicienne qu’offre si visiblement cette question XV De Ideis. Idée veut dire forme ; les formes sont, soit à l’état de nature dans les choses, soit, dans l’intellect spéculatif, comme ressemblances des formes des choses naturelles, soit enfin, dans l’intellect pratique, comme modèles des choses à faire. Il y a la forme de la maison, il y a cette forme de la maison connue par l’intellect de celui qui la voit, et il y a la forme de cette même maison prévue par l’intellect de l’architecte qui va la construire. Saint Thomas propose ingénieusement de réserver le nom d’Idée, plutôt à ce troisième mode d’existence de la forme. Il sait bien qu’absolument parlant, on ne peut attribuer à Dieu des Idées sans lui en attribuer de spéculatives aussi bien que de pratiques. Le Soleil Intelligible de Platon, de Plotin et d’Augustin, a des pensées aussi bien que des projets. Saint Thomas sait encore mieux que sa propre doctrine contient éminemment la vérité de l’augustinisme et qu’elle peut s’en passer. Dieu connaît parfaitement sa propre essence (qui est son esse) ; il la connaît donc de toutes les manières dont elle est connaissable […]. En d’autres termes, on peut appeler Idée divine la connaissance qu’a l’essence divine de son imitabilité par une essence finie particulière. La doctrine augustinienne des Idées est donc vraie, mais on le savait d’avance, car l’intellect de Dieu étant son essence même, il est évident que son essence et la connaissance qu’il en a ne font qu’un ; c’est donc une seule et même chose, pour Dieu, que d’être et que d’être les Idées de toutes les créatures finies actuelles ou possibles. Ce n’est pas dire que le mot Idée n’a pas de sens propre, mais ce sens n’affecte pas l’essence divine elle-même ; Dieu n’a pas d’Idée de Dieu ; la pluralité des Idées, connue par Dieu, n’est une pluralité de natures que dans les choses […]. Saint Thomas n’adapte donc pas sa propre pensée à celle de Saint Augustin, mais il accueille la vérité de celle-ci et lui fait place. 

Auteur: Gilson Etienne

Info: Introduction à la philosophie chrétienne, Vrin, 2011, pages 169-171

[ continuité ] [ champ catégoriel ] [ référentiel discursif ] [ exactitude relative ]

 

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