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philosophie

Le premier à avoir parlé d’une "analogie des êtres" (analogia tôn ontôn) est, semble-t-il, le chrétien Jean Philopon, commentateur d’Aristote du début du VIe siècle. On ne parle pas encore d’analogie d’attribution, dénomination inconnue même de saint Thomas d’Aquin et qui ne prendra naissance qu’au XIVe siècle. En attendant, la notion d’analogie garde sa signification mathématique d’égalité de rapport. […]

De Boèce, au début du XIIIe siècle, si le terme d’analogia s’introduit progressivement en latin, c’est toujours avec sa signification de proportionnalité, c’est-à-dire d’égalité de rapports. Mais il subit aussi la puissante influence de l’analogia dionysienne […] qui fait entrer le terme dans une problématique purement théologique, celle de la signification des Noms divins. D’autre part, parallèlement à cette persistance de l’analogia grecque (mais sans rapport terminologique avec elle), se développe lentement une autre problématique, plus proprement philosophique, concernant les termes équivoques et univoques, et les termes intermédiaires, dits en référence à une unité focale de signification. […] Ils concernent principalement le rapport des accidents à la substance : en quel sens le même terme d’être peut-il convenir aux accidents et à la substance ? Réponse : au sens où ce terme fait partie des ambigua, des termes ambigus, car, s’il se dit proprement de la substance, il ne se dit des accidents que secondairement et à cause du rapport qu’ils ont à la substance ; il y a donc un ordre de convenance "par référence à un premier". Mais, en même temps, puisque l’être peut s’attribuer à autre chose qu’à "ce-qui-est" (c’est-à-dire la substance), c’est qu’il transcende l’ordre des catégories (ou prédicaments), savoir, l’ensemble des divers modes selon lesquels on peut caractériser l’existence d’une chose : sa substantialité, sa qualité, sa quantité, ses relations, etc. Se pose ainsi la question de l’unité transcendantale de l’être, et des autres "transcendantaux" : bien, un, vrai, beau.

C’est alors, au début du XIIIe siècle semble-t-il (car les données manquent) que le vocabulaire de la "convenance selon l’ambiguïté" (Alain de Libera) et "en référence à un premier" se mélange avec celui de l’analogie, jusque-là réservé à la proportionnalité mais qui, maintenant, peut aussi servir à désigner un mode d’attribution "en référence à un premier". Les deux vocabulaires vont d’ailleurs coexister encore pendant un certain temps – c’est le cas notamment chez saint Thomas d’Aquin – avant que celui de l’analogie ne l’emporte définitivement, et que n’apparaisse, au début du XIVe siècle, l’expression qui deviendra classique, d’ "analogie d’attribution".

Auteur: Borella Jean

Info: Penser l'analogie, L'Harmattan, Paris, 2012, pages 52 à 54

[ historique ] [ évolution ] [ concept ] [ notion ]

 

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biographie

[...] Maître Eckhart – il signait en latin Magister Ekhardus – fut un dominicain, un moine de l’ordre des Prêcheurs. En conférant à ses sermons allemands une force et un éclat qui ont traversé les siècles et qui verdoient encore dans leur surprenante jeunesse, il ne faisait qu’accomplir la tâche essentielle à laquelle le vouait la règle de son ordre. [...] Eckhart n’est aucunement ce marginal à peine connu, héraut de la libre pensée qu’écrase le tribunal de la Sainte Inquisition. C’est au contraire un personnage illustre dans son ordre et dans la chrétienté théologique. Successivement prieur du couvent d’Erfurt, vicaire de la "nation" de Thuringe, prieur provincial de Saxe [...], il se voit en plus confier, en 1307, la province de Bohême. En 1313, il est vicaire général de Maître de l’ordre. Sa carrière théologique n’est pas moins illustre. Après avoir étudié les arts à Paris, il y reçoit, en 1302, le titre de maître en théologie, et, dans l’année universitaire 1302-1303, est chargé par son ordre d’y enseigner la théologie. [...]

Dominicain chargé d’importantes responsabilités, théologien reconnu, instructeur spirituel vénéré à l’égal d’un saint par les moines et les moniales qu’il dirige, Eckhart est le contraire d’un penseur erratique, d’une pièce rapportée étrangère à la pensée de son temps. [...] Eckhart, nourri d’une immense culture, est un expert en philosophie scolastique, marqué par les théologiens rhénans, Albert de Cologne ou Thierry de Freiberg son contemporain, et [...] il entend expressément se situer dans la ligne de la doctrine thomasienne, comme il le déclare à plusieurs reprises, décernant à son auteur les titres de "vénérable frère" et de "docteur éminent". [...] L’œuvre latine fournit les racines et le tronc de l’arbre eckhartien, l’œuvre allemande en est la fleur et le fruit. C’est en elle que ce qui est vérité métaphysique et théologique devient lumière spirituelle et vie. La première fonde la seconde, mais la seconde illumine la première et nous en révèle la vérité la plus radicale. Tout l’effort du Maître, croyons-nous, visait à montrer quelle est l’ultime signification des enseignements de la théologie, et de quelles conséquences ils se révèlent pour l’homme spirituel quand il les prend au sérieux. Ainsi la doctrine eckhartienne n’est ni une simple reprise du thomisme, ni encore moins sa négation, mais elle le prolonge et l’accomplit, au moins à certains égards et selon certaines directions, où le Docteur commun ne l’eût peut-être pas suivi.

Auteur: Borella Jean

Info: Dans "Lumières de la théologie mystique", éditions L'Harmattan, Paris, 2015, pages 122-123

[ mystique ]

 

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philosophe-sur-philosophe

[Selon Kant] Les idées métaphysiques (Dieu, le Monde, l’âme) sont de simples actes de la raison. En accomplissant ces actes, en pensant "Dieu", "Monde", "âme", la raison ne fait qu’obéir au besoin d’unité qui la régit : unité des phénomènes internes (l’âme), unité des phénomènes externes (le Monde), unité de tous les êtres (Dieu). Mais elle ne perçoit pas véritablement ces idées comme des réalités objectives qui lui seraient effectivement données et qu’elle pourrait donc, non seulement penser, mais encore connaître. Il faudrait pour cela que notre intelligence soit dotée d’un organe de perception intellectuelle, étant donné la nature non-sensible des réalités à percevoir. Une telle intuition intellectuelle n’est pas la nôtre, affirme Kant. Toutefois, par une inévitable illusion "spéculaire", nous croyons voir intellectuellement, comme si elles étaient présentes devant notre esprit, des réalités que nous ne faisons que construire en pensée, et auxquelles la foi seule (car elles existent "en-soi"), et non la science, nous permet d’accéder. Telle est la critique kantienne de la connaissance métaphysique.

Cette critique [...] nous paraît fausse à plusieurs égards. D’abord, parce que la raison humaine a le droit, à un certain degré, de traiter les concepts comme des choses, en tant précisément qu’ils en sont le reflet dans le miroir du mental, reflet dont l’adéquation est garantie par la Révélation et la Tradition universelle. D’où la légitimité de la scolastique. Fausse d’autre part, parce que, confondant la métaphysique véritable avec la scolastique wolfienne, Kant ignore que, depuis toujours, les grandes doctrines métaphysiques, du vedânta au platonisme et au thomisme en passant par le taoïsme ou le bouddhisme mâdhyamika, ont prévu et corrigé la tentation du chosisme spéculatif, avec une efficacité et une radicalité qui dépasse d’assez loin le criticisme kantien. Et la pratique dionysienne de l’anagogie en est précisément une preuve irréfutable. Enfin, il faudrait souligner combien est approximative la conception d’une intuition intellectuelle que Kant imagine sur le modèle de l’intuition sensible : avoir un objet devant soi. Mais au-delà de la connaissance par observation, il y a place pour la connaissance par participation. [...] L’objectivité métaphysique est intrinsèque et qualitative ; c’est l’objectivité de la vérité, nourriture de l’esprit. L’objectivité physique (ou empirique) – l’objectivité d’une chose – est extrinsèque et relative : elle n’est que le reflet de la précédente qui la fonde ontologiquement. L’intuition intellectuelle ne se démontre pas ; elle est la vie même de l’esprit. La nier, c’est nier l’expérience la plus foncière de toute intelligence humaine : automutilation.

Auteur: Borella Jean

Info: Dans "Lumières de la théologie mystique", éditions L'Harmattan, Paris, 2015, pages 105-106

[ erreurs ] [ nominalisme-réalisme ]

 

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intellect

Le mot de gnose, décalque du grec gnôsis, signifie connaissance. S’il est utile de l’employer, c’est parce qu’il ne s’agit pas d’une connaissance ordinaire, mais d’une connaissance sacrée, et non seulement elle est sacrée dans son objet qui est la divine Essence, mais elle l’est aussi dans son "mode" qui est une participation à la connaissance que Dieu a de lui-même. Le terme cependant sert aussi à caractériser une hérésie des premiers siècles du christianisme qui est, en vérité, un angélisme, et à laquelle il conviendrait de réserver proprement la dénomination de gnosticisme. Ce gnosticisme se définit par deux traits essentiels : le refus de la création et de l’Incarnation d’une part, et d’autre part, la prétention de réduire la Vérité et sa Révélation à des schémas mentaux en perdant de vue sa dimension irréductiblement surintelligible. […] L’hérésie du gnosticisme a au moins réussi à convaincre ses adversaires qu’il n’y avait qu’une seule gnose, la sienne. Dès lors, la gnose, dans le christianisme, est frappée de suspicion : elle devient le péché majeur de l’intelligence. La conséquence d’un tel rejet sera terrible. Comme on refuse toute connaissance mystique de Dieu, on ramène la théologie à une connaissance purement rationnelle. Cette connaissance étant humaine et naturelle dans son mode, même si elle est divine dans son objet, on en arrive à ne voir en elle qu’un exercice profane qui ne se distingue pas de la spéculation philosophique, et qui est finalement inutile au salut. C’est la réaction luthérienne. Enfin, cette connaissance inutile sera même réputée comme dangereuse et aliénante : seul compte l’existentiel chrétien ; c’est l’hérésie bultmannienne qui fait de l’existentiel le critère à la fois de l’herméneutique et de la théologie, c’est-à-dire de l’interprétation des Ecritures et de l’élaboration doctrinale. La praxis devient le critère de la theôria, si bien que la theôria n’est plus qu’une doctrine de la bonne praxis, une orthopraxis, selon l’expression de certains modernistes. […] On a oublié qu’il existait une autre connaissance qui n’est pas ratiocination, mais un connaître qui peut être aussi un être par la grâce du Logos, savoir, la gnose que le Saint-Esprit actualise en nous et qui est le fondement interne de la sainte théologie.

[…] la théologie spéculative (ou scolastique), loin de s’opposer à la théologie mystique (ou gnose) permet d’y accéder, parce que, satisfaisant le besoin de causalité de la raison humaine, elle fixe et apaise le mental humain, et […], par son imperfection même, elle appelle à son propre dépassement, invitant la raison à se soumettre à l’intelligence spirituelle.

Auteur: Borella Jean

Info: Amour et vérité, L’Harmattan, 2011, Paris, pages 335-336

[ définition ] [ signification ] [ déviations ]

 

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rationalité

Le croyant est en effet placé entre deux impossibilités : impossibilité de croire au Dieu de la Révélation traditionnelle, impossibilité de croire au "Dieu des philosophes et des savants". Car, et c'est là la première et la plus définitive victoire du rationalisme physiciste, le croyant lui-même adhère suffisamment à la philosophie nouvelle pour se convaincre que le Dieu anthropomorphe ou cosmique de la lettre des Écritures n'est plus recevable en sa créance. Pour l'admettre, il lui faudrait précisément une autre philosophie, une métaphysique des degrés de réalité, à laquelle il a justement renoncé. Désormais la philosophie, c'est-à-dire la connaissance intelligible et synthétique, a définitivement déserté l'ordre du sacré et du religieux, et il doit être suffisamment évident que ce divorce ne peut être que mortel, mortel sans doute pour le religieux, mortel aussi pour le philosophe, nous le montrerons. Mais le croyant peut-il pour autant adhérer au "Dieu des philosophes et des savants" ? Certainement pas. Non pas, comme on le dit trop souvent, parce que sa foi exclurait la science : la foi abrahamique, juive, chrétienne, islamique, s'est parfaitement accommodée du Dieu de Platon et d'Aristote, pendant de nombreux siècles. Mais le "Dieu des philosophes et des savants", c'est le Dieu construit par une certaine philosophie et une certaine science, contre le Dieu des Écritures, dont la raison scientifique a montré l'impossibilité. La philosophie naturelle de Galilée ayant ruiné le fondement ontologique du symbolisme traditionnel, il ne lui reste plus qu'à élaborer, en lieu et place, un autre Dieu du cosmos : Dieu-Horloger, Mécanicien céleste que l'on réduit à la condition de cause première. Ce théisme abstrait n'est pas contraire à la raison. Il se présente même à elle comme la seule solution possible. Mais sa négation ou sa réfutation s'accorde également, quoique d'une autre manière, avec les exigences de la logique. La foi ne peut donc y trouver l'absolu dont elle a besoin. C'est pourquoi elle se sent profondément étrangère à ce Dieu rationnel et se réclame d'un autre Dieu, celui d'Abraham, d'Isaac, et de Jacob. Ce faisant, elle renonce à l'intellectualité sacrée, elle entérine le partage du champ théologique que la nouvelle philosophie religieuse a établi, et paraît même revendiquer pour elle l'obscurité de son engagement. Car le Dieu d'Abraham, c'est celui qui s'adresse à notre personne, Dieu de notre existence et de notre vie, qui parle, non pour enseigner la nature des choses, mais pour susciter notre liberté. Le Dieu du cosmos est rejeté, soit dans l'imaginaire d'une mythologie à jamais disparue, soit dans l'aliénation théoricienne d'une mensongère conceptualisation du divin. Penser Dieu, c'est le soumettre aux catégories de l'entendement, c'est nier son irréductible présence existentielle.

Auteur: Borella Jean

Info: La crise du symbolisme religieux, 1re partie, ch. II, art. 3, sect. 4, pp. 114-115, éd. L'Âge d'Homme, 1990

[ modernité ] [ intuition intellectuelle ]

 
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philosophie antique

Il n’y a pas, chez Platon, d’analyse du processus cognitif : ce qui importe, pour lui, c’est de savoir si ce que l’on connaît est vraiment réel. Aristote, au contraire, analyse, magistralement, l’acte de connaissance. Il y voit un processus d’abstraction : la forme intelligible est abstraite, dégagée de la chose connue, par l’intelligence, et vient s’imprimer dans notre esprit qu’elle informe. C’est par la médiation de cette forme, abstraite de la chose, c’est-à-dire par le concept, que nous connaissons la chose, alors que chez Platon la connaissance véritable est au fond une participation intuitive de l’intelligence à l’essence de l’objet connu. 

[conséquences de l'intégration de la noétique aristotélicienne au Moyen Age]

D’une part, s’accentuant et se durcissant au cours du temps, en dépit de l’admirable équilibre de la synthèse thomasienne, la noétique aristotélicienne conduit, contre le vœu de ses partisans, à la réaction nominaliste – dont la préservait son platonisme implicite (celui de la forme intelligible et de l’intellect agent) : puisque nos concepts ne peuvent pas être des modes de participation aux essences (réellement existantes) des choses, cessons d’attribuer une réalité quelconque à leur contenu, et réduisons leur existence de concepts à celle des noms qui les désignent ; car seuls sont réellement existants les êtres individuels concrets (et donc, éventuellement, le Christ Jésus dans sa présence historique effective, ou dans sa présence extroardinaire et surnaturelle). D’autre part, cette noétique systématisée implique une sorte de laïcisation ou de profanisation de l’intelligence. En dégageant pour lui-même le processus que met en œuvre tout acte de connaissance et en le mettant au centre de la réflexion philosophique, on est amené à négliger la considération des degrés de connaissance et l’importance des distinctions qui les spécifient : du strict point de vue du fonctionnement de l’appareil cognitif, il n’y a en effet aucune différence apparente entre concevoir un triangle, un chat ou Dieu, sinon dans le mode d’abstraction. Il en résulte qu’a priori un parfait athée pourrait être parfait théologien, et que la théologie n’a rien de sacré, du moins quant aux opérations intellectuelles qu’elle requiert : comme l’affirme Luther, c’est un exercice entièrement profane. Enfin, et inversement, il devient difficile de qualifier d’intellectuel ce qui est proprement mystique et surnaturel, dans la mesure où l’activité intellectuelle se caractérise par l’emploi, dans la connaissance d’un objet, d’une médiation conceptuelle, alors que les plus hauts états mystiques – mais les théologiens ne sont pas tous d’accord – semblent exclure tout intermédiaire, et même les concepts. [...] Résumant les trois conséquences que nous venons de repérer, nous dirons que tout se passe comme si on était convié à procéder à une triple dichotomie : du connaître et de l’être, de la science et de la foi, de l’intelligence et de la prière.

Auteur: Borella Jean

Info: "Esotérisme guénonien et mystère chrétien", éditions l’Age d’Homme, Lausanne, 1997, pages 343-344

[ aristotélisme ] [ christianisme ]

 

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création conceptuelle

Le mot "théologie", qui apparaît pour la première fois chez Platon (République, II, 379a), signifie d’abord "parole sur le divin" (les poètes de la mythologie grecque sont appelés des "théologiens"). Aristote connaît cet emploi, mais inaugure un nouveau sens, celui de "science de Dieu", qui finira tardivement par s’imposer : au XIIe siècle, Abélard est le premier à l’employer en ce sens ; au XIIIe siècle, saint Thomas parle encore préférablement de "doctrine sacrée". Le mot "ontologie" est beaucoup plus récent. Il semble qu’il apparaisse pour la première fois en 1647, dans un ouvrage du philosophe allemand Johann Clauberg (1622-1665), en concurrence d’ailleurs avec le terme d’ "ontosophie" [comme science qui considère l’être en général] […]. Clauberg est un jésuite, disciple de Descartes, et qui, à travers lui, reçoit l’influence de Suarez. C’est en effet le jésuite espagnol Francisco Suarez (1548-1617) qui, "à la fin du XVIe siècle, sera le premier à redécouvrir cette assimilation prématurée de la science de l’universel et de la science du premier" [Aubenque, La question de Dieu chez Aristote et chez Hegel, 1991, page 265]. […] Avant Suarez, il y aurait eu, chez les médiévaux, une assimilation implicite entre la métaphysique, étude de l’être en tant qu’être, c’est-à-dire de l’être en général, et la théologie, étude de l’Être premier, c’est-à-dire de l’Être par excellence. C’est pourquoi, réduisant l’ontologie à la théologie, les médiévaux n’avaient pas besoin d’un terme particulier (en l’occurrence selon d’ontologie) pour désigner la science de l’être, puisque l’Etre premier est le principe de l’être en général […]. Au contraire, pour Suarez, saisir théologiquement l’Être premier n’est possible que sur la base de la notion commune d’être en général (Disputationes metaphysicae, I, 5, 15) – ce que nous accordons à condition de reconnaître que cette notion n’est elle-même possible que sur la base d’une intuition fontale de l’Etre en tant que tel, ou, si l’on préfère, du sens inné de l’être, qui est le "souvenir" ou la trace subconsciente que l’acte créateur de Dieu a laissé dans notre âme.

Il s’ensuit de la position de Suarez que la science de Dieu, la théologie (philosophique) n’est pas première, mais qu’elle est précédée par la science de l’être en général, Dieu n’étant plus que le premier des êtres particuliers, si l’on ose dire. C’est la conscience explicite de cette distinction entre l’être en général et l’Etre premier que signale l’apparition du mot ontologie. […] Désormais, les traités de philosophie (scolastiques ou non), surtout à partir du leibnizien Christian Wolf (1679-1754), qui imposera l’usage du terme d’ontologie, auront tendance à diviser la métaphysique en deux parties : la "métaphysique générale" ou "ontologie" et la "métaphysique spéciale" qui, sous l’appellation de "théologie rationnelle" ou "théodicée", s’occupera de cet Être spécial qu’est l’Être divin.

Auteur: Borella Jean

Info: Penser l'analogie, L'Harmattan, Paris, 2012, pages 44-45

[ historique ] [ étymologie ] [ sécularisation ]

 

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hérésie chrétienne

Le défi que les Frères du Libre Esprit lancent à la voie chrétienne de l’intériorité [...] concerne en dernier ressort la dualité créé-Incréé, sur le plan de laquelle se situe l’exotériste pieux. Celui-ci croit se garantir contre les horreurs de ce qu’on appellera plus tard le panthéisme et les déviations morales qu’il entraîne, en posant une distinction ontologiquement radicale entre le Créateur et la créature. Mais cette garantie se révèle à l’examen moins efficace que ne le croit une théologie un peu sommaire. Car voici l’objection : si Dieu est l’être absolu et infini, comment pourra-t-il exister en dehors de Lui un autre être ? Un tel être, non-divin, constituerait en effet, pour l’Être infini, une limitation ; ce qui est contradictoire. Ne faut-il pas alors conclure, ou que la créature n’existe pas – ce qui est impossible – ou que son être est l’Être même de Dieu ? Quand cette conclusion théorique se transforme en prise de conscience effective, estime l’adepte du "libre Esprit", l’âme accède à la "gnose" libératrice de sa nature divine. Pour elle, Dieu est mort en tant qu’idole morale et conceptuelle : elle est vraiment délivrée et tout lui est permis.

La réponse qu’apporte la Theologia teutsch à ce défi radical nous paraît d’une grande profondeur et doit être écoutée attentivement. [...]

Si l’on identifie la créature au Créateur (en quoi consiste le panthéisme), ne risque-t-on pas de tomber dans l’athéisme pur et simple ? Et, si l’on nie la réalité de l’infini divin, qu’en est-il alors de la liberté de l’Esprit ? Seule subsiste la finitude du créé, de la nature et de ses lois, et la prétendue libération de toute règle se réduit à un asservissement indéfini aux déterminismes des instincts les plus aveugles. Il s’agit donc de montrer que la solution du Libre Esprit est une illusion, qu’elle conduit à la servitude, non à la liberté, mais sans renoncer à la vérité de l’Esprit, à son exigence d’unité et d’intériorité, qui nous conduit à dépasser l’interprétation exotérique de la dualité du créé et de l’Incréé. Maintenir cette dualité telle quelle, en effet, n’a que les apparences d’une fidélité à l’orthodoxie de la foi. Par cette dualité même, la transcendance de Dieu est sans doute sauvegardée, mais l’indépendance et la suffisance de la créature sont en même temps posées, comme si la créature pouvait exister en dehors de Dieu et se passer ontologiquement de Lui. Il faut donc dépasser la dualité, mais sans l’abolir, de telle sorte qu’au contraire elle soit fondée et confirmée. La créature est à la fois en Dieu et hors de Dieu. Il convient cependant d’observer que la Theologia germanica se préoccupe plus d’enseigner une voie spirituelle qui permette de réaliser cette non-dualité, que d’en exposer théoriquement la doctrine métaphysique.

Auteur: Borella Jean

Info: Dans "Lumières de la théologie mystique", éditions L'Harmattan, Paris, 2015, pages 169-170

[ problème ] [ ésotérisme ]

 
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déification

[…] Evagre le répète inlassablement, seul l’intellect, et l’intellect parfaitement dépouillé, est capable de voir la Trinité. Mais encore est-il préférable de dire qu’un tel intellect est "voyant de la Sainte-Trinité", c’est-à-dire que cette vision est son essence même. Devenant ce qu’il connaît, l’intellect, par la contemplation seconde, est rendu "isangélique", égal aux anges. A ce degré en effet, l’homme n’est plus vraiment un homme : "les mondes changent et les noms sont abolis" [Traité de l’oraison]. Mais le dépouillement total est au-delà même de toute forme intelligible. Il s’agit alors de l’intellect informel. […] "L’intellect, entré dans le service des Commandements de Dieu – praxis – évolue dans la pensée des objets de ce monde ; entré dans la gnose (inférieure), il évolue dans la contemplation ; mais entré dans l’oraison, il pénètre dans la lumière sans forme qui est le lieu de Dieu". Dès cette entrée, l’intellect devient dieu par grâce. Et ainsi la contemplation de la Trinité coïncide avec la vision de son propre état "lorsque l’intellect est jugé digne de la contemplation de la Sainte-Trinité, alors, par grâce, il est lui aussi appelé dieu, étant parachevé dans la ressemblance de son Créateur". C’est pourquoi "c’est de Dieu même qu’il loue Dieu". Celui-là "possède dans la contemplation de lui-même le monde spirituel".

L’intellect est donc élevé à une dignité infinie, dignité qu’il possède en vertu même de sa nature intellectuelle. Un théologien occidental sera tenté de voir dans ces affirmations la confusion de la nature et de la grâce […]. Pourtant, il n’y a aucune confusion entre les deux ordres, car la pure nature de l’intellect est un don de Dieu. Il y a seulement une fusion totale dans une transformation éternelle. L’intellect, disons-nous, s’identifie à sa nature surnaturelle, son prototype in divinis. […] Nous touchons ici l’un des mystères les plus hauts de la science spirituelle. Dieu ne peut être vu que par lui-même, et donc, si l’intellect voit Dieu, ce ne peut être que Dieu lui-même, se voyant dans sa propre lumière. L’intellect est, dans cette vision, transformé en Dieu lui-même et c’est donc aussi dans sa propre lumière qu’il voit Dieu. […] ni distinction dualiste, ni identification moniste. Le mystère est plus profond, il est même d’une profondeur infinie. Ecoutons cette admirable histoire rapportée par Evagre : "Au sujet de cette Sainte Lumière (de l’oraison), le serviteur de Dieu Ammonios et moi nous avons demandé à saint Jean de Thébaïde si c’est la nature de l’intelligence qui est lumineuse et si c’est d’elle que vient la lumière, ou bien si quelque chose d’extérieur l’illumine. Il nous répondit : Aucun homme n’est capable de décider cette question ; mais en tout cas, sans la grâce de Dieu, l’intelligence ne saurait être illuminée dans l’oraison et délivrée des ennemis nombreux et acharnés à sa perte".

Auteur: Borella Jean

Info: Amour et vérité, L’Harmattan, 2011, Paris, pages 349-350

[ christianisme ] [ triade ] [ tiers exclu ]

 

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illusion caritative

[…] ce qui inspire l’agapè, ce n’est pas la nature humaine comme telle, mais le fait que cette nature soit subjectivée dans une conscience. Au fond, l’agapè naturelle ne se distingue guère de ce qu’on appelle l’altruisme. Autrui est saisi d’emblée comme une personne, comme un autre je, non d’abord comme un autre homme. C’est dire qu’il est saisi d’emblée comme un appel à ne pas être égoïste. Ce qui émeut (et meut) l’action humaine, ce n’est pas d’abord que le malheur et l’injustice atteignent la nature humaine, mais que ce malheur et cette injustice soient soufferts par une conscience, et que par là cette souffrance m’échappe et m’appelle à la soulager, sinon à la partager. L’action altruiste se fera peut-être au nom de la solidarité humaine, mais cette justification a posteriori ne serait pas suffisante pour mettre en branle si elle n’était précédée de la vive représentation du caractère personnel de la souffrance. Il en résulté, puisque c’est là le principe "naturel" inspirateur de l’agapè, que la relation qu’il détermine tend à abolir la dualité des consciences, autrement dit que la personne voudrait se transformer en relation. Or, sur le plan naturel, cette transformation est impossible ; une telle relation, qui soit aussi une personne, n’existe pas. C’est pourquoi l’énergie de l’agapè cherche à la créer. Elle n’en est pourtant que la révélatrice ; et encore, avec cette restriction que, sur le plan naturel, elle ne peut révéler qu’une exigence et non pas la relation elle-même. Toutefois, si l’on néglige cette restriction, on voit que, structurellement parlant, l’agapè est comme la synthèse de l’eros et de la philia. Dans l’eros, l’énergie révèle la personne. Dans la philia, la personne révèle la relation. L’agapè combine la fonction révélatrice de de l’énergie de l’eros, avec l’objet révélé de la philia : en elle, l’énergie révèle la relation. Sans doute, sur le plan naturel, une telle fonction se heurterait à une quasi impossibilité. L’élan de la charité profane conduit bien à découvrir une relation qui, selon les exigences inspiratrices de cet élan, devrait unir les personnes entre elles. Mais comme nous l’avons dit, une telle relation, à ce niveau, n’existe pas. Il y faut l’intervention de la grâce du Christ. Dès lors, elle tombe au niveau de la philia, et redevient relation fondée dans l’unicité de la nature humaine : l’altruisme est en vérité une philanthropie. Ainsi, l’agapè naturelle est plutôt un compromis ou un mélange d’eros et de philia qu’une véritable synthèse. En elle, on prétend aimer d’amour la nature humaine alors que pourtant, un tel élan d’amour ne peut s’adresser qu’à la personne et non à la nature. Cette situation particulière explique la force attractive de la charité profane, la puissance émotive quasi érotique des déclarations qui lui sont consacrées et la pseudo-mystique de cette religion de l’humanité dont le type achevé nous est donné par Auguste Comte.

Auteur: Borella Jean

Info: Amour et vérité, L’Harmattan, 2011, Paris, pages 265-266

[ naturel-surnaturel ] [ christianisme ] [ triade ]

 

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