Si l’on posait Dieu dans l’ordre de l’essence, fût-ce même à son sommet, il deviendrait extrêmement difficile, pour ne pas dire impossible, de trouver hors de Dieu une place pour le monde des créatures. On ne peut rien ajouter à l’infini, ni rien en soustraire, si bien qu’à la parole de Leibniz "il n’y a qu’un Dieu, et ce Dieu suffit", on pourrait joindre cette remarque : et il se suffit. Mais nous partons ici de la notion d’un Dieu entièrement transcendant à l’ordre des essences, qui inclut la totalité des créatures, d’où l’on peut inférer qu’aucun problème d’addition ou de soustraction ne se posera entre lui et les étants qu’il crée. […]
Il reste donc à chercher comment l’essence peut venir de ce qui transcende l’essence en l’absorbant dans l’être. Certain philosophe d’aujourd’hui a reproché aux métaphysiciens d’autrefois de s’être attardés autour du problème de l’étant (das Seiende) sans aborder franchement celui de l’être (das Sein). Il se peut que nous méconnaissions le sens exact du reproche, car la vérité nous semblerait plutôt que les métaphysiques les plus profondes, de Platon à Thomas d’Aquin et au-delà jusqu’à notre propre temps, aient senti le besoin de dépasser le plan de l’essence pour atteindre celui de la source et cause de l’essence. Quoi qu’il en soit des autres, la métaphysique de l’esse constitue le cas typique d’une ontologie qui refuse expressément de s’en tenir au niveau de l’étant et pousse jusqu’à celui de l’être où l’étant prend sa source. Il est vrai qu’une fois là, le métaphysicien évite bien rarement de parler de l’être autrement que dans le langage de l’étant, mais ceux qui le lui reprochent font exactement la même chose. […] L’entendement n’a qu’un langage, qui est celui de l’essence. De l’au-delà de l’essence, on ne peut rien dire, sinon qu’il est et qu’il est la source de tout le reste, mais il est nécessaire de le savoir et de le dire, car prendre l’essence pour l’être est une des causes d’erreur les plus graves qui menacent la métaphysique. L’extrême pointe de la réflexion du métaphysicien est atteinte au moment où l’étant ne lui est plus concevable que comme une participation de l’être, lui-même insaisissable autrement qu’engagé dans l’essence de l’étant dont il est l’acte.
Années: 1884 - 1978
Epoque – Courant religieux: industriel
Sexe: H
Profession et précisions: philosophe et historien
Continent – Pays: Europe - France