L’être fini est l’effet propre de l’acte créateur, mais on a vu que l’être fini ne saurait être créé à part ; il ne peut être que concréé, avec et dans l’essence, dont il est l’acte, mais dont il reçoit sa mesure, c’est-à-dire, avec un ens, un étant. Le nom technique de l’étant est "substance". […]
C’est de là qu’on a tiré la définition ordinairement reçue de la substance ens per se, un être par soi, c’est-à-dire existant ou capable d’exister par soi seul, par opposition à l’ens per aliud, ou accident, incapable d’exister à part et autrement que dans une substance. C’est d’ailleurs pourquoi l’on dit communément que la substance possède l’esse, c’est-à-dire un être propre, mais que l’être de l’accident se réduit pour lui à "être dans" la substance. C’est de et par l’être de la substance que l’accident existe ; il n’a pas d’être à lui, distinct de l’être de la substance : accidentis esse est inesse.
Prise en elle-même, cette notion de la substance est correcte, mais la forme sous laquelle elle s’exprime d’ordinaire ne l’est pas. Il y a un ens per se, et il n’y en a qu’un seul, qui est Dieu. […] Si l’on veut absolument définir la substance, bien qu’elle soit le genre généralissime, il faudra plutôt dire qu’elle est "ce à la quiddité de quoi il est dû de ne pas être en quelque chose" […].
[…] il s’agit ici de définir une certaine manière d’exister : celle qui convient à la substance. C’est donc l’essence, le modus essendi, qui est ici en jeu. Si l’essence en question est telle qu’elle soit capable de porter à elle seule un acte d’exister, l’étant correspondant est une substance ; au contraire, si l’essence en question n’est pas capable de porter à elle seule un acte d’exister, l’étant correspondant est un accident. […] La définition de la substance non est ens per se ; il faudrait plutôt en dire quod habeat quidditatem cui conveniat esse non in alio (CG. I, 25, 10). C’est d’ailleurs pourquoi Dieu n’est pas proprement une substance, puisqu’il n’a pas d’essence autre que son esse. […] Bref, une substance n’est pas de l’être, elle est toujours un étant.
Il faut ajouter à cela qu’une substance est un étant en vertu de l’esse qui fait d’elle un être. En ce sens, l’esse créé est vraiment cause de l’étant, mais il ne faut pas se l’imaginer comme une cause efficiente dont l’opération serait de produire l’existence actuelle du fini. […] On doit plutôt le concevoir comme un principe constitutif formel de l’étant ; exactement, comme ce par quoi l’essence est un étant. Il faut donc briser le cadre de l’aristotélisme où la forme essentielle est l’élément formel suprême, car il y a ici quelque chose de plus formel encore que l’essence, et c’est précisément l’esse, principe constitutif de l’étant, qui compose avec l’essence pour constituer une substance.
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Info: Introduction à la philosophie chrétienne, Vrin, 2011, pages 185-188
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