Citation
Catégorie
Tag – étiquette
Auteur
Info
Rechercher par n'importe quelle lettre



nb max de mots
nb min de mots
trier par
Dictionnaire analogique intriqué pour extraits... Recherche mots ou phrases tous azimuts... Outil de précision sémantique et de réflexion communautaire... Voir aussi la rubrique mode d'emploi. Jetez un oeil à la colonne "chaînes". ATTENTION, faire une REINITIALISATION après  une recherche complexe. Et utilisez le nuage de corrélats ... Lire la suite >>
Résultat(s): 5
Temps de recherche: 0.0204s

philosophie-théologie

[…] la théologie est aux autres sciences dans un rapport analogue à celui du sens commun aux cinq sens. Le sensus communis lui-même ne voit ni n’entend : c’est l’affaire des sens externes, mais, faculté supérieure, il recueille, compare et juge les données des cinq sens sous une raison formelle plus universelle. Le théologien fait quelque chose de semblable. Se tournant vers les philosophies et théologies, il rejette d’abord sans fausse complaisance ce qu’il y aperçoit de mal venu ou, plus encore, de faux, mais dans certaines d’entre elles, il lit au contraire, comme en filigrane, des vérités plus plénières que celles que leurs auteurs ont eu conscience de connaître. Lui-même vient d’en avoir claire conscience parce que, venant après eux, et grâce à eux, sa raison naturelle a procédé plus avant sur la même route qu’éclaire pour lui la lumière de la révélation.

Auteur: Gilson Etienne

Info: Introduction à la philosophie chrétienne, Vrin, 2011, pages 90-91

[ synthétique ] [ progression ] [ récapitulative ] [ foi-raison ]

 

Commentaires: 0

Ajouté à la BD par Coli Masson

christianisme

Cette nécessité de croire à l’existence du Dieu de Moïse, à l’origine de toute recherche théologique, ne fait aucun doute dans l’esprit de Saint Thomas. Selon lui, la foi consiste principalement en deux choses : la connaissance vraie de Dieu et le mystère de l’Incarnation. Or on ne peut pas hésiter sur ce qu’il nomme la connaissance vraie de Dieu. Saint Thomas entend par là ce que tout fidèle est tenu de croire explicitement et en tout temps pour être sauvé, c’est-à-dire les deux choses que dit l’Apôtre dans l’Epître aux Hébreux, 11, 6 : "Sans la foi il est impossible de Lui plaire. Car celui qui s’approche de Dieu doit croire qu’il existe et qu’il se fait le rémunérateur de ceux qui le cherchent." Sur quoi saint Thomas ajoute : "Par conséquent chacun (quilibet) est tenu de croire explicitement, et en tout temps, que Dieu existe (Deum esse) et qu’il exerce sa providence sur les choses humaines." (Questiones Dispuatae de Veritate, 14, 11). Toute notre connaissance théologique de Dieu commence donc par un acte de foi en la révélation, faite par Dieu lui-même, de sa propre existence. L’Ego sum de l’Exode est bien à sa place, dans la Somme de théologie, avant toutes les preuves rationnelles et proprement philosophiques de l’existence de Dieu.

Auteur: Gilson Etienne

Info: Introduction à la philosophie chrétienne, Vrin, 2011, page 36

[ définition ] [ foi-raison ] [ primauté ]

 
Commentaires: 4
Ajouté à la BD par Coli Masson

philosophie-théologie

On ne saurait assez admirer l’attitude de ces philosophes scolastiques, fort conscients d’avoir à leur disposition deux sagesses et qui trouvent si facile d’en départager les domaines. "La sagesse, ou science parfaite", dit l’un d’eux, "est double, l’une qui procède à la lumière surnaturelle de la foi et de la révélation divine, l’autre qui procède à la lumière de la raison naturelle. Celle-ci est la Philosophie, celle-là est la Théologie chrétienne, science surnaturelle en sa racine et en raison de ses principes. On définira donc la philosophie : la connaissance par les causes ultimes procédant à la lumière naturelle de la raison" [J. Gredt, Elementa philosophiae aristotelico-thomisticae, vol. 1, art. 1].

Ces paroles sont entièrement vraies et conformes à l’enseignement de Saint Thomas [d'Aquin] ; aucune difficulté ne surgit tant qu’on se tient sur le plan de la distinction formelle ; les obscurités s’accumulent au contraire si l’on prétend empêcher ces deux sagesses de cohabiter et de collaborer chez un même homme, dans un même esprit. De ce qu’enseigne la théologie, science surnaturelle en ses principes, la philosophie n'aura-t-elle rien à dire ? Et de ce qu’enseigne la philosophie, qui procède à la lumière de la raison naturelle, la théologie ne pensera-t-elle rien ? Saint Thomas, du moins, affirme exactement le contraire, car il ne maintient si fermement la distinction formelle des deux lumières et des deux sagesses que pour mieux leur permettre de collaborer, sans confusion possible mais sans faux scrupule, et intimement. […]

Le plus remarquable en ceci est qu’on veuille séparer révélation et raison pour satisfaire aux exigences d’une notion de la philosophie qui n’a jamais existé. Nul philosophe n’a jamais philosophé sur la forme vide d’une raison sans contenu. Ne penser à rien et ne pas penser, c’est tout un. Que l’on ôte par la pensée tout ce qu’il y a de proprement religieux dans les grandes philosophies grecques de Platon à Plotin, puis ce qu’il y a de proprement chrétien dans la spéculation philosophique de Descartes, de Malebranche, de Leibniz, même de Kant et de certains de ses successeurs, l’existence de ces doctrines devient incompréhensible. 

Auteur: Gilson Etienne

Info: Introduction à la philosophie chrétienne, Vrin, 2011, pages 115-116

[ complémentarité ] [ champs catégoriels distincts ] [ foi-raison ] [ christianisme ]

 

Commentaires: 0

Ajouté à la BD par Coli Masson

philosophie-théologie

Peu de philosophes évitent la tentation de philosopher sans autres présuppositions que la pensée même. […] plusieurs d’entre eux [des philosophes chrétiens] ne cachent pas leur déplaisir quand on les exhorte à regarder et, si possible, à voir une vérité première qui, à ce titre, n’est pas objet de démonstration. C’est pourquoi, tenant la composition d’essence et d’existence dans le fini pour la vérité fondamentale de la philosophie chrétienne, ils n’ont pu supporter l’idée de la laisser à l’état d’affirmation arbitraire et ont entrepris de la démontrer.

Disons d’abord, pour éviter toute équivoque, que la distinction (ou composition) d’essence et d’être, dans le fini est en effet démontrable, sous de certaines conditions, pourtant, dont il importe au plus haut point de comprendre la nature.

[…] on a ramené à trois les principaux types d’arguments par lesquels Saint Thomas [d'Aquin] établit cette distinction fameuse dans les écoles.

Le premier […] est clairement exposé dans le De ente et essentia, IV : "Tout ce qui n’est pas de la notion d’une essence, ou quiddité, lui advient de l’extérieur et fait composition avec cette essence, car nulle essence ne peut être conçue sans ce qui en fait partie. Or toute essence ou quiddité peut être conçue sans que l’on conçoive quoi que ce soit de son existence ; en effet, je peux concevoir ce qu’est un homme, ou un phénix, et pourtant ignorer s’il en existe dans la nature. Il est donc manifeste que l’être est autre que l’essence, ou quiddité."

L’argument est irréfutable, mais que prouve-t-il ? D’abord que l’être actuel n’est pas inclus dans la notion de l’essence. […] Pour qu’une essence passe du possible à l’être, il faut donc qu’une cause extérieure lui confère l’existence actuelle. Il n’y a jamais eu de théologien ou de métaphysicien chrétien pour mettre en doute la validité de cette conséquence. N’étant pas à soi-même la cause de sa propre existence, l’être fini doit la tenir d’une cause supérieure, qui est Dieu. En ce sens, ce que l’on nomme distinction d’essence et d’être signifie simplement que tout être fini est un être créé. Or tous les théologiens l’admettent, mais beaucoup refusent d’en conclure que l’être fini se compose de deux éléments métaphysiques, son essence et un acte d’être en vertu duquel il existe. Dire qu’un être fini n’a pas dans son essence la raison de son être, c’est une chose […] ; dire que, dans ce même être fini, l’existence vient d’un actus essendi auquel tient précisément l’être actuel, c’est autre chose, et qui ne suit aucunement de l’argument en question.

[…] Passons au deuxième groupe d’arguments. Leur schème commun, nous dit-on, est le suivant : "L’être dans lequel essence et existence ne sont pas distincts, l’être dont l’essence même est d’exister, est nécessairement unique, parce qu’il ne pourrait être multiplié sans être différencié, et qu’il ne peut être différencié d’aucune manière. En conséquence, dans tous les êtres créés, l’être se distingue de l’essence." [M. D. Roland-Gosselin, Le "De ente et essentia" de Saint Thomas d’Aquin, Paris, Vrin, 1926, p. 188]

Ici encore, l’argument est concluant et, cette fois, c’est bien la vérité de la distinction d’essence et d’existence qu’il aboutit à fonder. Voici sans aucun doute la voie royale et préférée des théologiens, car si Dieu est l’acte pur d’être, rien d’autre que lui ne peut l’être ; ce qui prétendrait à ce titre serait l’ipsum purum esse ; ce serait Dieu. Voilà pourquoi tant des théologiens thomistes accusent volontiers de panthéisme ceux qui, sourds à leurs arguments, refusent la distinction d’essence et d’existence dans le fini. Ils se font la partie belle car […] il faudrait d’abord établir que, pour Dieu, être l’Être est être le pur acte d’essence, dont l’essence est l’être même. La valeur de l’argument dépend donc entièrement de celle d’une certaine notion de Dieu à laquelle, quelle qu’en soit la valeur réelle, beaucoup de théologiens, dont certains furent des saints, semblent n’avoir jamais pensé.

Les preuves du troisièmes groupe, "prises de la nature de l’être créé, viennent corroborer ces conclusions". […] Etant, par définition, causé par un autre, "l’être créé ne subsiste point par soi, comme subsiste nécessairement l’être dont l’essence est d’exister ; d’autre part, être un effet ne peut convenir à l’être créé à raison de l’être lui-même, sinon tout être serait essentiellement effet, et il n’y aurait pas de cause première ; être effet convient donc à l’être créé à raison d’un sujet distinct de son être" [ibid.].

Rien ne fait mieux voir à quelle difficulté fondamentale se heurtent toutes ces démonstrations. Prouver que, puisqu’être créé n’est pas essentiel à l’être lui-même, cela ne peut lui convenir qu’à raison d’un sujet distinct de son être, c’est s’accorder la conclusion que l’on voulait démontrer. Car enfin, concédons les prémisses de l’argument, en quoi permettent-elles de conclure que le sujet de l’être créé est réellement distinct de son être ? Or c’est précisément cela qui est en question, et rien d’autre. Tout théologien conviendra que, par définition, un être créé n’est pas identiquement son existence ; il ne l’est pas, puisque, créé, il lui faut la recevoir pour être, mais, d’autre part, il suffit à l’essence créée, pour être, que Dieu la fasse exister, ce qui est proprement la créer. Que Dieu ne puisse créer un être fini sans lui conférer un acte d’esse réellement distinct de son essence, c’est ce qui peut être vrai, mais, à supposer même que ce soit démontrable, l’argument ne l’a pas démontré.

Ces raisons, et toutes celles du même genre, ont ceci de commun qu’elles supposent déjà conçue la notion d’être entendue au sens, non pas de l’étant (ens, habens esse, ce qui est), mais bien de l’acte d’être (esse) qui, composant avec l’essence, en fait précisément un étant, un habens esse. Or, dès qu’on a conçu cette notion proprement thomiste d’esse, il n’y a plus de problème, il ne reste plus rien à démontrer. 

Auteur: Gilson Etienne

Info: Introduction à la philosophie chrétienne, Vrin, 2011, pages 103 à 108

[ foi-raison ] [ christianisme ] [ limites ] [ créature-créateur ] [ indémontrabilité ] [ impossible ]

 

Commentaires: 0

Ajouté à la BD par Coli Masson

philosophie-théologie

C’est seulement à partir du seizième siècle que le développement propre des études philosophiques exigées des futurs théologiens conduisit à diviser les études religieuses en deux parties, la philosophie scolastique et la théologie scolastique. A ce moment, ce qu’il y avait eu de philosophie incluse dans les théologies scolastiques, ou explicitement élaborée en vue de ces théologies et pour leur usage, se constitua en corps de doctrine distinct. C’est ce qu’avaient déjà fait les averroïstes du treizième siècle et leurs successeurs, mais leur intention était de séparer les deux disciplines, non seulement de les distinguer. Les scolastique du seizième siècle, et jusqu’à ceux de nos jours, ont fait une sorte de rêve : constituer, comme préambule à la théologie, une philosophie qui ne devrait rien à celle-ci, sauf une sorte de contrôle extérieur, et qui pourtant s’accorderait parfaitement avec elle. Les scolastiques de notre temps étant thomistes en quelque sorte par définition (bien que les exceptions soient nombreuses), ils veulent naturellement que cette philosophie soit celle de Saint Thomas d’Aquin, ce qui suppose que Saint Thomas ait eu une philosophie. On lui attribue donc celle qu’eut Aristote, retouchée pourtant, comme on assure que le Philosophe lui-même aurait pu le faire pour la mettre d’accord avec la théologie chrétienne.

Sur l’opportunité d’adopter cette attitude, on peut différer d’opinion ; ce qu’il est très difficile d’admettre, c’est que, transportant dans le passé cette manière de faire, on prétende qu’elle ait été déjà celle de Saint Thomas d’Aquin. […] Il est incontestable que l’influence de la philosophie d’Aristote sur la pensée théologique de Saint Thomas dépasse de loin celle des autres philosophes. Elle est prépondérante en ce sens qu’ayant à mobiliser la philosophie au service de la théologie, c’est principalement celle d’Aristote dont Saint Thomas a fait usage, mais ce qu’il fait dire au Philosophe est toujours ce que celui-ci doit dire pour servir les fins du théologien. Et il n’est pas seul à les servir.

On altère la pensée théologique de Saint Thomas en imaginant qu’elle ait pu se lier à une doctrine philosophique quelconque, fût-ce même celle que le théologien jugeait de loin la meilleure de toutes. Lorsqu’il réfléchit sur ce que la raison humaine peut connaître de Dieu par ses seules forces, sans l’aide de la révélation judéo-chrétienne, Saint Thomas pose le problème, non pas du point de vue du seul Aristote, mais en fonction de l’histoire entière de la philosophie grecque. Car c’est là pour lui toute l’histoire de la philosophie, l’âge suivant n’ayant plus guère été que celui des commentateurs et des Saints.

Saint Thomas a plusieurs fois esquissé un tableau d’ensemble de cette histoire. Telle qu’il la connaissait et l’interprétait, elle apparaissait dominée par une règle générale. Dieu ne peut être trouvé que comme cause des êtres donnés dans l’expérience sensible, et l’idée que la raison se fait de lui s’élève à mesure qu’elle-même connaît plus profondément la nature de ses effets. En d’autres termes, on ne peut pas trouver un Dieu plus élevé que celui qu’on cherche ; pour trouver le Dieu le plus haut qu’elle soit capable de concevoir par ses seules forces, il faut que la raison naturelle s’interroge sur la cause de ce qu’il y a de plus parfait dans les êtres sensibles tels qu’elle les connaît.

Sous le regard scrutateur du théologien, cette histoire se présente comme celle d’un progrès, non pas continu, mais sans régressions et jalonné par un petit nombre d’étapes marquantes. Cet approfondissement progressif de la nature des êtres, qu’accompagne celui de notre connaissance de Dieu, suit lui-même un ordre déterminé, qui est celui de la connaissance humaine : secundum ordinem cognitionis humanae processerunt antiqui in consideratione naturae rerum (QDP, 3, 6)*. Or notre connaissance commence par le sensible et, à partir de là, elle s’élève progressivement à l’intelligible par une suite d’abstractions de plus en plus poussées.

Une première étape correspond à la perception sensible des qualités des corps. Les premiers philosophes ont donc naturellement été matérialistes pour la simple raison qu’ils ont d’abord confondu la réalité avec ce qu’ils pouvaient en percevoir par les sens. […] Pour eux, la substance est la matière ; ils ne la conçoivent même pas comme douée d’une forme substantielle, car les formes substantielles ne sont pas perceptibles aux sens ; par contre, les qualités des corps, qui en sont les formes accidentelles, tombent sous les prises des cinq sens.

Voici donc en quoi la réalité consistait selon les premiers philosophes : la matière, qui est la substance, et les accidents, qui sont causés par les principes constitutifs de la substance matérielle, ou éléments. Il ne leur en fallait pas davantage pour expliquer les apparences du monde sensible. Comprenons bien ce point tel que Saint Thomas lui-même l’entendait : si nous posons la matière comme une substance dont les éléments suffisent à rendre raison de toutes les qualités sensibles des corps, celles-ci ne sont autre chose que la manifestation de ces qualités. Elles n’ont donc pas à être produites ; elles sont là du seul fait que la substance matérielle, dont elles sont les formes accidentelles, est là. D’où cette conclusion digne d’attention que, pour ceux qui tiennent une philosophie de ce genre, la matière est la cause ultime de toutes les apparences. Il n’y a donc pas lieu de poser une cause de la matière, ou, plus exactement, ces philosophes sont contraints à affirmer que la matière n’a pas de cause, ce qui, pour Saint Thomas, revient à nier totalement la cause efficiente : une ponere cogebantur materiae causam non esse, et negare totaliter causam efficientem.** 

[…] La deuxième étape fut franchie par ceux des philosophes venus plus tard qui commencèrent, dans une certaine mesure, à prendre en considération les formes substantielles. Celles-ci étant invisibles, on s’élevait par là de la connaissance sensible à la connaissance intellectuelle. C’était un progrès décisif, car en passant de l’ordre du sensible à celui de l’intelligible, on atteignait l’universel. Pourtant, cette deuxième famille de philosophes ne se demanda pas s’il y avait des formes universelles et des causes universelles, toute son attention se porta sur les formes de certaines espèces. Cette fois, il s’agissait de causes vraiment agissantes (aliquas causas agentes***), mais qui ne conféraient pas aux choses l’être au sens où ce mot s’applique universellement à tout ce qui est. Les formes substantielles en question ne faisaient que permuter la matière en lui imposant tantôt une forme, tantôt une autre. C’est ainsi qu’Anaxagore expliquait la diversité de certaines formes substantielles en faisant appel à l’Intelligence, ou qu’Empédocle les expliquait, par l’Amitié et la Haine. 

[…] L’étape dernière fut alors franchie par un autre groupe de philosophes, tels que Platon, Aristote et leurs écoles, qui, réussissant à prendre en considération l’être même dans son universalité, ont été les seuls à poser quelque cause universelle des choses dont tout le reste tînt son être. […] tous les philosophes qui ont posé une cause universelle quelconque des choses (aliquam universalem causam rerum) viennent unanimement à l’appui de cette conclusion théologique : non, il n’existe aucun être qui ne soit créé par Dieu. C’est ce qu’enseigne la foi catholique elle-même, mais que l’on peut démontrer par trois raisons. […]

En effet, la première raison philosophique de poser une cause de l’être universel que retienne ici Saint Thomas, se tire de cette règle, que lorsqu’une même chose se rencontre en commun en plusieurs êtres, il faut qu’elle soit causée en eux par une cause unique. En effet, la présence commune d’une même chose en plusieurs êtres différents ne peut s’expliquer ni par ce qu’eux-mêmes ont de différent, ni par une pluralité de causes différentes. Or l’être (esse) appartient en commun à toutes choses, car elles se ressemblent en ceci, qu’elles sont, bien qu’elles diffèrent les unes des autres en ce qu’elles sont ; il faut donc nécessairement qu’elles ne tiennent pas leur être d’elles-mêmes, mais d’une certaine cause qui soit unique. […]

La deuxième raison se prend des degrés d’être et de perfection. La précédente se contentait de poser l’un comme cause du multiple, celle-ci pose l’absolu, ou le suprême degré dans chaque genre, comme cause de tout ce qui diffère par le plus ou le moins à l’intérieur du même genre. C’est la mesure de la participation au genre qui exige ici qu’on pose dans ce genre un terme suprême, cause unique de ses participations inégales. […]

Observons avec attention les limites des services que Saint Thomas attend ici des philosophes. Il suffit à son propos que Platon et Aristote se soient élevés l’un et l’autre à la considération de l’être universel et qu’ils lui aient assigné une cause unique. Disons plus précisément : il suffit à Saint Thomas que ces philosophes aient su assigner une cause unique à l’une quelconque des propriétés transcendantales de l’être en tant qu’être, que ce soit l’unité avec Platon, ou le bien et la perfection avec Aristote. Ces propriétés sont universellement attribuables à l’être, et Saint Thomas fait honneur à ces philosophes d’en avoir conclu qu’elles doivent nécessairement avoir une Cause unique, mais il n’attribue ni à l’un ni à l’autre une métaphysique de la Création. Platon et Aristote expliquent tout de l’être, sauf son existence même.

La troisième raison nous en conduit aussi près que les philosophes s’en sont jamais approchés ; c’est que ce qui est par autrui se réduit à ce qui est par soi comme à sa cause. Or les êtres donnés dans l’expérience ne sont pas purement et simplement de l’être. D’aucun d’eux on ne peut dire simplement : il est ; on doit toujours dire : il est ceci ou cela. Nous aurons à revenir sur ce fait important. Pour le présent, il suffira d’en retenir qu’il n’existe aucun être simple (c’est-à-dire, simplement et uniquement être) qui soit donné dans l’expérience.

Ce qui n’est qu’une certaine manière d’être, ou qu’un être d’une certaine espèce, n’est manifestement qu’une certaine manière de participer à l’être, et les limites de sa participation sont mesurées par la définition de son espèce. S’il y a des êtres par mode de participation, il doit y avoir d’abord un être par soi : est ponere aliquod ens quod est ipsum suum esse, c’est-à-dire un premier être qui soit l’acte pur d’être, et rien d’autre.

Auteur: Gilson Etienne

Info: Introduction à la philosophie chrétienne, Vrin, 2011, pages 46 à 54 * Les Anciens ont procédé à l'étude de la nature des choses selon l'ordre de la connaissance humaine. ** ils étaient contraints de poser que la matière n'avait pas de cause, et de nier totalement la cause efficiente. *** une certaine cause universelle des choses

[ historique ] [ lien ] [ naturel-surnaturel ] [ foi-raison ]

 
Commentaires: 3
Ajouté à la BD par Coli Masson