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catharisme

Quoiqu’il en soit à un certain tournant de la vie commune en Europe, la question de ce qui ne va pas dans la Création comme telle s’est posée. Elle s’est posée pour des gens dont vous verrez très suffisamment la notion qu’actuellement il nous est très difficile de savoir ce qu’ils pensaient bien exactement, je veux dire ce qu’a représenté effectivement, dans toutes ses incidences profondes, ce mouvement religieux et mystique qui s’appelle "l’hérésie cathare".

On peut même dire que c’est le seul exemple historique où une puissance temporelle se soit trouvée d’une telle efficace qu’elle a réussi à supprimer presque toutes les traces du procès. Tel est le tour de force qu’a réalisé la Sainte Église Catholique et Romaine. Nous en sommes à trouver dans des coins des documents dont très peu se présentent avec un caractère satisfaisant. Les procès d’inquisition eux-mêmes se sont volatilisés et nous n’avons que quelques témoignages latéraux de ci de là.

Par exemple, un père dominicain nous dit que ces cathares étaient dans tous les cas de très braves gens, foncièrement chrétiens dans leur manière de vivre et particulièrement de mœurs d’une pureté exceptionnelle. Je crois bien que les mœurs étaient d’une pureté exceptionnelle, puisque le fond des choses était qu’il fallait foncièrement et essentiellement se garder de quelque acte qui pût, d’aucune façon, favoriser la perpétuation de ce monde exécrable et mauvais dans son essence.

La pratique de la perfection consistant donc essentiellement à viser à atteindre, dans l’état de détachement le plus avancé, la mort qui était pour eux le signal de la réintégration dans un monde de lumière, dans un monde animique caractérisé par la pureté et la lumière, et qui était le monde du vrai, du bon Créateur originel, celui dont toute la création avait été souillée par l’intervention du mauvais Créateur, du démiurge, lequel y avait introduit cet élément épouvantable qui est celui de la génération, et aussi bien de la putréfaction, c’est-à-dire de la transformation.

C’est dans la perspective aristotélicienne de la transformation de la matière en une autre matière qui s’engendre elle-même, que cette perpétuité de la matière était le lieu où était le mal. La solution, comme vous le voyez, est simple. Elle a une certaine cohérence si elle n’a peut-être pas toute la rigueur désirable.

Auteur: Lacan Jacques

Info: Séminaire VII, L'éthique, séance du 27 janvier 1960

[ christianisme ] [ résumé ] [ principes ]

 
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10 commandements

C’est le fameux commandement qui s’exprime ainsi, il fait toujours sourire, à bien y réfléchir on ne sourit pas longtemps :

"Tu ne convoiteras point la maison de ton prochain, tu ne convoiteras point la femme de ton prochain, ni son serviteur, ni sa servante, ni son bœuf, ni son âne, ni rien de ce qui appartient à ton prochain."

Assurément, la mise de la femme entre la maison et le bourricot est quelque chose qui a suggéré à plus d’un l’idée de ce qu’on pouvait voir là les exigences d’une société primitive : des Bédouins quoi, des Bicots, des Ratons... Eh bien, je ne pense pas. Je veux dire que si, effectivement, cette loi, toujours en fin de compte vivante dans le cœur d’hommes qui la violent chaque jour, bien entendu, au moins concernant ce dont il s’agit quand il s’agit de la femme de son prochain, doit sans doute avoir quelque rapport avec ce qui est notre objet ici, à savoir das Ding.

Car il ne s’agit point ici de n’importe quel bien. Il ne s’agit point de ce qui fait la loi de l’échange, et couvre d’une légalité, si l’on peut dire amusante, d’une Sicherung sociale, les mouvements, impetus, des instincts humains. Il s’agit de quelque chose qui prend sa valeur de ce qu’aucun de ces objets n’est sans avoir le rapport le plus étroit avec ce dans quoi l’être humain peut se reposer comme étant der Trug. Das Ding non pas en tant qu’elle est son bien, mais le bien où il se repose.

J’ajoute, en tant que c’est la loi, la loi de la parole dans son origine la plus primitive, en ce sens que ce das Ding était là au commencement, que c’est la première chose qui a pu se séparer de tout ce qu’il a commencé de nommer et d’articuler. Que c’est pour autant que ce das Ding est le corrélatif même de la loi de la parole, que la convoitise même dont il s’agit c’est une convoitise qui s’adresse non pas à n’importe quoi que je désire, mais à quelque chose en tant qu’elle est la Chose de mon prochain.

C’est pour autant qu’elle préserve cette distance de la Chose en tant que fondée par la parole elle–même que ce commandement prend son poids et sa valeur.

Auteur: Lacan Jacques

Info: 23 décembre 1959, L'Ethique

[ fondement ] [ ajustement ] [ régulation ]

 

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diathèse

Il parait qu’en sanscrit on dit : "Je sacrifie" de deux façons. Ce n’est pas un verbe media tantum, ni activa tantum, il y a les deux, comme pour beaucoup de verbes d’ailleurs en latin. Mais enfin, on emploie la voix active quand, pour le verbe "sacrifier" ? Eh bien, c’est quand le prêtre fait le sacrifice au BRAHMA, ou à tout ce que vous voudrez - pour un client. Il lui dit : "Venez, il faut faire un sacrifice au Dieu." - et le type : "très bien, très bien...", il lui remet son machin et puis hop ! un sacrifice. Ça, c’est actif ! Il y a une nuance : on met la voix moyenne quand il officie en son nom.

C’est un peu compliqué, que je vous avance ça maintenant, parce que ça ne fait pas simplement intervenir une faille qu’il faudrait mettre quelque part entre le sujet de l’énonciation et le sujet de l’énoncé, ce qui va tout de suite pour ce qui est de loquor - mais là c’est un petit peu plus compliqué, parce qu’il y a l’Autre : l’Autre, qu’avec le sacrifice, on prend au piège. Ce n’est pas pareil de prendre l’Autre au piège en son nom ou si c’est plus simplement pour le client, qui a besoin d’avoir rendu un devoir à la divinité et qui va chercher le technicien.

Une devinette - je sens que je vais de devinette en devinette - où sont les analogues, dans le rapport dit de la situation analytique ? Qu’est-ce qui officie et pour qui ? C’est une question qu’on peut se poser. Je ne la pose que pour vous faire sentir ceci : qu’il y a une fonction de la déchéance de la parole à l’intérieur de la technique analytique. Je veux dire que c’est un artifice technique qui soumet cette parole aux seules lois de la conséquence, on ne se fie à rien d’autre : cela doit s’enfiler, simplement.

Ce n’est pas tellement naturel, nous le savons par expérience : les gens n’apprennent ce métier là, comme dit quelqu’un, pas tout de suite. Ou bien il faut qu’ils aient vraiment l’envie d’officier. Parce que cela ressemble beaucoup à un office, justement, qu’on lui demande de faire, comme doit le faire le brave bramine, quand il a un petit peu de métier, en dévidant ses petites prières ou en repensant à autre chose.

Auteur: Lacan Jacques

Info: 14 décembre 1966, La logique du fantasme

[ grammaire ] [ effets ] [ psychanalyste ]

 

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discours de la science

La médecine donc, vous le remarquez ici, s’est toujours crue scientifique. C’est en quoi d’ailleurs elle a toujours montré ses faiblesses. Par une sorte de nécessité interne de sa position, elle s’est toujours référée à une science qui était celle de son temps, bonne ou mauvaise. Qu’elle fût bonne ou mauvaise, comment le savoir du point de vue de la médecine ? 

Quant à nous, nous avons le sentiment que notre science, notre physique, est toujours censée être une bonne science et que pendant des siècles nous avons eu une physique très mauvaise. Ceci est effectivement tout à fait assuré. Ce qui n’est pas assuré, c’est ce que la médecine a à faire de cette science, c’est à savoir comment et par quelle ouverture, par quel bout elle a à la prendre, tant que quelque chose n’est pas élucidé pour elle, la médecine, et qui n’est pas, comme vous allez le voir, la moindre des choses, puisque ce dont il s’agit c’est de l’idée de "santé". 

Très exactement : qu’est-ce que la santé ? Vous auriez tort de croire que même pour la médecine moderne qui, à l’égard de toutes les autres, se croit scientifique, la chose soit pleinement assurée. De temps en temps on propose l’idée "du normal et du pathologique" comme sujet de thèse à quelque étudiant. C’est un sujet qui leur est en général proposé par des gens ayant une formation philosophique, et nous avons là-dessus un excellent travail de M. CANGUILHEM. Évidemment, c’est un travail dont l’influence est fort limitée dans les milieux proprement médicaux. 

Or il y a une chose en tout cas - sans chercher à spéculer à un niveau de certitude socratique sur "la santé en soi" - qui à soi tout seul, pour nous tout spécialement psychiatres et psychanalystes, qui montre à quel point l’idée de "santé" est problématique : ce sont les moyens mêmes que nous employons pour rejoindre l’état de "santé". Lesquels moyens nous montrent, pour dire les choses dans les termes les plus généraux que quoi qu’il en soit de la nature, de l’heureuse forme qui serait la forme de la "santé", au sein de cette heureuse forme nous sommes amenés à postuler des états paradoxaux, c’est le moins qu’on puisse en dire, ceux-là mêmes dont la manipulation dans nos thérapeutiques est responsable du retour à un équilibre, qui reste dans l’ensemble, comme tel, assez incritiqué. 

Auteur: Lacan Jacques

Info: 14 décembre 1960

[ questions ] [ définition ] [ flou sémantique ]

 

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infini vu du fini

La vie n’est pas conçue, le corps n’en attrape rien, il la porte simplement.

Quand Freud dit : la vie aspire à la mort, c’est pour autant que la vie, en tant qu’elle est incarnée, en tant qu’elle est dans le corps, aspirerait à une totale et pleine conscience.

On peut dire que c’est là que se désigne que même dans le réveil absolu, il y a encore une part de rêve qui est justement de rêve de réveil.

On ne se réveille jamais : les désirs entretiennent les rêves.

La mort est un rêve, entre autres rêves qui perpétuent la vie, celui de séjourner dans le mythique.

C’est du côté du réveil que se situe la mort.

La vie est quelque chose de tout à fait impossible qui peut rêver de réveil absolu.

Par exemple, dans la religion nirvanesque, la vie rêve de s’échapper à elle-même.

Il n’en reste pas moins que la vie est réelle, et que ce retour est mythique.

Il est mythique, et fait partie de ces rêves qui ne se branchent que du langage.

S’il n’y avait pas de langage, on ne se mettrait pas à rêver d’être mort comme d’une possibilité.

Cette possibilité est d’autant plus contradictoire que même dans ces aspirations non seulement mythiques mais mystiques, on pense qu’on rejoint le réel absolu qui n’est modelé que par un calcul.

On rêve de se confondre avec ce qu’on extrapole au nom du fait qu’on habite le langage.

Or, du fait qu’on habite le langage, on se conforme à un formalisme – de l’ordre du calcul, justement – et on s’imagine que du réel, il y a un savoir absolu.

En fin de compte, dans le nirvana, c’est à se noyer dans ce savoir absolu, dont il n’y a pas trace, qu’on aspire.

On croit qu’on sera confondu avec ce savoir supposé soutenir le monde, lequel monde n’est qu’un rêve de chaque corps.

Qu’il soit branché sur la mort, le langage seul, en fin de compte, en porte le témoignage.

Est-ce que c’est ça qui est refoulé ?

C’est difficile de l’affirmer.

Il est pensable que tout le langage ne soit fait que pour ne pas penser la mort qui, en effet, est la chose la moins pensable qui soit.

Auteur: Lacan Jacques

Info: Réponse à une question de Catherine Millot, Improvisation : désir de mort, rêve et réveil, 1974

[ lorgnette ] [ fantasme d'absolu ] [ inconscient ] [ incarnation prison ]

 

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concept psychanalytique

M’est avis : 

– qu’il n’est pas possible de le comprendre [le contre-transfert] hors du registre de ce que j’ai pointé comme étant la place de (a), l’objet partiel, l’ἄγαλμα [agalma] dans la relation de désir en tant qu’elle-même est déterminée à l’intérieur dans une relation plus vaste, celle de l’exigence d’amour, 

– que ce n’est que là, que ce n’est que dans cette topologie que nous pouvons comprendre une telle façon de procéder, dans une topologie qui nous permet de dire que, même si le sujet ne le sait pas, par la seule supposition je dirai objective de la situation analytique, c’est déjà dans l’Autre que (a), l’ἄγαλμα fonctionne, 

– et que ce qu’on nous présente à cette occasion comme contre-transfert, normal ou pas, n’a vraiment aucune raison spéciale d’être qualifié de "contre-transfert", je veux dire qu’il ne s’agit là que d’un effet irréductible de la situation de transfert simplement par elle-même.

Le fait qu’il y a transfert suffit pour que nous [analystes] soyons impliqués dans cette position, d’être celui qui contient l’ἄγαλμα [agalma], l’objet fondamental dont il s’agit dans l’analyse du sujet, comme lié, conditionné, par ce rapport de vacillation du sujet que nous caractérisons – comme constituant le fantasme fondamental, comme instaurant le lieu où le sujet peut se fixer comme désir. C’est un effet légitime – du transfert. Il n’y a pas besoin là pour autant de faire intervenir le contre-transfert comme s’il s’agissait de quelque chose qui serait – la part propre, et bien plus encore la part fautive, de l’analyste. Seulement je crois que pour le reconnaître, il faut que l’analyste sache certaines choses. Il faut qu’il sache en particulier que le critère de sa position correcte n’est pas qu’il comprenne ou qu’il ne comprenne pas.

Il n’est pas absolument essentiel qu’il ne comprenne pas, mais je dirai que jusqu’à un certain point cela peut être préférable à une trop grande confiance dans sa compréhension. En d’autres termes, il doit toujours mettre en doute ce qu’il comprend et se dire que ce qu’il cherche à atteindre, c’est justement ce qu’en principe il ne comprend pas.

C’est en tant certes qu’il sait ce que c’est que le désir, mais qu’il ne sait pas ce que ce sujet, avec lequel il est embarqué dans l’aventure analytique, désire, qu’il est en position d’en avoir en lui - de ce désir - l’objet. Car seulement cela explique tels de ces effets si singulièrement encore effrayants, semble-t-il. 

Auteur: Lacan Jacques

Info: 8 mars 1961

[ définition ] [ notion redondante ] [ compréhension ] [ réfutation des préjugés ]

 

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entre-deux morts

Le désir d’ŒDIPE, c’est ce désir d’en savoir le fin mot sur le désir. Quand je vous dis que "Le désir de l’homme est le désir de l’Autre" quelque chose me revient dans l’esprit qui, je crois, chante dans Paul ELUARD sous le terme du dur désir de durer. Ce dur désir de durer n’est rien d’autre que ce désir de désirer. 

Pour l’homme du commun, donc, en tant que le deuil de l’ŒDIPE est à la source, à l’origine du surmoi, la double limite au-delà de la mort réelle risquée - jusqu’à la mort préférée, assumée, jusqu’à l’Être pour la mort - ne se présente que sous un voile. Ce voile, c’est précisément ceci qui s’appelle, dans JONES*, la haine, qui fait que c’est dans l’ambivalence de l’amour et de la haine que tout auteur analytique conscient, si je puis dire, met le dernier terme de la réalité psychique à laquelle nous avons affaire. 

La limite extérieure qui est celle qui retient l’homme dans le service du bien est le primum vivere. C’est bien la crainte, comme on nous le dit. Mais vous voyez combien son incidence est en quelque sorte superficielle. C’est entre les deux, et dans la zone intermédiaire, que gît, pour l’homme du commun l’exercice de sa culpabilité, reflet de cette haine pour celui - car l’homme est créationniste - créateur, quel qu’il soit, qui l’a fait si faible et si insuffisante créature. 

Bien sûr, ces balivernes ne sont rien pour le héros, pour lui, qui s’est effectivement avancé dans cette zone, pour ŒDIPE. Pour ŒDIPE, qui va jusqu’au μὴ ϕῦναι [mé phunai] du véritable "Être pour la mort", les épousailles avec l’anéantissement considéré comme le terme de son vœu, de cette malédiction consentie du μὴ ϕῦναι** [mé phunai]. Ici il n’y a rien d’autre que cette véritable et invisible disparition qui est la sienne. L’entrée dans cette zone est celle, pour lui, de ce renoncement aux biens et au pouvoir en quoi consiste la punition qui n’en est pas une. L’acte d’arrachement au monde qui est constitué par le geste de s’être aveuglé, celui-là seul - les anciens le savaient - qui échappe aux apparences, peut arriver à la vérité. 

Le grand HOMÈRE est aveugle, TIRÉSIAS aussi. C’est entre les deux que, pour ŒDIPE, se joue le règne absolu de son désir. Ce qui est suffisamment souligné par le fait qu’on nous le montre jusqu’à son terme : irréductible, exigeant tout, n’ayant renoncé absolument à rien, et absolument irréconcilié.

Auteur: Lacan Jacques

Info: 29 juin 1960, *Ernest Jones, psychanalyste proche de Freud **tirée de la tragédie de Sophocle, signifie "ne pas être né" ou "mieux vaut ne pas naître".

[ mythologie ] [ quête ]

 
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histoire légendaire

[...] le mythe a dans l’ensemble un caractère de fiction. Mais cette fiction présente une stabilité qui ne la rend aucunement malléable aux modifications qui peuvent lui être apportées, ou, plus exactement, qui implique que toute modification en implique de ce fait même une autre, suggérant invariablement la notion d’une structure. D’autre part, cette fiction entretient un rapport singulier avec quelque chose qui est toujours impliqué derrière elle, et dont elle porte même le message formellement indiqué, à savoir la vérité. Voilà quelque chose qui ne peut être détaché du mythe. [...]

Le mythe se présente aussi dans sa visée avec un caractère d’inépuisable. Pour employer un terme ancien, disons qu’il participe du caractère d’un schème au sens kantien. Il est beaucoup plus près de la structure que de tout contenu, et se retrouve et se réapplique, au sens le plus matériel du mot, sur toutes sortes de données, avec cette efficacité ambiguë qui le caractérise. Le plus adéquat, c’est de dire que la sorte de moule que donne la catégorie mythique est un certain type de vérité, où, pour nous limiter à ce qui est notre champ et notre expérience, nous ne pouvons pas ne pas voir qu’il s’agit d’une relation de l’homme – mais à quoi ? [...]

Il ne tient qu’à nous de nous apercevoir qu’il s’agit des thèmes de la vie et de la mort, de l’existence et de la non-existence, de la naissance tout spécialement, c’est-à-dire de l’apparition de ce qui n’existe pas encore. Il s’agit donc des thèmes qui sont liés, d’une part, à l’existence du sujet lui-même et aux horizons que son expérience lui apporte, d’autre part au fait qu’il est le sujet d’un sexe, de son sexe naturel. Voilà à quoi l’expérience nous montre que l’activité mythique est employée chez l’enfant. [...]

Les mythes, tels qu’ils se présentent dans leur fiction, visent toujours plus ou moins, non pas l’origine individuelle de l’homme, mais son origine spécifique, la création de l’homme, la genèse de ses relations nourricières fondamentales, l’invention des grandes ressources humaines, le feu, l’agriculture, la domestication des animaux. Nous y trouvons aussi constamment mis en question le rapport de l’homme avec une force secrète, maléfique ou bénéfique, mais essentiellement caractérisée par ce qu’elle a de sacré.

Cette puissance sacrée, diversement désignée dans les récits mythiques qui expliquent comment l’homme est venu en relation avec elle, se laisse situer pour nous dans une identité manifeste avec le pouvoir de signification, et très spécialement de son instrument signifiant.

Auteur: Lacan Jacques

Info: dans le "Séminaire, Livre IV", "La relation d'objet", éditions du Seuil, 1994, pages 353 à 355

[ caractéristiques ] [ psychanalyse ] [ parole ]

 

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amour

Il [Achille] suit PATROCLE dans la mort.

Comprendre ce que veut dire pour un ancien cette interprétation de ce qu’on peut appeler le geste d’ACHILLE, c’est aussi quelque chose qui mériterait beaucoup de commentaires, car enfin c’est tout de même beaucoup moins clair que pour ALCESTE. Nous sommes forcés de recourir à des textes homériques d’où il résulte qu’en somme ACHILLE aurait eu le choix. Sa mère THÉTHIS lui a dit :

"si tu ne tues pas Hector - il s’agit de tuer HECTOR uniquement pour venger la mort de PATROCLE - tu rentreras chez toi bien tranquille et tu auras une vieillesse heureuse et peinarde, mais si tu tues Hector ton sort est scellé, c’est la mort qui t’attend".

Et ACHILLE en a si peu douté que nous avons un autre passage où il se fait cette réflexion à lui-même en aparté : "je pourrais rentrer tranquille". Et puis ceci est quand même impensable, et il dit, pour telle ou telle raison. Ce choix est à lui seul considéré comme étant aussi décisif que le sacrifice d’ALCESTE : le choix de la μοίρα [moïra], le choix du destin a la même valeur que cette substitution d’être à être. […] dans la suite ACHILLE se tue, paraît-il, sur le tombeau de PATROCLE.

[…] Mais pour rester, pour nous tenir au discours de PHÈDRE [dans Le Banquet de Platon], l’important est ceci : PHÈDRE se livre à une considération longuement développée concernant la fonction réciproque dans leur lien érotique de PATROCLE et d’ACHILLE. Il nous détrompe sur un point qui est celui-ci : ne vous imaginez point que PATROCLE - comme on le croyait généralement - fût l’aimé.

Il ressort d’un examen attentif des caractéristiques des personnages, nous dit PHÈDRE en ces termes, que l’aimé ne pouvait être qu’ACHILLE beaucoup plus jeune et imberbe. Je l’écris parce que cette histoire revient sans cesse, de savoir à quel moment il faut les aimer : si c’est avant la barbe ou après la barbe. On ne parle que de cela, cette histoire de barbe on la rencontre partout. On peut remercier les romains de nous avoir débarrassés de cette histoire. Cela doit avoir sa raison. Enfin ACHILLE n’avait pas de barbe. Donc en tout cas c’est lui l’aimé. Mais PATROCLE, semble-t-il, avait quelque dix ans de plus. Par un examen des textes c’est lui l’amant. Ce qui nous intéresse ce n’est pas cela.

[…] c’est que - quoi qu’il en soit - ce que les dieux trouvent de sublime, de plus merveilleux que tout, c’est quand l’aimé se comporte en somme comme on attendait que se comportât l’amant.

Auteur: Lacan Jacques

Info: 30 novembre 1960

[ mythologie ]

 

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altérité

Tout est dans le sens du "comme toi-même" qui achève la formule [tu aimeras ton prochain comme toi-même], et la passion méfiante de celui qui démasque arrête Freud devant ce "comme". C’est du poids de l’amour qu’il s’agit, car il sait que l’amour de soi est bien grand. Il le sait supérieurement, ayant reconnu que la force du délire est d’y trouver sa source : "Sie lieben ihren Wahn wie sich selbst", "ils aiment leur délire comme soi-même".

Cette force est celle qu’il a désignée sous le nom de narcissisme et qui comporte une dialectique secrète où les psychanalystes se retrouvent mal. La voici, (c’est pour la faire concevoir que j’ai introduit, dans la théorie, la distinction proprement méthodique, du symbolique, de l’imaginaire et du réel) : "je m’aime moi-même" sans doute, et de toute la rage collante où la bulle vitale bout sur elle-même et se gonfle en une palpitation à la fois vorace et précaire, non sans fomenter en son sein le point vif d’où̀ son unité́ rejaillira disséminée de son éclatement même. Autrement dit : je suis lié à mon corps par l’énergie propre que Freud a mis au principe de l’énergie psychique – l’Éros, qui fait les corps vivants se conjoindre pour se reproduire – qu’il appelle libido.

Mais ce que j’aime en tant qu’il y a un moi, où je m’attache d’une concupiscence mentale, n’est pas ce corps dont le battement et la pulsation échappent trop évidemment à mon contrôle, mais une image qui me trompe en me montrant mon unité́ dans sa Gestalt, sa forme. Il est beau, il est grand, il est fort. Il l’est plus encore même d’être laid, petit et misérable.

Je m’aime moi-même en tant que je me méconnais essentiellement. Je n’aime qu’un autre. Un autre avec un petit a initial d’où l’usage de mes élèves de l’appeler "le petit autre".

Rien d’étonnant à ce que ce ne soit rien que moi-même que j’aime dans mon semblable, (et ce non seulement dans le dévouement névrotique, si j’indique ce que l’expérience nous apprend, mais dans la forme extensive et utilisée de l’altruisme, qu’il soit éducatif ou familial, philanthropique, totalitaire ou libéral, à quoi l’on souhaiterait souvent devoir répondre comme la vibration de la croupe magnifique de la bête infortunée) ; rien d’étonnant que l’homme ne fasse rien passer dans cet altruisme que son amour-propre, sans doute dès longtemps détecté dans ses extravagances – même glorieuses – par l’investigation moraliste de ses prétendues vertus, mais que l’investigation analytique du moi permet d’identifier à la forme de l’outre, à l’outrance de l’ombre dont le chasseur devient la proie : à la vanité́ d’une forme visuelle.

Auteur: Lacan Jacques

Info: Conférence de Bruxelles sur l'éthique de la psychanalyse, 10 mars 1960

[ inconscient ]

 

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