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déprise de soi

Bien qu'aujourd'hui on semble l'ignorer, la formation de la faculté d'attention est le but véritable et presque l'unique intérêt des études. La plupart des exercices scolaires ont aussi un certain intérêt intrinsèque ; mais cet intérêt est secondaire. Tous les exercices qui font vraiment appel au pouvoir d'attention sont intéressants au même titre et presque également.

Les lycéens, les étudiants qui aiment Dieu ne devraient jamais dire : "Moi, j'aime les mathématiques", "Moi, j'aime le français", "Moi, j'aime le grec". Ils doivent apprendre à aimer tout cela parce que tout cela fait croître cette attention, qui, orientée vers Dieu, est la substance même de la prière.

N'avoir ni don ni goût naturel pour la géométrie n'empêche pas la recherche d'un problème ou l'étude d'une démonstration de développer l'attention. C'est presque le contraire. C'est presque une circonstance favorable.

Même il importe peu qu'on réussisse à trouver la solution ou à saisir la démonstration, quoiqu'il faille vraiment s'efforcer d'y réussir. Jamais, en aucun cas, aucun effort d'attention véritable n'est perdu. Toujours il est pleinement efficace spirituellement, et par suite aussi, par surcroît, sur le plan inférieur de l'intelligence, car toute lumière spirituelle éclaire l'intelligence.

Si on cherche avec une véritable attention la solution d'un problème de géométrie et si, au bout d'une heure, on n'est pas plus avancé qu'en commençant, on a néanmoins avancé, durant chaque minute de cette heure, dans une autre dimension plus mystérieuse. Sans qu'on le sente, sans qu'on le sache, cet effort en apparence stérile et sans fruit a mis plus de lumière dans l'âme. Le fruit se retrouvera un jour, plus tard, dans la prière. Il se retrouvera sans doute aussi par surcroît dans un domaine quelconque de l'intelligence, peut-être tout à fait étranger à la mathématique. Peut-être un jour celui qui a donné cet effort inefficace sera-t-il capable de saisir plus directement, à cause de cet effort, la beauté d'un vers de Racine. Mais que le fruit de cet effort doive se retrouver dans la prière, cela est certain, cela ne fait aucun doute.

Auteur: Weil Simone

Info: "Attente de Dieu"

[ persévérance ] [ gratuité ] [ karma yoga ] [ travail ]

 

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savoir

L'acquisition d'une connaissance fait dans certains cas approcher de la vérité, mais dans d'autres cas n'en approche pas. Comment discerner les cas ? 

Si un homme surprend la femme qu’il aime et à qui il avait donné toute sa confiance en flagrant délit d’infidélité, il entre en contact brutal avec de la vérité. S’il apprend qu’une femme qu’il ne connaît pas, dont il entend pour la première fois le nom, dans une ville qu’il ne connaît pas davantage, a trompé son mari, cela ne change aucunement sa relation avec la vérité.

Cet exemple fournit la clef. L’acquisition des connaissances fait approcher de la vérité quand il s’agit de la connaissance de ce qu’on aime, et en aucun autre cas.

Amour de la vérité est une expression impropre. La vérité n’est pas un objet d’amour. Elle n’est pas un objet. Ce qu’on aime, c’est quelque chose qui existe, que l’on pense, et qui par là peut être occasion de vérité ou d’erreur. Une vérité est toujours la vérité de quelque chose. La vérité est l’éclat de la réalité. L’objet de l’amour n’est pas la vérité, mais la réalité. Désirer la vérité, c’est désirer un contact direct avec de la réalité. Désirer un contact avec une réalité, c’est l’aimer. On ne désire la vérité que pour aimer dans la vérité. On désire connaître la vérité de ce qu’on aime. Au lieu de parler d’amour de la vérité, il vaut mieux parler d’un esprit de vérité dans l’amour.

L’amour réel et pur désire toujours avant tout demeurer tout entier dans la vérité, quelle qu’elle puisse être, inconditionnellement. Toute autre espèce d’amour désire avant tout des satisfactions, et de ce fait est principe d’erreur et de mensonge. L’amour réel et pur est par lui-même esprit de vérité. C’est le Saint-Esprit. Le mot grec qu’on traduit par esprit signifie littéralement souffle igné, souffle mélangé à du feu, et il désignait, dans l’antiquité, la notion que la science désigne aujourd’hui par le mot d’énergie. Ce que nous traduisons "esprit de vérité" signifie l’énergie de la vérité, la vérité comme force agissante. L’amour pur est cette force agissante, l’amour qui ne veut à aucun prix, en aucun cas, ni du mensonge ni de l’erreur. 

Auteur: Weil Simone

Info: L'enracinement, Editions Gallimard, 1949, pages 319-329

[ intègre ] [ concret ]

 

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patriotisme

On peut aimer la France pour la gloire qui semble lui assurer une existence étendue au loin dans le temps et l'espace. Ou bien on peut l'aimer comme une chose qui, étant terrestre, peut-être détruite, et dont le prix est d'autant plus sensible.

Ce sont deux amours distincts ; peut-être, probablement, incompatibles, quoique le langage les mélange. Ceux dont le cœur est fait pour éprouver le second peuvent, par la force de l'habitude, employer le langage qui ne convient qu'au premier.

Le second seul est légitime pour un chrétien, car seul il a la couleur de l'humilité chrétienne. Il appartient seul à l'espèce d'amour qui peut recevoir le nom de charité. Qu'on ne croie pas que cet amour puisse seulement avoir pour objet un pays malheureux.

Le bonheur est un objet pour la compassion au même titre que le malheur, parce qu’il est terrestre, c’est-à-dire incomplet, fragile et passager. Au reste il y a malheureusement toujours dans la vie d’un pays un certain degré de malheur.

Qu’on ne croie pas non plus qu’un tel amour risquerait d’ignorer ou de négliger ce qu’il y a de grandeur authentique et pure dans le passé, le présent et les aspirations de la France. Bien au contraire. La compassion est d’autant plus tendre, d’autant plus poignante, qu’on discerne davantage de bien dans l’être qui en est l’objet, et elle dispose à discerner le bien. Quand un chrétien se représente le Christ en croix, la compassion en lui n’est pas diminuée par la pensée de la perfection, ni inversement. Mais d’un autre côté, un tel amour peut avoir les yeux ouverts sur les injustices, les cruautés, les erreurs, les mensonges, les crimes, les hontes, contenus dans le passé, le présent et les appétits du pays, sans dissimulation ni réticence, et sans en être diminué ; il en est rendu seulement plus douloureux. Pour la compassion, le crime lui-même est une raison, non pas de s’éloigner, mais de s’approcher, pour partager, non pas la culpabilité, mais la honte. Les crimes des hommes n’ont pas diminué la compassion du Christ. Ainsi la compassion a les yeux ouverts sur le bien et le mal et trouve dans l’un et l’autre des raisons d’aimer. C’est le seul amour ici-bas qui soit vrai et juste. 

Auteur: Weil Simone

Info: L'enracinement, Editions Gallimard, 1949, page 219

[ définition ] [ imperfections ] [ totalisant ]

 

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état-providence

L’État avait cessé d’être [avant la seconde guerre mondiale], sous le nom de nation ou de patrie, un bien infini, dans le sens d’un bien à servir par le dévouement. En revanche il était devenu aux yeux de tous un bien illimité à consommer. L’absolu lié à l’idolâtrie lui est resté attaché, une fois l’idolâtrie effacée, et a pris cette forme nouvelle. L’État a paru être une corne d’abondance inépuisable qui distribuait les trésors proportionnellement aux pressions qu’il subissait. Ainsi on lui en voulait toujours de ne pas accorder davantage. Il semblait qu’il refusât tout ce qu’il ne fournissait pas. Quand il demandait, c’était une exigence qui paraissait paradoxale. Quand il imposait, c’était une contrainte intolérable. L’attitude des gens envers l’État était celle des enfants non pas envers leurs parents, mais envers des adultes qu’ils n’aiment ni ne craignent ; ils demandent sans cesse et ne veulent pas obéir.

Comment passer tout d’un coup de cette attitude au dévouement sans bornes exigé par la guerre ? Mais même pendant la guerre les Français ont cru que l’État avait la victoire quelque part dans ses coffres, à côté des autres trésors qu’il ne voulait pas se donner la peine de sortir. On a tout fait pour encourager cette opinion, comme en témoigne le slogan : « Nous vaincrons parce que nous sommes les plus forts. »

La victoire va libérer un pays où tous auront été presque exclusivement occupés à désobéir, pour des motifs bas ou élevés. On a écouté la radio de Londres, lu et distribué des papiers interdits, voyagé en fraude, caché du blé, travaillé le plus mal possible, fait du marché noir, on s’est vanté de tout cela entre amis et en famille. Comment fera-t-on comprendre aux gens que c’est fini, que désormais il faut obéir ?

On aura aussi passé ces années à rêver de rassasiement. Ce sont des rêveries de mendiants, en ce sens qu’on ne pense qu’à recevoir de bonnes choses sans aucune contre-partie. En fait, les pouvoirs publics assureront la distribution ; comment éviter alors que cette attitude de mendiant insolent, qui déjà avant-guerre était celle des citoyens envers l’État, ne devienne infiniment plus accentuée ? Et si elle prend pour objet un pays étranger, par exemple l’Amérique, le danger est encore bien plus grave. 

Auteur: Weil Simone

Info: L'enracinement, Editions Gallimard, 1949, pages 198-199

[ socialisme ] [ infantilisation ] [ renversement ] [ revendications ]

 

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réforme ouvrière

Pour les salaires, il faudrait surtout éviter, d'abord, bien entendu, qu'ils soient bas au point de jeter dans la misère – mais ce ne serait guère à craindre dans de pareilles conditions – puis qu'ils occupent l'esprit et empêchent l'attachement de l'ouvrier à l'entreprise.

Les organismes corporatifs, d'arbitrage, etc., devraient être conçus uniquement à cet effet – fonctionner de manière que chaque ouvrier pense rarement aux questions d'argent.

La profession de chef d’entreprise devrait, comme celle de médecin, être au nombre de celles que l’État, dans l’intérêt public, autorise à exercer seulement sous la condition de certaines garanties. Les garanties devraient avoir rapport non seulement à la capacité, mais à l’élévation morale.

Les capitaux engagés seraient bien plus réduits que maintenant. Un système de crédit pourrait facilement permettre à un jeune homme pauvre qui a la capacité et la vocation d’être chef d’entreprise de le devenir.

L’entreprise pourrait ainsi redevenir individuelle. Quant aux sociétés anonymes, il n’y aurait peut-être pas d’inconvénient, en ménageant un système de transition, à les abolir et à les déclarer interdites.

Bien entendu, la variété des entreprises exigerait l’étude de modalités très variées. Le plan esquissé ici ne peut apparaître que comme terme de longs efforts au nombre desquels des efforts d’invention technique seraient indispensables.

En tout cas, un tel mode de vie sociale ne serait ni capitaliste ni socialiste.

Il abolirait la condition prolétarienne, au lieu que ce qu’on nomme socialisme a tendance, en fait, à y précipiter tous les hommes.

Il aurait pour orientation, non pas, selon la formule qui tend aujourd’hui à devenir à la mode, l’intérêt du consommateur — cet intérêt ne peut être que grossièrement matériel —, mais la dignité de l’homme dans le travail, ce qui est une valeur spirituelle.

L’inconvénient d’une telle conception sociale, c’est qu’elle n’a aucune chance de sortir du domaine des mots sans un certain nombre d’hommes libres qui auraient au fond du cœur une volonté brûlante et inébranlable de l’en faire sortir. Il n’est pas sûr qu’ils puissent être trouvés ou suscités.

Pourtant, hors de là, il semble bien qu’il n’y a de choix qu’entre des formes différentes et presque également atroces de malheur.

Bien qu’une telle conception soit d’une réalisation longue, la reconstruction d’après-guerre devrait avoir immédiatement pour règle la dispersion du travail industriel. 

Auteur: Weil Simone

Info: L'enracinement, Editions Gallimard, 1949, pages 102 à 104

[ organisation de la vie professionnelle ] [ entreprenariat ] [ utopique ] [ individuel-collectif ]

 

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agapè

Anastasia, ma bien-aimée, pourquoi ai-je cette impression que tu te confies à moi comme tu le ferais auprès d’un papa aimant ? Pourquoi ai-je le sentiment de t'aimer plus qu'un père n'aimerait sa propre fille ? Ma douce et jeune amie, dont je lis chaque message avec tant de joie... voilà que l'on s'échange des photos de chats et que j'aime tellement les photos de ta belle Jaina... l'amour rend un peu sénile.
Mes sentiments pour toi ont toujours été ambigus, je t'ai désirée comme un homme désire une belle femme. Voilà le constat : les hommes sont obsédés par la chair à tous les âges et leur dignité, c'est de rester discret sur ce secret graveleux ! Si seulement tu avais été une demi-mondaine, précieuse, vénale, superficielle que sais-je... ça m'aurait aidé ! Pour mon malheur ou peut-être pour mon bonheur, nous nous sommes rapprochés en vertu de la plus belle des amitiés, et d'une admiration que j'espère réciproque.
Le moteur de l'écrivain, du poète, c'est presque toujours l'amour des femmes et leurs promesses de plaisirs profonds, mystérieux. Sans une Erato, pas de recueil de poésie, pas de poèmes écrits sur l'asphalte de nos rues, rendues brûlantes par un soleil d'été implacable et triomphant. Mon Erato à moi porte un prénom, son visage habille le ciel de ma ville.
Face à la femme qui est bienveillante en plus d'être belle, je n'ai trouvé aucune parade. La vie poursuit son œuvre, l'homme accepte que tourne la roue du destin, accepte cet espace-temps qui le sépare de sa bien-aimée. Expérience du deuil, invitation à prolonger l'amour sur d'autres plans... mon amour pour toi nous tire vers le haut, la main du destin a saisi la mienne pour me conduire progressivement sur d'autres horizons.
Il est toujours possible d'explorer cette autre dimension de l'amour que l'on qualifie parfois d'inconditionnel. Rabindranath Tagore, Rûmî, Sohrawardi l'ont fait avant moi, tant pis si je n'ai que leur inspiration et pas leur génie. Tant pis si je ne connaîtrai jamais le côté réel ou illusoire de cette quête, ses détracteurs n’en sauront pas plus. Peu m’importe, à vrai dire, pourvu que la vie se poursuive.
Pauvre qui, comme l'apprenti-philosophe, doit choisir entre la joie et le désarroi face au spectacle envoûtant de la danseuse persane promise au marin de passage, vaguement attentive aux prophéties que seuls écoutent encore les étudiants et les sots ! Elle danse pour elle et sa danse embellit le monde. Il y a un temps pour la jouissance, pour le reste c'est à voir... peut-être... un jour… plus tard ! J'ai choisi de continuer à t'aimer, malgré tout.

Auteur: Fossat Simon

Info: Correspondance à Anastasia

[ déclaration ] [ hommes-femmes ] [ philia ] [ correspondance ]

 

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Ajouté à la BD par SFuchs

stratège

Il faut que la France soit de nouveau pleinement présente à la guerre, participe au prix de son sang à la victoire ; mais cela ne saurait suffire. Cela pourrait se produire dans les ténèbres, et le vrai profit alors serait faible.

Il faut de plus que l’aliment de son énergie guerrière ne soit pas autre chose que son véritable génie, retrouvé dans les profondeurs du malheur, bien qu’avec un degré de conscience inévitablement faible d’abord après une pareille nuit.

La guerre même peut alors en faire une flamme.

La vraie mission du mouvement français de Londres est, en raison même des circonstances politiques et militaires, une mission spirituelle avant d’être une mission politique et militaire.

Elle pourrait être définie comme étant la direction de conscience à l’échelle d’un pays.

Le mode d’action politique esquissé ici exige que chaque choix soit précédé par la contemplation simultanée de plusieurs considérations d’espèce très différente. Cela implique un degré d’attention élevé, à peu près du même ordre que celui qui est exigé par le travail créateur dans l’art et la science.

Mais pourquoi la politique, qui décide du destin des peuples et a pour objet la justice, exigerait-elle une attention moindre que l’art et la science, qui ont pour objet le beau et le vrai ?

La politique a une affinité très étroite avec l’art ; avec des arts tels que la poésie, la musique, l’architecture.

La composition simultanée sur plusieurs plans est la loi de la création artistique et en fait la difficulté.

[…]

La politique, elle aussi, est un art gouverné par la composition sur plans multiples. Quiconque se trouve avoir des responsabilités politiques, s’il a en lui la faim et la soif de la justice, doit désirer recevoir cette faculté de composition sur plans multiples, et par suite doit infailliblement la recevoir avec le temps.

Seulement, aujourd’hui, le temps presse. Les besoins sont urgents.

La méthode d’action politique esquissée ici dépasse les possibilités de l’intelligence humaine, du moins autant que ces possibilités sont connues. Mais c’est là précisément ce qui en fait le prix. Il ne faut pas se demander si l’on est ou non capable de l’appliquer. La réponse serait toujours non. Il faut la concevoir d’une manière parfaitement claire ; la contempler longtemps et souvent ; l’enfoncer pour toujours au lieu de l’âme où les pensées prennent leurs racines ; et qu’elle soit présente à toutes les décisions. Il y a peut-être alors une probabilité pour que les décisions, bien qu’imparfaites, soient bonnes. 

Auteur: Weil Simone

Info: L'enracinement, Editions Gallimard, 1949, pages 272-275

[ technè ]

 

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création artistique

L'Iliade, les tragédies d'Eschyle et celles de Sophocle portent la marque évidente que les poètes qui ont fait cela étaient dans l'état de sainteté. Du point de vue purement poétique, sans tenir compte de rien d'autre, il est infiniment préférable d'avoir composé le Cantique de saint François d'Assise, ce joyau de beauté parfaite, plutôt que toute l'œuvre de Victor Hugo. Racine a écrit la seule œuvre de toute la littérature française qui puisse presque être mise à côté des grands chefs-d'œuvre grecs au moment où son âme était travaillée par la conversion. Il était loin de la sainteté quand il a écrit ses autres pièces, mais aussi on n'y trouve pas cette beauté déchirante. Une tragédie comme King Lear est le fruit direct du pur esprit d'amour. La sainteté rayonne dans les églises romanes et le chant grégorien. Monteverdi, Bach, Mozart furent des êtres purs dans leur vie comme dans leur œuvre.

[...]

Il y a dans la littérature française un courant discernable de pureté. Dans la poésie, il faut commencer par Villon, le premier, le plus grand. Nous ne savons rien de ses fautes, ni même s’il y a eu faute de sa part ; mais la pureté de l’âme est manifeste à travers l’expression déchirante du malheur. Le dernier ou presque est Racine, à cause de Phèdre et des Cantiques spirituels ; entre les deux on peut nommer Maurice Scève, d’Aubigné, Théophile de Viau, qui furent trois grands poètes et trois êtres d’une rare élévation. Au XIXe siècle, tous les poètes furent plus ou moins gens de lettres, ce qui souille honteusement la poésie ; du moins Lamartine et Vigny ont réellement aspiré à quelque chose de pur et d’authentique. Il y a un peu de vraie poésie dans Gérard de Nerval. À la fin du siècle, Mallarmé a été admiré autant comme une espèce de saint que comme un poète, et c’étaient en lui deux grandeurs indiscernables l’une de l’autre. Mallarmé est un vrai poète.

Dans la prose, il y a peut-être une pureté mystérieuse dans Rabelais, où d’ailleurs tout est mystérieux. Il y en a certainement dans Montaigne, malgré ses nombreuses carences, parce qu’il était toujours habité par la présence d’un être pur et sans lequel il serait sans doute demeuré dans la médiocrité, c’est-à-dire La Boétie. Au XVIIe siècle, on peut penser à Descartes, à Retz, à Port-Royal, surtout à Molière. Au XVIIIe, il y a Montesquieu et Rousseau. C’est peut-être tout.

En supposant quelque exactitude dans cette énumération, cela ne signifierait pas qu’il ne faille pas lire le reste, mais qu’il faut le lire sans croire y trouver le génie de la France. Le génie de la France ne réside que dans ce qui est pur.

Auteur: Weil Simone

Info: L'enracinement, Editions Gallimard, 1949, pages 296-297

[ critère de jugement ] [ pureté ] [ comparaison ] [ historique ]

 

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éthique

En même temps certains d’entre eux, ceux dont les recherches sont surtout théoriques, tout en goûtant cette ivresse, sont fiers de se dire indifférents aux applications techniques. Ils jouissent ainsi de deux avantages en réalité incompatibles, mais compatibles dans l’illusion ; ce qui est toujours une situation extrêmement agréable. Ils sont au nombre de ceux qui font le destin des hommes, et dès lors leur indifférence à ce destin réduit l’humanité aux proportions d’une race de fourmis ; c’est une situation de dieux. Ils ne se rendent pas compte que dans la conception actuelle de la science, si l’on retranche les applications techniques, il ne reste plus rien qui soit susceptible d’être regardé comme un bien. L’habileté à un jeu analogue aux échecs est une chose de valeur nulle. Sans la technique, personne aujourd’hui dans le public ne s’intéresserait à la science ; et si le public ne s’intéressait pas à la science, ceux qui suivent une carrière scientifique en auraient choisi une autre. Ils n’ont pas droit à l’attitude de détachement qu’ils assument. Mais quoiqu’elle ne soit pas légitime, elle est un stimulant.

Pour d’autres, la pensée des applications au contraire sert de stimulant. Mais ils ne sont sensibles qu’à l’importance, non au bien et au mal. Un savant qui se sent sur le point de faire une découverte susceptible de bouleverser la vie humaine tend toutes ses forces pour y parvenir. Il n’arrive guère ou jamais, semble-t-il, qu’il s’arrête pour supputer les effets probables du bouleversement en bien et en mal, et renonce à ses recherches si le mal paraît plus probable. Un tel héroïsme semble même impossible ; il devrait pourtant aller de soi. Mais là comme ailleurs la fausse grandeur domine, celle qui se définit par la quantité et non par le bien.

Enfin les savants sont perpétuellement piqués par des mobiles sociaux qui sont presque inavouables tant ils sont mesquins, et ne jouent pas un grand rôle apparent, mais qui sont extrêmement forts. Qui a vu les Français, en juin 1940, abandonner si facilement la patrie, et quelques mois plus tard, avant d’être réellement mordus par la faim, faire des prodiges d’endurance, braver la fatigue et le froid pendant des heures, pour se procurer un œuf, celui-là ne peut pas ignorer l’incroyable énergie des mobiles mesquins.

Le premier mobile social des savants, c'est purement et simplement le devoir professionnel. Les savants sont des gens qu'on paie pour fabriquer de la science ; on attend d'eux qu'ils en fabriquent ; ils se sentent obligés d'en fabriquer. Mais c'est insuffisant comme excitant. L'avancement, les chaires, les récompenses de toute espèce, honneurs et argent, les réceptions à l'étranger, l'estime ou l'admiration des collègues, la réputation, la célébrité, les titres, tout cela compte pour beaucoup. 

Auteur: Weil Simone

Info: L'enracinement, Editions Gallimard, 1949, pages 322-323

[ teechnologie ] [ inventions ] [ mégalomanie ] [ industrie ] [ pouvoir ]

 

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fiscalité

Un premier obstacle était qu’après Charles V la France, si on veut employer le vocabulaire de Montesquieu, a cessé d’être une monarchie pour tomber dans l’état de despotisme, dont elle n’est sortie qu’au XVIII siècle. Nous trouvons aujourd’hui tellement naturel de payer des impôts à l’État que nous n’imaginons pas au milieu de quel bouleversement moral cette coutume s’est établie. Au XIVe siècle le paiement des impôts, excepté les contributions exceptionnelles consenties pour la guerre, était regardé comme un déshonneur, une honte réservée aux pays conquis, le signe visible de l'esclavage. On trouve le même sentiment exprimé dans le Romancero espagnol, et aussi dans Shakespeare – "Cette terre... a fait une honteuse conquête d'elle-même."

Charles VI enfant, aidé de ses oncles, par l’usage de la corruption et d’une atroce cruauté, a brutalement contraint le peuple de France à accepter un impôt absolument arbitraire, renouvelable à volonté, qui affamait littéralement les pauvres et était gaspillé par les seigneurs. C’est pourquoi les Anglais de Henri V furent d’abord accueillis comme des libérateurs, à un moment où les Armagnacs étaient le parti des riches et les Bourguignons celui des pauvres.

Le peuple français, courbé brutalement et d’un coup, n’eut plus ensuite, jusqu’au XVIII siècle, que des secousses d’indépendance. Pendant toute cette période, il fut regardé par les autres Européens comme le peuple esclave par excellence, le peuple qui était à la merci de son souverain comme un bétail.

Mais en même temps s’installa au plus profond du cœur de ce peuple une haine refoulée et d’autant plus amère à l’égard du roi, haine dont la tradition ne s’éteignit jamais. On la sent déjà dans une déchirante complainte de paysans du temps de Charles VI. Elle dut avoir une part dans la mystérieuse popularité de la Ligue à Paris. Après l’assassinat de Henri IV, un enfant de douze ans fut mis à mort pour avoir dit publiquement qu’il en ferait autant au petit Louis XIII. Richelieu commença sa carrière par un discours où il demandait au clergé de proclamer la damnation de tous les régicides ; il donnait comme motif que ceux qui nourrissaient ce dessein étaient animés d’un enthousiasme bien trop fanatique pour être retenus par aucune peine temporelle.

Cette haine atteignit son degré d’exaspération le plus intense à la fin du règne de Louis XIV. Ayant été comprimée par une terreur d’intensité égale, elle explosa, selon la coutume déconcertante de l’histoire, avec quatre-vingts années de retard ; ce fut ce pauvre Louis XVI qui reçut le coup. Cette même haine empêcha qu’il pût y avoir vraiment une restauration de la royauté en 1815. Aujourd’hui encore, elle empêche absolument que le Comte de Paris puisse être librement accepté par le peuple de France, malgré l’adhésion d’un homme comme Bernanos. À certains égards c’est dommage ; beaucoup de problèmes pourraient être ainsi résolus ; mais c’est ainsi. 

Auteur: Weil Simone

Info: L'enracinement, Editions Gallimard, 1949, pages 135 à 137

[ historique ] [ répulsion ]

 

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