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seconde guerre mondiale

L’anéantissement momentané de la France en tant que nation peut lui permettre de redevenir parmi les nations ce qu’elle a été et ce qu’on attendait depuis longtemps qu’elle redevînt, une inspiration. Et pour que la France retrouve une grandeur dans le monde — grandeur indispensable à la santé même de sa vie intérieure — il faut qu’elle devienne une inspiration avant d’être redevenue, par la défaite des ennemis, une nation. Après, ce serait probablement impossible pour plusieurs raisons.

Là aussi, le mouvement français de Londres est dans la meilleure situation qu’on puisse rêver, s’il sait l’utiliser. Il est exactement aussi officiel qu’il est nécessaire de l’être pour parler au nom d’un pays. N’ayant pas sur les Français d’autorité gouvernementale même nominale, même fictive, tirant tout du libre consentement, il a quelque chose d’un pouvoir spirituel. La fidélité incorruptible aux heures les plus sombres, le sang versé tous les jours librement en son nom, lui donnent droit à user librement des plus beaux mots du langage. Il est situé exactement comme il doit l’être pour faire entendre au monde le langage de la France. Un langage qui tire son autorité, non pas d’une puissance, qui a été anéantie par la défaite, ni d’une gloire, qui a été effacée par la honte, mais d’abord d’une élévation de pensée qui soit à la mesure de la tragédie présente, ensuite d’une tradition spirituelle gravée au cœur des peuples.

La double mission de ce mouvement est facile à définir. Aider la France à trouver au fond de son malheur une inspiration conforme à son génie et aux besoins actuels des hommes en détresse. Répandre cette inspiration, une fois retrouvée ou du moins entrevue, à travers le monde.

Si l’on s’attache à cette double mission, beaucoup de choses d’un ordre moins élevé seront accordées par surcroît. Si l’on s’attache d’abord à ces choses-là, celles-là même nous seront refusées. 

Auteur: Weil Simone

Info: L'enracinement, Editions Gallimard, 1949, pages 250-251

[ résistance ] [ patriotisme non-étatique ] [ espoir ]

 

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valeur

La forme contemporaine de la grandeur authentique, c’est une civilisation constituée par la spiritualité du travail. C’est une pensée qu’on peut lancer en avant sans risquer aucune désunion. Le mot de spiritualité n’implique aucune affiliation particulière. Les communistes eux-mêmes, dans l’atmosphère actuelle, ne le repousseraient sans doute pas. Il serait facile d’ailleurs de trouver dans Marx des citations qui se ramènent toutes au reproche de manque de spiritualité adressé à la société capitaliste ; ce qui implique qu’il doit y en avoir dans la société nouvelle. Les conservateurs n’oseraient pas repousser cette formule. Les milieux radicaux, laïques, francs-maçons, non plus. Les chrétiens s’en empareraient avec joie. Elle pourrait susciter l’unanimité.

Mais on ne peut toucher à une telle formule qu’en tremblant. Comment y toucher sans la souiller, sans en faire un mensonge ? Notre époque est tellement empoisonnée de mensonge qu’elle change en mensonge tout ce qu’elle touche. Et nous sommes de notre époque ; nous n’avons aucune raison de nous croire meilleurs qu’elle.

Discréditer de tels mots en les lançant dans le domaine public sans des précautions infinies serait faire un mal irréparable ; ce serait tuer tout reste d’espoir que la chose correspondante puisse apparaître. Ils ne doivent pas être liés à une cause, à un mouvement, ni même à un régime, ni non plus à une nation. Il ne faut pas leur faire le mal que Pétain a fait aux mots "Travail, Famille, Patrie", ni non plus le mal que la IIIe République a fait aux mots Liberté, Égalité, Fraternité. Ils ne doivent pas être un mot d’ordre.

Si on les propose publiquement, ce doit être seulement comme l’expression d’une pensée qui dépasse de très loin les hommes et les collectivités d’aujourd’hui, et qu’on s’engage en toute humilité à garder présente à l’esprit comme guide en toutes choses. Si cette modestie est moins puissante pour entraîner les masses que des attitudes plus vulgaires, peu importe. Il vaut mieux échouer que réussir à faire du mal. 

Auteur: Weil Simone

Info: L'enracinement, Editions Gallimard, 1949, pages 127-128

[ fédérative ] [ récupération politique ] [ dénaturation ] [ manipulation ]

 

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vie professionnelle

De tels ateliers [coopératifs] ne seraient pas de petites usines, ce seraient des organismes industriels d’une espèce nouvelle, où pourrait souffler un esprit nouveau ; quoique petits, ils auraient entre eux des liens organiques assez forts pour qu’ils forment ensemble une grande entreprise. Il y a dans la grande entreprise, malgré toutes ses tares, une poésie d'une espèce particulière dont les ouvriers ont aujourd'hui le goût.

Le paiement aux pièces n’aurait plus d’inconvénient, une fois aboli l’encasernement des travailleurs. Il n’impliquerait plus l’obsession de la vitesse à tout prix. Il serait le mode normal de rémunération pour un travail librement accompli. L’obéissance ne serait plus une soumission de chaque seconde. Un ouvrier ou un groupe d’ouvriers pourrait avoir un certain nombre de commandes à effectuer dans un délai donné, et disposer d’un libre choix dans l’aménagement du travail. Ce serait autre chose que de savoir qu’on doit répéter indéfiniment le même geste, imposé par un ordre, jusqu’à la seconde précise où un nouveau commandement viendra imposer un nouveau geste pour une durée qu’on ignore. Il y a une certaine relation avec le temps qui convient aux choses inertes, et une autre qui convient aux créatures pensantes. On a tort de les confondre.

Coopératifs ou non, ces petits ateliers ne seraient pas des casernes. Un ouvrier pourrait parfois montrer à sa femme le lieu où il travaille, sa machine, comme ils ont été si heureux de le faire en juin 1936, à la faveur de l'occupation. Les enfants viendraient après la classe y retrouver leur père et apprendre à travailler, à l'âge où le travail est de bien loin le plus passionnant des jeux. Plus tard, au moment d'entrer en apprentissage, ils seraient déjà presque en possession d'un métier, et pourraient à leur choix se perfectionner dans celui-là ou en acquérir un second. Le travail serait éclairé de poésie pour toute la vie par ces émerveillements enfantins, au lieu d'être pour toute la vie couleur de cauchemar à cause du choc des premières expériences. 

Auteur: Weil Simone

Info: L'enracinement, Editions Gallimard, 1949, pages 82-83

[ organisation ] [ autonomie ] [ proposition de réforme ] [ amélioration ]

 

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enchaînement physique

Le XIIIe siècle, le XIVe, le début du XVe, sont la période de décadence du Moyen Âge. Dégradation progressive et mort d'une civilisation qui n'avait pas eu le temps de naître, dessèchement progressif d'un simple germe.

Vers le XVe siècle eut lieu la première Renaissance, qui fut comme un faible pressentiment de résurrection de la civilisation pré-romaine et de l'esprit du XIIe siècle. La Grèce authentique, Pythagore, Platon, furent alors l'objet d'un respect religieux qui s'unissait en parfaite harmonie avec la foi chrétienne. Mais cette attitude d'esprit fut très brève.

Bientôt vint la seconde Renaissance dont l'orientation était opposée. C'est elle qui a produit ce que nous nommons notre civilisation moderne.

Nous en sommes très fiers, mais nous n'ignorons pas qu'elle est malade. Et tout le monde est d'accord sur le diagnostic de la maladie. Elle est malade de ne pas savoir au juste quelle place accorder au travail physique et à ceux qui l'exécutent.

Beaucoup d’intelligences s’épuisent sur ce problème en se débattant à tâtons. On ne sait pas par où commencer, d’où partir, sur quoi se guider ; ainsi les efforts sont stériles.

Le mieux est de méditer le vieux récit de la Genèse, en le situant dans le milieu qui est le sien, celui de la pensée antique.

Quand un être humain s'est mis par un crime hors du bien, le vrai châtiment constitue sa réintégration dans la plénitude du bien par le moyen de la douleur. Rien n'est merveilleux comme un châtiment.

L'homme s'est mis hors de l'obéissance. Dieu a choisi comme châtiments le travail et la mort. Par conséquent le travail et la mort, si l'homme les subit en consentant à les subir, constituent un transport dans le bien suprême de l'obéissance à Dieu.

Cela est d'une évidence lumineuse si, comme l'Antiquité, on regarde la passivité de la matière inerte comme la perfection de l'obéissance à Dieu, et la beauté du monde comme l'éclat de la parfaite obéissance. 

Auteur: Weil Simone

Info: L'enracinement, Editions Gallimard, 1949, pages 376-377

[ histoire occidentale ] [ souffrance ] [ soumission ]

 

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apprendre

Il y a deux obstacles qui rendent difficile l'accès du peuple à la culture. L'un est le manque de temps et de forces. Le peuple a peu de loisir à consacrer à un effort intellectuel ; et la fatigue met une limite à l'intensité de l'effort.

Cet obstacle-là n'a aucune importance. Du moins il n'en aurait aucune, si l'on ne commettait pas l'erreur de lui en attribuer. La vérité illumine l'âme à proportion de sa pureté et non pas d'aucune espèce de quantité. Ce n'est pas la quantité du métal qui importe, mais le degré de l'alliage. En ce domaine, un peu d'or pur vaut beaucoup d'or pur. Un peu de vérité pure vaut autant que beaucoup de vérité pure.

[…] Les obstacles matériels – manque de loisir, fatigue, manque de talent naturel, maladie, douleur physique – gênent pour l’acquisition des éléments inférieurs ou moyens de la culture, non pour celle des biens les plus précieux qu’elle enferme.

Le second obstacle à la culture ouvrière est qu'à la condition ouvrière, comme à toute autre, correspond une disposition particulière de la sensibilité. Par suite, il y a quelque chose d'étranger dans ce qui a été élaboré par d'autres et pour d'autres.

Le remède à cela, c'est un effort de traduction. Non pas de vulgarisation, mais de traduction, ce qui est bien différent.

Non pas prendre les vérités, déjà bien trop pauvres, contenues dans la culture des intellectuels, pour les dégrader, les mutiler, les vider de leur saveur ; mais simplement les exprimer, dans leur plénitude, au moyen d’un langage qui, selon le mot de Pascal, les rende sensibles au cœur, pour des gens dont la sensibilité se trouve modelée par la condition ouvrière.

L'art de transposer les vérités est un des plus essentiels et des moins connus. Ce qui le rend difficile, c'est que, pour le pratiquer, il faut s'être placé au centre d'une vérité, l'avoir possédée dans sa nudité, derrière la forme particulière sous laquelle elle se trouve par hasard exposée. 

Auteur: Weil Simone

Info: L'enracinement, Editions Gallimard, 1949, pages 90-92

[ classes sociales ] [ adaptation ] [ prolétaires ]

 
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déprise de soi

Bien qu'aujourd'hui on semble l'ignorer, la formation de la faculté d'attention est le but véritable et presque l'unique intérêt des études. La plupart des exercices scolaires ont aussi un certain intérêt intrinsèque ; mais cet intérêt est secondaire. Tous les exercices qui font vraiment appel au pouvoir d'attention sont intéressants au même titre et presque également.

Les lycéens, les étudiants qui aiment Dieu ne devraient jamais dire : "Moi, j'aime les mathématiques", "Moi, j'aime le français", "Moi, j'aime le grec". Ils doivent apprendre à aimer tout cela parce que tout cela fait croître cette attention, qui, orientée vers Dieu, est la substance même de la prière.

N'avoir ni don ni goût naturel pour la géométrie n'empêche pas la recherche d'un problème ou l'étude d'une démonstration de développer l'attention. C'est presque le contraire. C'est presque une circonstance favorable.

Même il importe peu qu'on réussisse à trouver la solution ou à saisir la démonstration, quoiqu'il faille vraiment s'efforcer d'y réussir. Jamais, en aucun cas, aucun effort d'attention véritable n'est perdu. Toujours il est pleinement efficace spirituellement, et par suite aussi, par surcroît, sur le plan inférieur de l'intelligence, car toute lumière spirituelle éclaire l'intelligence.

Si on cherche avec une véritable attention la solution d'un problème de géométrie et si, au bout d'une heure, on n'est pas plus avancé qu'en commençant, on a néanmoins avancé, durant chaque minute de cette heure, dans une autre dimension plus mystérieuse. Sans qu'on le sente, sans qu'on le sache, cet effort en apparence stérile et sans fruit a mis plus de lumière dans l'âme. Le fruit se retrouvera un jour, plus tard, dans la prière. Il se retrouvera sans doute aussi par surcroît dans un domaine quelconque de l'intelligence, peut-être tout à fait étranger à la mathématique. Peut-être un jour celui qui a donné cet effort inefficace sera-t-il capable de saisir plus directement, à cause de cet effort, la beauté d'un vers de Racine. Mais que le fruit de cet effort doive se retrouver dans la prière, cela est certain, cela ne fait aucun doute.

Auteur: Weil Simone

Info: "Attente de Dieu"

[ persévérance ] [ gratuité ] [ karma yoga ] [ travail ]

 

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savoir

L'acquisition d'une connaissance fait dans certains cas approcher de la vérité, mais dans d'autres cas n'en approche pas. Comment discerner les cas ? 

Si un homme surprend la femme qu’il aime et à qui il avait donné toute sa confiance en flagrant délit d’infidélité, il entre en contact brutal avec de la vérité. S’il apprend qu’une femme qu’il ne connaît pas, dont il entend pour la première fois le nom, dans une ville qu’il ne connaît pas davantage, a trompé son mari, cela ne change aucunement sa relation avec la vérité.

Cet exemple fournit la clef. L’acquisition des connaissances fait approcher de la vérité quand il s’agit de la connaissance de ce qu’on aime, et en aucun autre cas.

Amour de la vérité est une expression impropre. La vérité n’est pas un objet d’amour. Elle n’est pas un objet. Ce qu’on aime, c’est quelque chose qui existe, que l’on pense, et qui par là peut être occasion de vérité ou d’erreur. Une vérité est toujours la vérité de quelque chose. La vérité est l’éclat de la réalité. L’objet de l’amour n’est pas la vérité, mais la réalité. Désirer la vérité, c’est désirer un contact direct avec de la réalité. Désirer un contact avec une réalité, c’est l’aimer. On ne désire la vérité que pour aimer dans la vérité. On désire connaître la vérité de ce qu’on aime. Au lieu de parler d’amour de la vérité, il vaut mieux parler d’un esprit de vérité dans l’amour.

L’amour réel et pur désire toujours avant tout demeurer tout entier dans la vérité, quelle qu’elle puisse être, inconditionnellement. Toute autre espèce d’amour désire avant tout des satisfactions, et de ce fait est principe d’erreur et de mensonge. L’amour réel et pur est par lui-même esprit de vérité. C’est le Saint-Esprit. Le mot grec qu’on traduit par esprit signifie littéralement souffle igné, souffle mélangé à du feu, et il désignait, dans l’antiquité, la notion que la science désigne aujourd’hui par le mot d’énergie. Ce que nous traduisons "esprit de vérité" signifie l’énergie de la vérité, la vérité comme force agissante. L’amour pur est cette force agissante, l’amour qui ne veut à aucun prix, en aucun cas, ni du mensonge ni de l’erreur. 

Auteur: Weil Simone

Info: L'enracinement, Editions Gallimard, 1949, pages 319-329

[ intègre ] [ concret ]

 

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patriotisme

On peut aimer la France pour la gloire qui semble lui assurer une existence étendue au loin dans le temps et l'espace. Ou bien on peut l'aimer comme une chose qui, étant terrestre, peut-être détruite, et dont le prix est d'autant plus sensible.

Ce sont deux amours distincts ; peut-être, probablement, incompatibles, quoique le langage les mélange. Ceux dont le cœur est fait pour éprouver le second peuvent, par la force de l'habitude, employer le langage qui ne convient qu'au premier.

Le second seul est légitime pour un chrétien, car seul il a la couleur de l'humilité chrétienne. Il appartient seul à l'espèce d'amour qui peut recevoir le nom de charité. Qu'on ne croie pas que cet amour puisse seulement avoir pour objet un pays malheureux.

Le bonheur est un objet pour la compassion au même titre que le malheur, parce qu’il est terrestre, c’est-à-dire incomplet, fragile et passager. Au reste il y a malheureusement toujours dans la vie d’un pays un certain degré de malheur.

Qu’on ne croie pas non plus qu’un tel amour risquerait d’ignorer ou de négliger ce qu’il y a de grandeur authentique et pure dans le passé, le présent et les aspirations de la France. Bien au contraire. La compassion est d’autant plus tendre, d’autant plus poignante, qu’on discerne davantage de bien dans l’être qui en est l’objet, et elle dispose à discerner le bien. Quand un chrétien se représente le Christ en croix, la compassion en lui n’est pas diminuée par la pensée de la perfection, ni inversement. Mais d’un autre côté, un tel amour peut avoir les yeux ouverts sur les injustices, les cruautés, les erreurs, les mensonges, les crimes, les hontes, contenus dans le passé, le présent et les appétits du pays, sans dissimulation ni réticence, et sans en être diminué ; il en est rendu seulement plus douloureux. Pour la compassion, le crime lui-même est une raison, non pas de s’éloigner, mais de s’approcher, pour partager, non pas la culpabilité, mais la honte. Les crimes des hommes n’ont pas diminué la compassion du Christ. Ainsi la compassion a les yeux ouverts sur le bien et le mal et trouve dans l’un et l’autre des raisons d’aimer. C’est le seul amour ici-bas qui soit vrai et juste. 

Auteur: Weil Simone

Info: L'enracinement, Editions Gallimard, 1949, page 219

[ définition ] [ imperfections ] [ totalisant ]

 

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état-providence

L’État avait cessé d’être [avant la seconde guerre mondiale], sous le nom de nation ou de patrie, un bien infini, dans le sens d’un bien à servir par le dévouement. En revanche il était devenu aux yeux de tous un bien illimité à consommer. L’absolu lié à l’idolâtrie lui est resté attaché, une fois l’idolâtrie effacée, et a pris cette forme nouvelle. L’État a paru être une corne d’abondance inépuisable qui distribuait les trésors proportionnellement aux pressions qu’il subissait. Ainsi on lui en voulait toujours de ne pas accorder davantage. Il semblait qu’il refusât tout ce qu’il ne fournissait pas. Quand il demandait, c’était une exigence qui paraissait paradoxale. Quand il imposait, c’était une contrainte intolérable. L’attitude des gens envers l’État était celle des enfants non pas envers leurs parents, mais envers des adultes qu’ils n’aiment ni ne craignent ; ils demandent sans cesse et ne veulent pas obéir.

Comment passer tout d’un coup de cette attitude au dévouement sans bornes exigé par la guerre ? Mais même pendant la guerre les Français ont cru que l’État avait la victoire quelque part dans ses coffres, à côté des autres trésors qu’il ne voulait pas se donner la peine de sortir. On a tout fait pour encourager cette opinion, comme en témoigne le slogan : « Nous vaincrons parce que nous sommes les plus forts. »

La victoire va libérer un pays où tous auront été presque exclusivement occupés à désobéir, pour des motifs bas ou élevés. On a écouté la radio de Londres, lu et distribué des papiers interdits, voyagé en fraude, caché du blé, travaillé le plus mal possible, fait du marché noir, on s’est vanté de tout cela entre amis et en famille. Comment fera-t-on comprendre aux gens que c’est fini, que désormais il faut obéir ?

On aura aussi passé ces années à rêver de rassasiement. Ce sont des rêveries de mendiants, en ce sens qu’on ne pense qu’à recevoir de bonnes choses sans aucune contre-partie. En fait, les pouvoirs publics assureront la distribution ; comment éviter alors que cette attitude de mendiant insolent, qui déjà avant-guerre était celle des citoyens envers l’État, ne devienne infiniment plus accentuée ? Et si elle prend pour objet un pays étranger, par exemple l’Amérique, le danger est encore bien plus grave. 

Auteur: Weil Simone

Info: L'enracinement, Editions Gallimard, 1949, pages 198-199

[ socialisme ] [ infantilisation ] [ renversement ] [ revendications ]

 

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réforme ouvrière

Pour les salaires, il faudrait surtout éviter, d'abord, bien entendu, qu'ils soient bas au point de jeter dans la misère – mais ce ne serait guère à craindre dans de pareilles conditions – puis qu'ils occupent l'esprit et empêchent l'attachement de l'ouvrier à l'entreprise.

Les organismes corporatifs, d'arbitrage, etc., devraient être conçus uniquement à cet effet – fonctionner de manière que chaque ouvrier pense rarement aux questions d'argent.

La profession de chef d’entreprise devrait, comme celle de médecin, être au nombre de celles que l’État, dans l’intérêt public, autorise à exercer seulement sous la condition de certaines garanties. Les garanties devraient avoir rapport non seulement à la capacité, mais à l’élévation morale.

Les capitaux engagés seraient bien plus réduits que maintenant. Un système de crédit pourrait facilement permettre à un jeune homme pauvre qui a la capacité et la vocation d’être chef d’entreprise de le devenir.

L’entreprise pourrait ainsi redevenir individuelle. Quant aux sociétés anonymes, il n’y aurait peut-être pas d’inconvénient, en ménageant un système de transition, à les abolir et à les déclarer interdites.

Bien entendu, la variété des entreprises exigerait l’étude de modalités très variées. Le plan esquissé ici ne peut apparaître que comme terme de longs efforts au nombre desquels des efforts d’invention technique seraient indispensables.

En tout cas, un tel mode de vie sociale ne serait ni capitaliste ni socialiste.

Il abolirait la condition prolétarienne, au lieu que ce qu’on nomme socialisme a tendance, en fait, à y précipiter tous les hommes.

Il aurait pour orientation, non pas, selon la formule qui tend aujourd’hui à devenir à la mode, l’intérêt du consommateur — cet intérêt ne peut être que grossièrement matériel —, mais la dignité de l’homme dans le travail, ce qui est une valeur spirituelle.

L’inconvénient d’une telle conception sociale, c’est qu’elle n’a aucune chance de sortir du domaine des mots sans un certain nombre d’hommes libres qui auraient au fond du cœur une volonté brûlante et inébranlable de l’en faire sortir. Il n’est pas sûr qu’ils puissent être trouvés ou suscités.

Pourtant, hors de là, il semble bien qu’il n’y a de choix qu’entre des formes différentes et presque également atroces de malheur.

Bien qu’une telle conception soit d’une réalisation longue, la reconstruction d’après-guerre devrait avoir immédiatement pour règle la dispersion du travail industriel. 

Auteur: Weil Simone

Info: L'enracinement, Editions Gallimard, 1949, pages 102 à 104

[ organisation de la vie professionnelle ] [ entreprenariat ] [ utopique ] [ individuel-collectif ]

 

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