Il y a deux obstacles qui rendent difficile l'accès du peuple à la culture. L'un est le manque de temps et de forces. Le peuple a peu de loisir à consacrer à un effort intellectuel ; et la fatigue met une limite à l'intensité de l'effort.
Cet obstacle-là n'a aucune importance. Du moins il n'en aurait aucune, si l'on ne commettait pas l'erreur de lui en attribuer. La vérité illumine l'âme à proportion de sa pureté et non pas d'aucune espèce de quantité. Ce n'est pas la quantité du métal qui importe, mais le degré de l'alliage. En ce domaine, un peu d'or pur vaut beaucoup d'or pur. Un peu de vérité pure vaut autant que beaucoup de vérité pure.
[…] Les obstacles matériels – manque de loisir, fatigue, manque de talent naturel, maladie, douleur physique – gênent pour l’acquisition des éléments inférieurs ou moyens de la culture, non pour celle des biens les plus précieux qu’elle enferme.
Le second obstacle à la culture ouvrière est qu'à la condition ouvrière, comme à toute autre, correspond une disposition particulière de la sensibilité. Par suite, il y a quelque chose d'étranger dans ce qui a été élaboré par d'autres et pour d'autres.
Le remède à cela, c'est un effort de traduction. Non pas de vulgarisation, mais de traduction, ce qui est bien différent.
Non pas prendre les vérités, déjà bien trop pauvres, contenues dans la culture des intellectuels, pour les dégrader, les mutiler, les vider de leur saveur ; mais simplement les exprimer, dans leur plénitude, au moyen d’un langage qui, selon le mot de Pascal, les rende sensibles au cœur, pour des gens dont la sensibilité se trouve modelée par la condition ouvrière.
L'art de transposer les vérités est un des plus essentiels et des moins connus. Ce qui le rend difficile, c'est que, pour le pratiquer, il faut s'être placé au centre d'une vérité, l'avoir possédée dans sa nudité, derrière la forme particulière sous laquelle elle se trouve par hasard exposée.
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Info: L'enracinement, Editions Gallimard, 1949, pages 90-92
Commentaires: 2
Coli Masson
07.07.2025
Je suis un peu embarrassée par ces idées moi aussi. En valorisant ainsi de manière très idéaliste la classe prolétaire, S. Weil ne peut pas s'empêcher quand même de les mettre à part, même si c'est de la "discrimination positive". Et puis elle essentialise un peu tout : les gentils prolétaires, les méchants intellectuels... Les efforts de traduction, à l'heure actuelle, on voit ce que ça donne : des bouquins pour les enfants complètement débiles, avec le moins de mots possibles, le moins d'idées possibles, un nivellement par le bas à toutes les échelles.
miguel
07.07.2025
Mouais... c'est tellement hors sol, on dirait du Duras... de la flatulence de bourgeois... qui se prend pour on ne sait quoi. "à la condition ouvrière, comme à toute autre, correspond une disposition particulière de la sensibilité." Mon dieu !... Je retrouve ces idées de strates - françaises.... très éloignées de la démocatie directe CH où on pourra (de moins en moins certes) trouver un mécano au conseil fédéral