JJS : Selon vous donc le goût serait la répétition de toute chose déjà acceptée ?
MD : Exactement. C'est une habitude. Recommencez la même chose assez longtemps et elle devient un goût. Si vous interrompez votre production artistique après avoir créé une chose, celle-ci devient une chose en-soi et le demeure. Mais si elle se répète un certain nombre de fois, elle devient un goût.
JJS : Et le bon goût est la répétition de ce que la société approuve et le mauvais goût la même répétition de ce qu'elle n'approuve pas. C'est bien là ce que vous voulez dire ?
MD : Oui, que le goût soit bon ou mauvais, cela n'a aucune importance, car il est toujours bon pour les uns et mauvais pour les autres. Peu importe la qualité, c'est toujours du goût.
JJS : Comment donc avez-vous pu échapper au bon et au mauvais goût dans votre expression personnelle ?
MD : Par l'emploi des techniques mécaniques. Un dessin mécanique ne sous-entend aucun goût.
JJS : Parce qu'il est divorcé de l'expression picturale conventionnelle ?
MD : C'est du moins ce que je pensais à l'époque et ce que je continue de penser aujourd'hui.
JJS : Ce divorce, cette libération de toute intervention humaine dans la peinture et le dessin ont-ils quelque rapport avec l'intérêt que vous avez porté aux ready-mades ?
MD : C'est naturellement en essayant de tirer une conclusion ou une conséquence quelconque de cette déshumanisation de l'œuvre d'art que j'en suis venu à concevoir les ready-mades. Tel est, vous le savez, le nom que j'ai donné à ces œuvres qui sont bien, en effet, toutes faites.
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Info: Marcel Duchamp, entretien avec James Johnson Sweeney (extrait), 1955, IN Duchamp du signe, pp. 175-185, Flammarion, 1994, © Succession Marcel Duchamp, Adagp, Paris 2007
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