Voilà donc à quels dieux les Romains s’applaudissaient de confier la tutelle de Rome ! Ô erreur digne d’une immense pitié ! […] Virgile, dis-je, nous représente Junon, ennemie des Troyens, soulevant contre eux Eole, le roi des tempêtes :
"Une race que je hais, s’écrie-t-elle, fait voile sur la mer Tyrrhénienne ; elle porte en Italie Ilion et ses pénates vaincus. [Enéide, I, 67]"
Est-ce donc à ces pénates vaincus que la prudence devait recommander Rome pour lui assurer la victoire ? Junon parle en femme irritée, ne sachant ce qu’elle dit. Mais quoi ? Ecoutez Enée lui-même, le pieux Enée :
"Panthus, fils d’Othrys, prêtre de la citadelle et du temple d’Apollon, chargé des choses sacrées, de nos dieux vaincus, traînant par la main son petit-fils, accourt éperdu au seuil de ma demeure. [II, 319]"
Et ces dieux, que le héros ne craint pas de dire vaincus, ne sont-ils pas, de son aveu, plutôt confiés à sa tutelle que lui-même à la leur, lorsqu’il entend cette parole : "Troie le confie à son culte et ses pénates [II, 293]" ?
Ainsi ces dieux, et quels dieux, Virgile les déclare vaincus, et pour échapper aux vainqueurs, n’importe par quelle voie, confiés à un homme ! Et Rome sagement commise à de tels protecteurs ? Et sans leur perte, sa perte impossible ? Quelle folie ! Quoi donc ? Honorer comme tuteurs et patrons ces dieux vaincus, qu’est-ce, sinon vouer ses destinées plutôt à de néfastes auspices qu’à des divinités bienfaisantes ?
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Info: La cité de Dieu, volume 1, traduction en latin de Louis Moreau (1846) revue par Jean-Claude Eslin, Editions du Seuil, 1994, pages 37-38
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