J’ai parlé quelque part - nommément dans mon Rapport de Rome - de ce que j’ai désigné par le pied du "mur du langage". Rien n’est plus difficile que d’amener l’obsessionnel au pied du mur de son désir. Car il y a quelque chose dont je ne sache pas que cela ait déjà été vraiment mis en relief, et qui pourtant est un point fort éclairant. Je prendrai pour l’éclairer le terme dont vous savez que j’ai déjà fait plus d’un usage, le terme introduit par JONES d’une façon dont j’ai marqué toutes les ambiguïtés, d’ἀϕάνιςις [aphanisis], disparition - comme vous le savez c’est le sens du mot en grec - disparition du désir.
On n’a jamais, me semble-t-il, pointé cette chose toute simple et tellement tangible dans les histoires de l’obsessionnel, spécialement dans ses efforts quand il est sur une certaine voie de recherche autonome, d’auto-analyse si vous voulez, quand il est situé quelque part sur le chemin de cette recherche qui s’appelle, sous une forme quelconque "réaliser son fantasme", il semble qu’on ne se soit jamais arrêté à la fonction - tout à fait impossible à écarter - du terme d’ἀϕάνιςις [aphanisis]. Si on l’emploie, c’est qu’il y a une ἀϕάνιςις [aphanisis] tout à fait naturelle et ordinaire qui est limitée par le pouvoir qu’a le sujet de ce qu’on appelle tenir, "tenir l’érection".
Le désir a un rythme naturel, et avant même d’évoquer les extrêmes de l’incapacité du "tenir", les formes les plus inquiétantes de la brièveté de l’acte, on peut remarquer ceci, c’est que ce à quoi le sujet a affaire comme à un obstacle, comme à un écueil, où, littéralement, quelque chose qui est profondément foncier, de son rapport à son fantasme vient se briser :
– c’est, à proprement parler, ce qu’a, en fin de compte, chez lui de toujours terminer,
– c’est que, dans la ligne de l’érection, puis de la chute du désir, il y a un moment où l’érection se dérobe.
Très exactement, précisément ce moment signale que, mon Dieu, dans l’ensemble, il n’est pas pourvu de plus ni de moins que ce que nous appellerons une "génitalité" fort ordinaire, plutôt même assez douillette ai-je cru remarquer, et que pour tout dire, si c’était de quelque chose qui se situât à ce niveau qu’il s’agît dans les avatars et les tourments qu’infligent à l’obsessionnel les ressorts cachés de son désir, ce serait ailleurs qu’il conviendrait de faire porter notre effort.
[…] Ce dont il s’agit se situe donc bien ailleurs, se situe au niveau du discord entre ce fantasme, pour autant justement où il est lié à cette fonction du phallicisme, et l’acte - par rapport à cela qui tourne toujours trop court - où il aspire à l’incarner.
Et naturellement, c’est du côté des effets du fantasme, ce fantasme qui est tout phallicisme, que se développent toutes ces conséquences symptomatiques qui sont faites pour y prêter, et pour lesquelles justement il inclut tout ce qui s’y prête dans cette forme d’isolement si typique, si caractéristique comme mécanisme, et qui a été mise en valeur comme mécanisme dans la naissance du symptôme.
Si donc il y a chez l’obsessionnel cette crainte de l’ἀϕάνιςις [aphanisis] que souligne JONES, c’est précisément pour autant, et uniquement pour autant, qu’elle est la mise à l’épreuve - qui tourne toujours en défaite - de cette fonction Φ [grand phi] du phallus en tant que nous essayons pour l’instant de l’approcher. Pour tout dire, le résultat est que l’obsessionnel ne redoute en fin de compte rien tant que ce à quoi il s’imagine qu’il aspire : la liberté de ses actes et de ses gestes, et l’état de nature si je puis m’exprimer ainsi.