Via le long cheminement de ma pensée, j'ai cherché à comprendre comment l'être vivant perçoit le monde non pas comme une de sensations désordonnées, mais comme un tissu cohérent d'occasions d'action, offert directement à son expérience. Ce que j'ai nommé affordances — ou " invitations à l'action " — ne sont pas des propriétés que l'esprit projette sur les choses, mais des relations réelles entre l'environnement et l'organisme.
Je ne crois pas que la perception soit une construction mentale fondée sur des sensations neutres à interpréter. L'œil, le corps, l'animal tout entier sont immergés dans le flux des événements, et ils y perçoivent d'emblée ce qui peut être fait : la branche qui peut être saisie, le sol qui peut être foulé, l'eau qui peut être bue. Ainsi, percevoir et agir ne sont pas deux opérations distinctes ; ce sont les deux faces d'un même mouvement vital.
Le monde perçu n'est pas un décor statique, mais un champ de potentialités. Ces affordances ne dépendent pas de la conscience d'un sujet : elles existent par la compatibilité même de la forme du corps et de la structure du milieu. Elles ne sont ni purement objectives ni purement subjectives — elles sont relationnelles. Là réside le cœur de ma théorie : l'animal et son environnement forment une unité écologique, un système fermé sur sa dynamique propre où la perception est connaissance incarnée.
Si j'ai voulu réhabiliter la perception directe, c'est pour libérer la psychologie de l'illusion selon laquelle nous habiterions un monde intérieur d'images ou de représentations. Il n'y a pas de voile entre l'œil et le réel : il ya l'influence réciproque, la coappartenance. Et c'est par cette continuité intime entre la vie et son monde que l'on saisit la vérité de la perception : elle n'est pas contemplation du monde, mais participation à lui.