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psychanalyse

La question éthique de l’analyse se pose, non dans une spéculation d’ordonnance, d’arrangement, de ce que j’appelle "service des biens", mais à proprement parler implique cette dimension qui s’exprime dans ce qu’on appelle "l’expérience tragique de la vie". […]

Disons que ce rapport de l’action, au désir qui l’habite dans la dimension tragique se situe, s’exerce dans le sens, disons en première approximation, d’un triomphe de la mort. C’est le caractère fondamental de toute action tragique. Je vous ai appris à rectifier, à corriger : triomphe de "l’Être pour la mort". Qu’importe le μὴ ϕῦναι [mé phunai] tragique : ce μὴ, cette négation est identique à l’entrée du sujet comme tel sur le support du signifiant. […]

Et c’est parce que nous savons mieux que ceux qui nous ont précédés, reconnaître la nature du désir qui est au cœur de cette expérience, qu’une révision éthique est possible, qu’un jugement éthique est possible, qui répercute cette valeur de "jugement dernier" : "Avez-vous agi conformément au désir qui vous habite ?" Ceci n’est pas une question facile à soutenir. C’est une question - je le prétends - qui n’a jamais été posée dans cette pureté ailleurs qu’elle ne peut l’être, c’est-à-dire dans le contexte analytique.

À ce pôle du désir s’oppose la tradition, non pas dans son entier bien sûr - rien n’est nouveau et tout l’est, dans l’articulation humaine - mais ce que j’ai voulu, à l’opposé, vous faire sentir, et justement en prenant dans une tragédie l’exemple de l’antithèse du héros tragique qui, comme antithèse, ne participe pas moins dans la tragédie d’un certain caractère héroïque, et c’est CRÉON, sur ce support, autour de ce support, je vous l’ai rappelé aussi, préparé par un rappel : je vous ai parlé de ce qu’on appelle la position du "service des biens". 

Cette position du "service des biens" est la position de l’éthique traditionnelle. Tout ce qui est ravalement du désir, toute cette modestie, ce tempérament, cette voie médiane que nous voyons si éminemment remarquablement articulée dans ARISTOTE, il s’agit de savoir de quoi elle prend mesure, si sa mesure peut être quelque part fondée.

Il suffit d’un examen articulé et attentif pour voir que sa mesure est toujours profondément marquée d’ambiguïté. En fin de compte, l’ordre des choses sur lequel elle entend, elle prétend se fonder, c’est l’ordre du pouvoir, d’un pouvoir trop humain, et non pas parce que nous disons qu’il est humain et trop humain, mais parce qu’il ne peut pas même faire trois pas pour s’articuler, sans dessiner la circonvallation qui la serve du lieu où règne, disons-nous, le déchaînement des signifiants et où pour ARISTOTE il s’agit du caprice des dieux, pour autant qu’à ce niveau dieux et bêtes se réunissent pour signifier le monde de l’impensable. Certainement, ce dieu n’est pas le premier moteur. Il s’agit des dieux de la mythologie. Nous savons depuis, quant à nous, réduire ce déchaînement du signifiant. Mais ce n’est pas parce que nous l’avons mis presque tout entier, notre jeu, sur le Nom du Père, que la question en est simplifiée. 

Donc voyons-le bien, la morale d’ARISTOTE, c’est tout à fait clair - cela vaut la peine d’aller y voir de près - se fonde toute entière sur un ordre d’ailleurs arrangé, idéal, mais qui tout de même est celui qui répond à la politique de son temps, je veux dire au point où les choses étaient structurées dans la cité. Sa morale est une morale du maître, faite pour les vertus du maître, elle est essentiellement liée à un ordre des pouvoirs. L’ordre des pouvoirs n’est point à mépriser. Ce ne sont point ici à vous tenir propos d’anarchisme, simplement il faut en savoir la limite concernant le champ offert à notre investigation, à notre réflexion.

[…] La morale du pouvoir, du "service des biens", est comme telle : 

"Pour les désirs, vous repasserez, qu’ils attendent". 

Auteur: Lacan Jacques

Info: 6 juillet 1960

[ perspectives ] [ amoralisme ] [ dépassement ]

 

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rapports humains

[à propos du graphe du désir]

Cette autre ligne [δ→δ’] est donc celle du discours courant, commun, tel qu’il est admis dans le code du discours, de ce que j’appellerais le discours de la réalité qui nous est commune. C’est aussi le niveau où se produit le moins de créations de sens, puisque le sens est déjà en quelque sorte donné, et que la plupart du temps ce discours ne consiste qu’en un fin brassage de ce qu’on appelle idées reçus, que c’est très précisément au niveau de ce discours que se produit le fameux " discours vide " dont un certain nombre de mes remarques sur la fonction de la parole et du langage sont parties.

Vous le voyez donc bien :

– ceci [δ→δ’] est le discours concret du sujet individuel, de celui qui parle et qui se fait entendre. C’est ce discours que l’on peut enregistrer sur un disque.

– L’autre [γ→A] est ce que tout cela inclut comme possibilités de décomposition, de ré-interprétation, de résonance, d’effets métaphoriques et métonymiques.

L’un va dans le sens contraire de l’autre, pour la simple raison justement qu’ils glissent l’un sur l’autre, mais l’un recoupe l’autre, et ils se recoupent en deux points parfaitement reconnaissables.

Si nous partons du discours [δ→δ’], le premier point où le discours rencontre l’autre chaîne [γ→A] que nous appellerons la chaîne proprement signifiante, c’est, du point de vue du signifiant, ce que je viens de vous expliquer, à savoir " le faisceau des emplois ", autrement dit ce que nous appellerons " le code ". Et il faut bien que le code soit quelque part pour qu’il puisse y avoir audition de ce discours. Ce code est très évidemment dans le grand A qui est là, c’est-à-dire dans l’Autre en tant qu’il est le compagnon de langage. Cet Autre, il faut absolument qu’il existe, et je vous prie de noter à l’occasion qu’il n’y a absolument pas besoin de l’appeler de ce nom imbécile et délirant qui s’appelle " la conscience collective ".

Un Autre c’est un Autre, il en suffit d’un seul pour qu’une langue soit vivante, il suffit même tellement d’un seul, que cet Autre à lui tout seul peut être aussi le premier temps. Qu’il y en ait un qui reste et qui puisse se parler à lui-même sa langue, cela suffit pour qu’il y ait lui, et non seulement un Autre, mais même deux autres, en tout cas quelqu’un qui le comprenne. On peut continuer à faire des traits d’esprit dans une langue, quand on en est encore le seul possesseur.

Voilà donc la rencontre première [α] au niveau de ce que nous avons appelé " le code ". Et dans l’autre, la seconde rencontre [γ] qui achève la boucle, qui constitue à proprement parler le sens, qui le constitue à partir du code qu’elle a d’abord rencontré, c’est à ce point d’aboutissement. Vous voyez deux flèches qui aboutissent - et aujourd’hui je me dispenserai de vous dire quelle qu’elle est la seconde des flèches qui aboutit ici [γ] - dans ce point γ, c’est le résultat de cette conjonction du discours avec le signifiant comme support créateur de sens : c’est le message. Ici le sens vient au jour, la vérité qu’il y a à annoncer - si vérité il y a - est là dans le message.

La plupart du temps aucune vérité n’est annoncée, pour la simple raison que le discours [δ→δ’] ne passe absolument pas à travers la chaîne signifiante [γ→A], qu’il est le pur et simple ronron de la répétition et du moulin à paroles, et qu’il passe quelque part en court-circuit entre β et β’, et que le discours ne dit absolument rien, sinon de vous signaler que je suis un animal parlant. C’est le discours commun de ces mots pour ne rien dire, grâce à quoi on s’assure qu’on n’a pas en face de soi affaire à simplement ce que l’homme est au naturel, à savoir une bête féroce.

Auteur: Lacan Jacques

Info: Le séminaire, tome 5 : Les formations de l'inconscient - blabla de la non rencontre (tag de mg) *souligne la nature de l'interaction entre les plans distincts (les deux singularités horizontales et le consensus idiomatique vertical). C'est précisément le croisement de ces axes qui rend l'inventivité possible.

[ dialogiques ] [ interaction sémantique ] [ ronron aliénant ] [ contact créatif ] [ inventivité orthogonale * ]

 
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valeur

BENTHAM, comme le montre la Théorie des fictions, récemment mise en valeur dans son œuvre, est l’homme qui aborde la question au niveau du signifiant. À propos de toutes les institutions, mais dans ce qu’elles ont de foncièrement verbal, à savoir fictif, sa recherche est non pas de réduire à rien tous ces droits multiples, incohérents, contradictoires dont la jurisprudence anglaise lui donnait l’exemple, mais au contraire, à partir de l’artifice symbolique de ces termes, créateurs de textes eux aussi, de voir ce qu’il y a au total, dans tout cela, qui puisse servir à quelque chose, c’est-à-dire faire justement ce dont je vous ai parlé à l’instant, à savoir l’objet du partage.

La longue élaboration historique du problème du bien aboutit à se centrer sur la notion de ce que c’est, comment sont créés les biens, les biens en tant qu’ils s’organisent : non à partir de besoins soi-disant naturels prédéterminés, mais en tant qu’ils fournissent la matière à une répartition par rapport à quoi va commencer à s’articuler la dialectique du bien comme tel, pour autant qu’elle prend son sens effectif pour l’homme.

Les besoins d’homme se logent dans l’utile dans la partie symbolique. C’est la part prise à ce qui, du texte symbolique peut être, comme on dit, de quelque utilité. C’est pourquoi à ce stade et à ce niveau, il est bien certain, pour BENTHAM, qu’il n’y a pas de problème. Le maximum d’utilité pour le plus grand nombre, telle est bien la loi selon laquelle s’organise à ce niveau le problème de la fonction de ces biens.

Pour tout dire, à ce niveau nous sommes avant que le sujet ait passé la tête dans les trous de l’étoffe, et l’étoffe est faite pour que le plus grand nombre de sujets possible passent leur tête et leurs membres. Seulement, bien entendu, tout ce discours n’aurait pas de sens si les choses ne se mettaient pas à fonctionner autrement. C’est justement parce que, dans cette chose rare ou pas rare, mais dans cette chose produite, dans cette richesse en fin de compte - de quelque pauvreté qu’elle soit corrélative – il y a au départ autre chose que sa valeur d’usage et que son utilisation de jouissance.

Il est clair que le bien s’articule d’une façon toute différente. Le bien n’est pas au niveau de l’usage de l’étoffe, le bien est au niveau de ceci, c’est qu’un sujet peut en disposer. Le domaine du bien est la naissance du pouvoir : " Je puis le bien. " La notion de cette disposition du bien est essentielle, et si on la met au premier plan, tout vient au jour dans l’histoire de ce que signifie la revendication de l’homme - parvenu à un certain point de son histoire - à disposer de lui-même.

Ça n’est pas moi, mais FREUD, qui s’est chargé de démasquer ce que ceci veut dire dans l’affectivité historique : ceci veut dire disposer de ses biens. Et chacun sait que cette disposition ne va pas sans un certain désordre, et que ce désordre montre assez quelle est sa véritable nature. Disposer de ses biens, c’est avoir le droit d’en priver les autres. C’est bien autour de cela qu’il est inutile, je pense, que je vous fasse toucher du doigt, que c’est bien autour de cela que se joue le destin historique.

[…] Ce qui s’appelle " défendre nos biens " n’est […] qu’une seule et même chose, n’a qu’une seule et même dimension avec ceci : nous défendre à nous-mêmes d’en jouir.

La dimension du bien comme telle est celle qui dresse une muraille puissante et essentielle sur la voie de notre désir. C’est la première à laquelle nous avons, à chaque instant et toujours, affaire.

Comment nous pouvons concevoir de passer au-delà ?

Comment il faut que nous identifiions à une certaine répudiation des plus radicales un certain idéal du bien pour que nous puissions même comprendre dans quelle voie se développe notre expérience.

C’est ce que je poursuivrai pour vous la prochaine fois.




Auteur: Lacan Jacques

Info: Le séminaire, tome 7 : L'éthique de la psychanalyse

[ matérialisme ] [ égoïsmes ] [  péréquation sociale ] [ refoulement ]

 
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famille

On peut dire que la constellation originelle d’où est sorti le développement de la personnalité du sujet [l'homme aux rats étudié par Freud] - je parle de "constellation" au sens où en parleraient les astrologues - ce à quoi elle doit sa naissance et son destin, sa préhistoire je dirais presque, à savoir les relations familiales fondamentales qui ont présidé à la jonction de ses parents, ce qui les a amenés à leur union, c’est quelque chose qui se trouve avoir un rapport, et un rapport dont on peut dire qu’il est peut-être définissable dans la formule d’une certaine transformation à proprement parler mythique, un rapport tout à fait précis – avec quoi ? – avec la chose qui apparaît la plus contingente, la plus fantasmatique, la plus paradoxalement morbide, à savoir le dernier état de développement de ce qu’on appelle, dans cette observation : "la grande appréhension obsédante du sujet", c’est-à-dire le scénario auquel il parvient, scénario imaginaire, comme étant celui qui doit résoudre pour lui l’angoisse provoquée par le déclenchement de sa grande crise.

Je m’explique. 

La constellation familiale, la constellation originelle du sujet, par quoi est-elle formée, dans ce qu’on peut appeler la légende, la tradition familiale ? Par le récit d’un certain nombre de traits qui sont ceux qui typifient, ou spécifient l’union des parents, de ses géniteurs, et qui sont les suivants.

D’abord, le fait que le père… qui a été sous-officier au début de sa carrière, qui est resté un personnage très sous-officier, avec ce que cela comporte de note d’autorité – mais un peu dérisoire – une certaine dévaluation qui accompagne le sujet de façon permanente dans l’estime de ses contemporains, un mélange de braverie et d’éclat, dont on peut dire qu’il compose une sorte de personnage conventionnel et qu’on retrouve à travers l’homme sympathique qui est décrit dans les déclarations du sujet …ce père se trouve après son mariage dans la position suivante : il a fait ce qu’on appelle un mariage avantageux. En effet, c’est sa femme, qui appartient à un milieu beaucoup plus élevé dans la hiérarchie bourgeoise, qui a apporté à la fois les moyens de vivre et la situation même dont il bénéficie au moment où ils vont avoir leur enfant.

Donc, le prestige est du côté de la mère. Et une des taquineries les plus familières entre ces personnes - qui en principe s’entendent bien, et même semblent liées par une affection réelle - est une sorte de jeu fréquemment répété, un dialogue des époux où la femme fait une allusion à la fois amusée et taquine à l’existence, juste avant le mariage, à un vif attachement de son mari pour une jeune fille pauvre, mais jolie. Et le mari de se récrier et d’affirmer en chaque occasion qu’il s’agit là de quelque chose d’aussi fugitif que lointain et d’oublié. Mais ce jeu, dont la répétition même implique peut-être une part d’artifice, est quelque chose qui certainement impressionne profondément le jeune sujet qui deviendra plus tard notre patient.

D’autre part, il y a un autre élément du mythe familial qui n’est pas de peu d’importance. Le père a eu, au cours de sa carrière militaire, ce qu’on peut appeler en termes pudiques "des ennuis" et même de fort gros ennuis. Il n’a fait ni plus ni moins que dilapider les fonds dont il était dépositaire, les fonds du régiment au titre de ses fonctions, il les a dilapidés en raison de sa passion pour le jeu, et il n’a dû son honneur, voire même sa vie - au moins au sens de sa carrière, de la figure qu’il peut continuer à faire dans la société - qu’à l’intervention d’un ami qui lui a prêté la somme qu’il convenait de rembourser, et qui se trouve donc avoir été le sauveur, dans cet épisode dont on parle encore comme de quelque chose qui a été vraiment important et significatif dans le passé du père.

[…] Il faut toute l’intuition de FREUD - et je pourrai peut-être vous indiquer tout à l’heure ce qu’il a dit en cette occasion - pour comprendre qu’il y a là des éléments absolument essentiels du déclenchement de la névrose obsessionnelle. 

Auteur: Lacan Jacques

Info: Le mythe individuel du névrosé

[ psychanalyse ] [ étude de cas ] [ insertion dans la chaîne signifiante ] [ symptôme ]

 

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partisanerie

Il y a [...] l'intellectuel de gauche et l'intellectuel de droite.

Je voudrais vous donner des formules qui, pour tranchantes qu'elles puissent paraître au premier abord, peuvent tout de même nous servir à éclairer le chemin.

Le terme de sot, de demeuré, qui est un terme assez joli pour lequel j'ai quelques penchants, tout ceci n'exprime qu'approximativement un certain quelque chose pour lequel je dois dire assurément la langue et la tradition, l'élaboration de la littérature anglaise, me paraît nous fournir un signifiant infiniment plus précieux.

Une tradition qui commence à Chaucer, mais qui s'épanouit pleinement dans le théâtre du temps d'Elisabeth ; qu'une tradition dis-je nous permette de centrer autour du terme de fool -- le fool est effectivement un innocent, un demeuré, mais par sa bouche sortent des vérités qui ne sont pas seulement tolérées, que parce que ce fool est quelquefois revêtu, désigné, imparti, des fonctions du bouffon.

Cette sorte d'ombre heureuse, de foolery fondamentale, voilà ce qui fait à mes yeux le prix de l'intellectuel de gauche.

À quoi j'opposerai [...] un terme employé d'une façon conjuguée [...] c'est le terme de knave.

Le knave, c'est-à-dire quelque chose qui se traduit à un certain niveau de son emploi par le valet, est quelque chose qui va plus loin.

Ce n'est pas non plus le cynique, avec ce que cette position comporte d'héroïque.

C'est à proprement parler ce que Stendhal appelle le coquin fieffé, c'est-à-dire après tout Monsieur Tout-le-Monde, mais Monsieur Tout-le-Monde avec plus ou moins de décision.

Et chacun sait qu'une certaine façon même de se présenter qui fait partie de l'idéologie de l'intellectuel de droite est très précisément de se poser pour ce qu'il est effectivement, un knave.

Autrement dit, à ne pas reculer devant les conséquences de ce qu'on appelle le réalisme, c'est-à-dire, quand il le faut, de s'avouer être une canaille.

Le résultat de ceci n'a d'intérêt que si l'on considère les choses au résultat.

Après tout, une canaille vaut bien un sot, au moins pour l'amusement, si le résultat de la constitution des canailles en troupe n'aboutissait infailliblement à une sottise collective.

C'est ce qui rend si désespérante en politique l'idéologie de droite.

Observons que nous sommes sur le plan de l'analyse de l'intellectuel et des groupes articulés comme tels.

Mais ce qu'on ne voit pas assez, c'est que par un curieux effet de chiasme, la foolery, autrement dit ce côté d'ombre heureuse qui donne le style individuel de l'intellectuel de gauche, aboutit elle fort bien à une knavery de groupe, autrement dit, à une canaillerie collective. [...]

Ce qui me fait le plus jouir, je l'avoue, c'est la face de la canaillerie collective.

Autrement dit, cette rouerie innocente, voire cette tranquille impudence qui leur fait exprimer tant de vérités héroïques sans vouloir en payer le prix.

Grâce à quoi ce qui est affirmé comme l'horreur de Mammon à la première page se finit à la dernière dans les ronronnements de tendresse pour le même Mammon.

Ce que j'ai voulu ici souligner, c'est que Freud n'est peut-être point un bon père, mais en tous cas, il n'était ni une canaille, ni un imbécile.

C'est pourquoi nous nous trouvons devant lui devant cette position déconcertante qu'on puisse en dire également ces deux choses déconcertantes dans leur lien et leur opposition : il était humanitaire, qui le contestera à pointer ses écrits, il l'était et il le reste, et nous devons en tenir compte, si discrédité que soit par la canaille de droite ce terme.

Mais d'un autre côté, il n'était point un demeuré, de sorte qu'on peut dire également, et ici nous avons les textes, qu'il n'était pas progressiste. Je regrette, mais c’est un fait, FREUD n’était progressiste à aucun degré, et il y a même des choses en ce sens chez lui extraordinairement scandaleuses. Le peu d’optimisme manifesté - je ne veux pas insister lourdement - sur les perspectives ouvertes par les masses est quelque chose qui, sous la plume d’un de nos guides, a quelque chose sûrement de bien fait pour heurter.

Auteur: Lacan Jacques

Info: L’éthique de la psychanalyse - 23 mars 1960

[ retour du refoulé ] [ hommage ] [ gauche-droite ] [ bêtise réductrice ]

 
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pulsion de mort

Au moment où je vous parle du paradoxe du désir, en ce qu’il consiste, en ce que les biens le masquent, vous pouvez entendre dehors les discours effroyables de la puissance. Il n’y a pas à se demander s’ils sont sincères ou hypocrites, s’ils veulent la paix, s’ils calculent les risques. S’il y a une impression, dans un pareil moment, qui domine, c’est bien celle de ce qui peut passer pour un bien prescriptible.

L’information servira d’appel, de capture pour les foules impuissantes auxquelles on la déverse comme une liqueur qui étourdit, au moment où elles glisseront vers l’abattoir. On en est à se demander si on oserait faire éclater le cataclysme, si d’abord on ne lâchait pas bride à ce grand bruit de voix.

Υ a-t-il plus consternant que cet écho répercuté dans ces petits appareils dont nous sommes tous pourvus, de ce qu’on appelle une conférence de presse ? À savoir ces questions stupidement répétées, auxquelles le leader répond avec une fausse aisance, appelant des questions plus intéressantes, et se permettant à l’occasion de faire de l’esprit. Hier, il y en a un, je ne sais où, à Paris ou à Bruxelles, qui nous a parlé de "lendemains qui déchantent". C’est drôle !

Il ne vous semble pas que la seule façon d’accommoder votre oreille à ce qui a retenti, ne peut se formuler que sous la forme : Qu’est-ce que ça veut ? Où est-ce que ça veut en venir ? Cependant, chacun s’endort avec le mol oreiller de "Ça n’est pas possible", alors qu’il n’y a rien de plus possible. Que c’est même cela par excellence le possible. Que le domaine du possible, que l’homme vise dans le possible, c’est pour que cela soit possible. Cela est possible parce que le possible, c’est ce qui peut répondre à la demande de l’homme et que l’homme ne sait pas ce qu’il met en mouvement avec sa demande.

[…]

C’est bien le moment - le moment où ces choses sont là possibles, possibles et pourtant enveloppées d’une sorte d’interdit d’y penser - de vous faire remarquer la distance et la proximité qui lie ce possible avec ces textes extravagants, que j’ai pris cette année comme pivot d’une certaine démonstration, les textes de SADE, et de vous faire remarquer que si la lecture de ces textes et leur accumulation d’horreurs n’engendrent - ne disons pas à la longue, simplement à l’usage - chez nous qu’incrédulité et dégoût […], …c’est pour autant que pour nous y rentre l’arrière-plan de l’ἔρως [erôs] naturel, qu’en fin de compte tout rapport, toute relation imaginaire, voire réelle de la recherche propre au désir pervers n’est là que pour nous suggérer l’impuissance du désir naturel, du désir de nature des sens à aller bien loin dans ce sens. C’est lui qui sur ce chemin, cède vite et cède le premier.

[…]

Assurément, il faut bien que le fil de la méthode nous manque pour qu’après tout, nous voyions que tout ce qui a pu, scientifique et littéraire, être élucubré dans ce sens est depuis longtemps dépassé d’avance et radicalement périmé par les élucubrations, de ce qui n’était après tout qu’un petit hobereau de province [Sade] manifestant un exemplaire social de la décomposition du type de noble, au moment où allaient être radicalement abolis ces privilèges.

Il n’en reste pas moins que toute cette formidable élucubration d’horreurs, devant lesquelles non seulement les sens et la possibilité humaine mais l’imagination fléchissent, ne sont strictement rien auprès de ce qui se passera, se verra, sera effectivement sous nos yeux à l’échelle collective si le grand, le réel déchaînement qui nous menace, éclate.

La seule différence qu’il y a entre l’exorbitance des descriptions de SADE et ce que représentera une telle catastrophe, c’est que dans la modification de la seconde ne sera entré aucun motif de plaisir. Ce n’est pas des pervers qui la déclencheront : ce sera des bureaucrates dont il n’est même pas question de savoir s’ils seront bien ou mal intentionnés. Ce sera déclenché sur ordre, et cela se perpétuera selon les règles, les rouages, les échelons qui obéiront, les volontés étant ployées, abolies, courbées vers une tâche qui perd ici son sens. [...] Cette tâche sera la résorption d’un insondable déchet.

Auteur: Lacan Jacques

Info: 18 mai 1960

[ discours capitaliste ] [ destruction ] [ totalitarisme ] [ actualité ] [ modernité ] [ inconscient ]

 

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philosophe

Il semble tout de même - pour essayer là-dessus de dire des choses - impossible de ne pas partir en prenant au pied de la lettre ce qui nous est attesté de la part de l’entourage de SOCRATE, et ceci encore à la veille de sa mort, qu’il est celui qui a dit que somme toute : nous ne saurions rien craindre d’une mort dont nous ne savons rien.

Et nommément nous ne savons pas, ajoute-t-il, si ce n’est pas une bonne chose. Évidemment, quand on lit ça... On est tellement habitué à ne lire dans les textes classiques que "bonnes paroles" qu’on n’y fait plus attention. Mais c’est frappant quand nous faisons résonner cela dans le contexte des derniers jours de SOCRATE, entouré de ses derniers fidèles, qu’il leur jette ce dernier "regard un peu en dessous" que PLATON photographie sur document - il n’y était pas ! - et qu’il appelle "ce regard de taureau". Et toute son attitude à son procès... Si l’Apologie de SOCRATE nous reproduit exactement ce qu’il a dit devant ses juges il est difficile de penser, à entendre sa défense, qu’il ne voulait pas expressément mourir. En tout cas il répudia expressément, et comme tel, tout pathétique de la situation, provoquant ainsi ses juges habitués aux supplications des accusés, rituelles, classiques.

Donc ce que je vise là en première approche de la nature énigmatique d’un désir de mort qui sans doute peut être retenu pour ambigu, c’est un homme qui aura mis, somme toute, soixante-dix ans à obtenir la satisfaction de ce désir, il est bien sûr qu’il ne saurait être pris au sens de la tendance au suicide, ni à l’échec, ni à aucun masochisme moral ou autre. Mais il est difficile de ne pas formuler ce minimum tragique lié au maintien d’un homme dans une zone de no man’s land, d’une entre-deux-morts en quelque sorte gratuite.

SOCRATE, vous le savez, quand NIETZSCHE en a fait la découverte, ça lui a monté à la tête : "La Naissance de la tragédie", et toute œuvre de NIETZSCHE à la suite, est sortie de là. Le ton dont je vous en parle doit bien marquer quelque personnelle impatience. On ne peut pas tout de même ne pas voir qu’incontestablement - NIETZSCHE là a mis le doigt dessus, il suffisait d’ouvrir à peu près un dialogue de PLATON au hasard - la profonde incompétence de SOCRATE chaque fois qu’il touche à ce sujet de la tragédie est quelque chose qui est tangible. Lisez dans le Gorgias. La tragédie passe là, exécutée en trois lignes, parmi les arts de la flatterie, une rhétorique comme une autre, rien de plus à en dire.

Nul tragique, nul "sentiment tragique" - comme on s’exprime de nos jours - ne soutient cette ἀτοπία [atopia] de SOCRATE. Seulement un "démon", le δαίμων [daimôn] - ne l’oublions pas, car il nous en parle sans cesse - qui l’hallucine, semble-t-il pour lui permettre de survivre dans cet espace, il l’avertit des trous où il pourrait tomber : "Ne fais pas cela...".

Et puis, en plus, un message d’un dieu - dont lui-même nous témoigne de la fonction qu’il a eue dans ce qu’on peut appeler une vocation - le dieu de Delphes : APOLLON, qu’un disciple à lui a eu l’idée, saugrenue il faut bien le dire, d’aller consulter. Et le dieu a répondu : 

"Il y a quelque sages. Il y en a un qui n’est pas mal : c’est EURIPIDE, mais le sage des sages, le fin du fin, le sacré, c’est SOCRATE". 

Et depuis ce jour-là, SOCRATE a dit : 

"Il faut que je réalise l’oracle du dieu, je ne savais pas que j’étais le plus sage, mais puisqu’il l’a dit, il faut que je le sois".

C’est exactement dans ces termes que SOCRATE nous présente le virage de ce qu’on peut appeler son "passage à la vie publique". 

C’est en somme un fou qui se croit au service commandé d’un dieu, un messie, et dans une société de bavards par-dessus le marché. Nul autre garant de la parole de l’Autre (avec le grand A) que cette parole même, il n’y a pas d’autre source de tragique que ce destin qui peut bien nous apparaître par un certain côté, être du néant. Avec tout ça, il est amené à rendre le terrain dont je vous parlais l’autre jour, le terrain de la reconquête du réel, de la conquête philosophique, c’est-à-dire scientifique, à rendre une bonne part du terrain aux dieux. 

Auteur: Lacan Jacques

Info: 21 décembre 1960

[ vocation ] [ caractère ]

 

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soigner

C’est dans la mesure où les exigences sociales sont conditionnées par l’apparition d’un homme servant les conditions d’un monde scientifique que, nanti de pouvoirs nouveaux d’investigation et de recherche, le médecin se trouve affronté à des problèmes nouveaux. Je veux dire que le médecin n’a plus rien de privilégié dans l’ordre de cette équipe de savants diversement spécialisés dans les différentes branches scientifiques. C’est de l’extérieur de sa fonction, nommément dans l’organisation industrielle, que lui sont fournis les moyens en même temps que les questions pour introduire les mesures de contrôle quantitatif, les graphiques, les échelles, les données statistiques par où s’établissent jusqu’à l’échelle microscopique les constantes biologiques et que s’instaure dans son domaine ce décollement de l’évidence de la réussite, qui est la condition de l’avènement des faits.

La collaboration médicale sera considérée comme la bienvenue pour programmer les opérations nécessaires à maintenir le fonctionnement de tel ou tel appareil de l’organisme humain, dans des conditions déterminées, mais après tout, en quoi cela a-t-il à faire avec ce que nous appellerons la position traditionnelle du médecin ?

Le médecin est requis dans la fonction du savant physiologiste mais il subit d’autres appels encore : le monde scientifique déverse entre ses mains le nombre infini de ce qu’il peut produire comme agents thérapeutiques nouveaux chimiques ou biologiques, qu’il met à la disposition du public et il demande au médecin, comme à un agent distributeur, de les mettre à l’épreuve. Où est la limite où le médecin doit agir et à quoi doit-il répondre ? A quelque chose qui s’appelle la demande ?

Je dirai que c’est dans la mesure de ce glissement, de cette évolution, qui change la position du médecin au regard de ceux qui s’adressent à lui, que vient à s’individualiser, à se spécifier, à se mettre rétroactivement en valeur, ce qu’il y a d’original dans cette demande au médecin. Ce développement scientifique inaugure et met de plus en plus au premier plan ce nouveau droit de l’homme à la santé, qui existe et se motive déjà dans une organisation mondiale. Dans la mesure où le registre du rapport médical à la santé se modifie, où cette sorte de pouvoir généralisé qu’est le pouvoir de la science, donne à tous la possibilité de venir demander au médecin son ticket de bienfait dans un but précis immédiat, nous voyons se dessiner l’originalité d’une dimension que j’appelle la demande. C’est dans le registre du mode de réponse à la demande du malade qu’est la chance de survie de la position proprement médicale.

Répondre que le malade vient vous demander la guérison n’est rien répondre du tout, car chaque fois que la tâche précise, qui est à accomplir d’urgence ne répond pas purement et simplement à une possibilité qui se trouve à portée de la main, mettons un appareillage chirurgical ou l’administration d’antibiotiques – et même dans ces cas il reste à savoir ce qui en résulte pour l’avenir – il y a hors du champ de ce qui est modifié par le bienfait thérapeutique quelque chose qui reste constant et tout médecin sait bien de quoi il s’agit.

Quand le malade est envoyé au médecin ou quand il l’aborde, ne dites pas qu’il en attend purement et simplement la guérison. Il met le médecin à l’épreuve de le sortir de sa condition de malade ce qui est tout à fait différent, car ceci peut impliquer qu’il est tout a fait attaché à l’idée de la conserver. Il vient parfois nous demander de l’authentifier comme malade, dans bien d’autres cas il vient, de la façon la plus manifeste, vous demander de le préserver dans sa maladie, de le traiter de la façon qui lui convient à lui, celle qui lui permettra de continuer d’être un malade bien installé dans sa maladie. Ai-je besoin d’évoquer mon expérience la plus récente : un formidable état de dépression anxieuse permanente, durant déjà depuis plus de 20 ans, le malade venait me trouver dans la terreur que je fis la moindre chose. À la seule proposition de me revoir 48 heures plus tard, déjà, la mère, redoutable, qui était pendant ce temps campée dans mon salon d’attente avait réussi à prendre des dispositions pour qu’il n’en fût rien.

Ceci est d’expérience banale, je ne l’évoque que pour vous rappeler la signification de la demande, dimension où s’exerce à proprement parler la fonction médicale, et pour introduire ce qui semble facile à toucher et pourtant n’a été sérieusement interrogé que dans mon école, – à savoir la structure de la faille qui existe entre la demande et le désir.

Auteur: Lacan Jacques

Info: Conférence et débat du Collège de Médecine à La Salpetrière : Cahiers du Collège de Médecine 1966, pp. 761 à 774

[ technostructure ] [ évolution ]

 

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structure psychologique

Il est bien certain que l’obsessionnel tend à détruire son objet. [...]

Comme l’expérience le montre bien, l’hystérique vit tout entière au niveau de l’Autre. L’accent pour elle, c’est d’être au niveau de l’Autre, et c’est pour cela qu’il lui faut un désir de l’Autre, car sans cela, l’Autre, que serait-il, si ce n’est la loi ? Le centre de gravité du mouvement constitutif de l’hystérique est d’abord au niveau de l’Autre. De même, [...] c’est la visée du désir comme tel, l’au-delà de la demande, qui est constitutive de l’obsessionnel. Mais avec une différence patente avec l’hystérique. [...]

Le jeune enfant qui deviendra un obsessionnel est ce jeune enfant dont les parents disent [...] il a des idées fixes. Il n’a pas des idées plus extraordinaires que n’importe quel autre enfant si nous nous arrêtons au matériel de sa demande. Il demandera une petite boîte. [...] Il y a certains enfants, entre tous les enfants, qui demandent des petites boîtes, et dont les parents trouvent que cette exigence de la petite boîte est à proprement parler intolérable – et elle est intolérable. [...]

Dans cette exigence très particulière qui se manifeste dans la façon dont l’enfant demande une petite boîte, ce qu’il y a d’intolérable pour l’Autre, et que les gens appellent approximativement l’idée fixe, c’est que ce n’est pas une demande comme les autres, mais qu’elle présente un caractère de condition absolue, qui est celui-là même que je vous désigne pour être propre au désir. [...] Le désir est forme absolue du besoin, du besoin passé à l’état de condition absolue, pour autant qu’il est au-delà de l’exigence inconditionnée de l’amour, dont à l’occasion il peut venir à l’épreuve.

Comme tel, le désir nie l’Autre comme tel, et c’est bien ce qui le rend, comme le désir de la petite boîte chez le jeune enfant, si intolérable.

[...] Quand je dis que l’hystérique va chercher son désir dans le désir de l’Autre, il s’agit du désir qu’elle attribue à l’Autre comme tel. Quand je dis que l’obsessionnel fait passer son désir avant tout, cela veut dire qu’il va le chercher dans un au-delà en le visant comme tel dans sa constitution de désir, c’est-à-dire pour autant que comme tel il détruit l’Autre. C’est là le secret de la contradiction profonde qu’il y a entre l’obsessionnel et son désir. [...]

Mais enfin, pour voir l’essentiel, que se passe-t-il quand l’obsessionnel, de temps en temps, prenant son courage à deux mains, se met à essayer de franchir la barrière de la demande, c’est-à-dire part à la recherche de l’objet de son désir ? D’abord, il ne le trouve pas facilement. [...] Mais beaucoup plus radicalement que tout cela, l’obsessionnel, en tant que son mouvement fondamental est dirigé vers le désir comme tel, et avant tout dans sa constitution de désir, est porté à viser ce que nous appelons la destruction de l’Autre.

Or, il est de la nature du désir comme tel de nécessiter le support de l’Autre. Le désir de l’Autre n’est pas une voie d’accès au désir du sujet, c’est la place tout court du désir, et tout mouvement chez l’obsessionnel vers son désir se heurte à une barrière qui est absolument tangible dans, si je puis dire, le mouvement de la libido. Dans la psychologie d’un obsessionnel, plus quelque chose joue de rôle de l’objet, fût-il momentané, du désir, plus la loi d’approche du sujet par rapport à cet objet se manifestera littéralement dans une baisse de tension libidinale. C’est au point qu’au moment où il le tient, cet objet de son désir, pour lui plus rien n’existe. [...]

Le problème pour l’obsessionnel est donc tout entier de donner un support à ce désir – qui pour lui conditionne la destruction de l’Autre, où le désir lui-même vient à disparaître. Il n’y a pas de grand Autre ici. Je ne dis pas que le grand Autre n’existe pas pour l’obsessionnel, je dis que, quand il s’agit de son désir, il n’y en a pas, et c’est pour cette raison qu’il est à la recherche de la seule chose qui, en dehors de ce point de repère, puisse maintenir à sa place ce désir en tant que tel. Tout le problème de l’obsessionnel est de trouver à son désir la seule chose qui puisse lui donner un semblant d’appui [...].

L’hystérique trouve l’appui de son désir dans l’identification à l’autre imaginaire. Ce qui en tient la place et la fonction chez l’obsessionnel, c’est un objet, qui est toujours – sous une forme voilée sans doute mais identifiable – réductible au signifiant phallus.

Auteur: Lacan Jacques

Info: Dans le "Séminaire, Livre V", "Les formations de l'inconscient (1957-1958)", éditions du Seuil, 1998, pages 401 à 403

[ définies ] [ différences ]

 

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astronomie

Et pour mettre là-dessus définitivement "le point sur les i", à savoir - ce que je vous ai indiqué - que ce n’est pas le géocentrisme soi-disant démantelé par le nommé "Chanoine KOPPERNIGK" [Copernic] qui est le plus important, et c’est même en ça que c’est assez faux, assez vain, de l’appeler une "révolution copernicienne". 

Parce que, si dans son livre Sur les révolutions des orbes célestes il nous montre une figure du système solaire qui ressemble à la nôtre, à celle qu’il y a sur les manuels aussi dans la classe de sixième, où l’on voit le soleil au milieu, et tous les astres qui tournent autour dans l’orbe, il faut dire que ce n’était pas du tout un schéma nouveau, en ceci que tout le monde savait au temps de COPERNIC - ce n’est pas nous qui l’avons découvert - que, dans l’Antiquité, il y avait un homme HÉRACLIDE, puis ARISTARQUE de Samos, lui assurément d’une façon tout à fait attestée, qui avaient fait le même schéma. 

La seule chose qui aurait pu faire de COPERNIC autre chose qu’un fantasme historique - car ce n’était pas autre chose - c’est si son système avait été, non pas plus près, de l’image que nous avons du système solaire réel, mais plus vrai. Et plus vrai, ça voudrait dire plus désencombré d’éléments imaginaires qui n’ont rien à faire avec la symbolisation moderne des astres, plus désencombré que le système de PTOLÉMÉE. Or il n’en est rien. Son système est aussi bourré d’épicycles. Et des épicycles, qu’est-ce que c’est ? C’est quelque chose d’inventé, et d’ailleurs personne ne pouvait croire à la réalité des épicycles !

Ne vous imaginez pas qu’ils étaient assez bêtes pour penser qu’ils verraient, comme ce que vous voyez quand vous ouvrez votre montre : une série de petites roues. Mais il y avait cette idée que le seul mouvement parfait qu’on pouvait imaginer concevable était le mouvement circulaire. Tout ce qu’on voyait dans le ciel était vachement dur à interpréter, car comme vous le savez, ces petites planètes errantes se livraient à toutes sortes d’entourloupettes irrégulières entre elles, dont il s’agissait d’expliquer les zigzags. On n’était satisfait que quand chacun des éléments de leur circuit, pouvait être ramené à un mouvement circulaire.

[…] Ce qu’il faudrait que vous lisiez pendant ces vacances, et vous allez voir que c’est possible, pour votre plaisir, c’est à savoir comment KÉPLER arrive à donner la première saisie qu’ont ait eue de quelque chose qui est ce en quoi consiste véritablement la date de naissance de la physique moderne. Il y arrive en partant des éléments dans PLATON du même Timée dont je vais vous parler, c’est à savoir d’une conception purement imaginaire, avec l’accent qu’a ce terme dans le vocabulaire dont je me sers avec vous, de l’univers entièrement réglé sur les propriétés de la sphère articulée comme telle : comme étant la forme qui porte en soi les vertus de suffisance qui font qu’elle peut essentiellement combiner en elle l’éternité de la même place avec le mouvement éternel. 

C’est autour de spéculations, d’ailleurs raffinées, de cette espèce qu’il y arrive, puisqu’il y fait entrer à notre stupeur, les cinq solides - comme vous savez il n’y en a que cinq - parfaits inscriptibles dans la sphère. En partant de cette vieille spéculation platonicienne, déjà trente fois déplacée, mais qui déjà revenait au jour, à ce tournant de la Renaissance, et de la réintégration dans la tradition occidentale des manuscrits platoniciens, qui littéralement monte à la tête de ce personnage, dont la vie personnelle, croyez-moi, dans ce contexte de la révolution des paysans, puis de la guerre de Trente Ans, est quelque chose de gratiné et auquel, vous allez voir, je vais vous donner le moyen de vous reporter : ledit KEPLER, à la recherche de ces harmonies célestes, et par un prodige de ténacité - on voit vraiment le jeu de cache-cache de la formation inconsciente - arrive à donner la première saisie qu’on ait eue de quelque chose qui est ce en quoi consiste véritablement la date de naissance de la science physique moderne.

En cherchant "un rapport harmonique", il arrive à ce rapport de la vitesse de la planète sur son orbe à l’aire de la surface couverte par la ligne qui relie la planète au soleil. C’est-à-dire qu’il s’aperçoit du même coup que les orbites planétaires sont des ellipses.

[…] Si génial que fût GALILÉE, dans son invention de ce qu’on peut vraiment appeler la dynamique moderne, à savoir d’avoir trouvé la loi exacte de la chute des corps, ce qui était un pas essentiel, et bien entendu, malgré que ce soit sur cette affaire de géocentrisme qu’il ait eu tous ses embêtements, il n’en reste pas moins que GALILÉE était là, aussi retardataire, aussi réactionnaire, aussi collant à l’idée du mouvement circulaire parfait - donc seul possible pour les corps célestes - que les autres. Pour tout dire, GALILÉE n’avait même pas franchi ce que nous appelons la révolution copernicienne dont nous savons qu’elle n’est pas de COPERNIC. Vous voyez donc le temps que mettent les vérités à se frayer le chemin en présence d’un préjugé aussi solide que la perfection du mouvement circulaire.

Auteur: Lacan Jacques

Info: 21 décembre 1960

[ historique ] [ progrès symbolique ] [ impasses ] [ héliocentrisme ]

 
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