amour-propre

Il est de la nature du bien en somme d’être altruiste. Mais ce que FREUD ici nous fait sentir, c’est que ce n’est pas là l’amour du prochain. Il ne l’articule pas pleinement, mais nous allons essayer - sans rien forcer - de le faire à sa place, et uniquement sur ce fondement qui fait qu’à chaque fois qu’il s’arrête, comme horrifié devant la conséquence du commandement de l’amour du prochain, ce qui surgit, c’est la présence de cette méchanceté foncière qui habite en ce prochain, mais dès lors aussi en moi-même, car qu’est-ce qui m’est plus prochain que ce cœur en moi-même qui est celui de ma jouissance, dont je n’ose pas approcher ?

Car dès que j’en approche - c’est là le sens du Malaise dans la civilisation - surgit cette insondable agressivité devant quoi je recule, c’est-à-dire, nous dit FREUD, que je retourne contre moi, et qui vient donner son poids, à la place de la loi même évanouie, à ce qui arrête, à ce qui m’empêche de franchir une certaine frontière à la limite de la Chose. Tant qu’il s’agit du bien il n’y a pas de problème, parce que ce qu’on appelle le bien, le nôtre et celui de l’autre, ils sont de la même étoffe. Tant qu’il s’agit du bien il n’y a pas de problème, parce que ce qu’on appelle le bien, le nôtre et celui de l’autre, ils sont de la même étoffe. Saint MARTIN partage son manteau et on en a fait une grande affaire, mais enfin tout de même c’est une simple question d’approvisionnement. L’étoffe est faite pour être écoulée de sa nature, elle appartient à l’autre autant qu’à moi. Sans doute, nous touchons là un terme primitif de besoin qu’il y a à satisfaire.

Le mendiant est nu, mais peut-être au-delà de ce besoin de se vêtir mendiait-il autre chose, que Saint MARTIN le tue, ou le baise. C’est une tout autre question de savoir ce que signifie, dans une rencontre, la réponse, non pas de la bienfaisance, mais de l’amour. Il est de la nature de l’utile, d’être utilisé. Si je puis faire quelque chose en moins de temps et de peine que quelqu’un qui est à ma portée, par tendance je serai porté à le faire à sa place, moyennant quoi je me damne de ce que j’ai à faire pour ce "plus prochain des prochains" qui est en moi. Je me damne pour assurer à celui à qui cela coûterait plus de temps et de peine qu’à moi, quoi ? Un confort qui ne vaut que pour autant que j’imagine que, si moi, j’avais ce confort, c’est-à-dire pas trop de travail, je ferais de ce loisir le meilleur usage. Mais ça n’est pas du tout prouvé que je saurais le faire ce meilleur usage si j’avais tout pouvoir pour me satisfaire. Je ne saurais peut-être que m’ennuyer.

Dès lors, en procurant aux autres ce pouvoir, peut-être simplement que je les égare. J’imagine leurs difficultés, leur douleur au miroir des miennes. Ça n’est certes pas l’imagination qui me manque, c’est plutôt le sentiment, à savoir ce qu’on pourrait appeler cette voie difficile, l’amour du prochain.

Auteur: Lacan Jacques

Info: 23 mars 1960

[ das ding ] [ deuxième ] [ inconscient ] [ ignorance ] [ répugnance ]

 

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