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art de conter

Un spécialiste américain de l’histoire de la littérature donnait récemment les quatre raisons pour lesquelles le roman est menacé de disparaître : 1° les romanciers ne croient plus au chef-d’œuvre ; 2° l’affairisme éditorial a remplacé le monde littéraire ; 3° la littérature n’est plus une forme de connaissance originale (le romancier ne me dit plus que ce que j’ai déjà lu dans un journal ou vu à la télé) ; 4° les livres sont écrits pour appartenir au journalisme et non plus à la littérature. Il faudrait y ajouter, à mon avis, la nouvelle injonction, diffuse et en même temps implacable, d’approuver partout un monde qui se prétend idéal puisqu’il veut le bien de tous, et qui ne saurait tolérer le moindre manquement de respect à son égard. 

Auteur: Muray Philippe

Info: Dans "Exorcismes spirituels, tome 2 : Mutins de Panurge", éd. Les Belles lettres, Paris, 1998, pages 38-39

[ repliement ] [ involution ] [ écriture ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

réforme du langage

Mais ne voit-on pas, ces temps-ci, s’affirmer une nouvelle généradation de feremmes qui, avec le sourire, cumulent vie professionnelle et vie faramiliale ? Et refusent avec une belle énergie, même et surtout lorsqu’elles occupent des postes à hautes responsabilités, de renoncer à ce qui demeure l’essentiel à leurs yeux, à savoir leur désédir d’enfandants ? Au nom de quoi, d’ailleurs, le feraient-elles ? On se le deremande. Et pourquoi se priveraient-elles du bonheur d’avoir une petite fidille, ou un petit gamarçon, ou encore l’autre et l’un, puis de les voir grandir, devenir à leur tour des adultutes qui se mariaderont eux aussi, feront de beaux voyagades à travers le mondonde, iront en week-end d’amoutareux à Amsterdadam, à Lisbobonne, et tenteront de chercher ensemble, par-delà tous les écueils, l’harmonadie conjugadale ?

Auteur: Muray Philippe

Info: Dans "Exorcismes spirituels, tome 3", Les Belles Lettres, Paris, 2002, pages 360-361

[ transfiguration du monde par les mots ] [ infantilisation généralisée ] [ ironie ] [ ludiques néologismes ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

politique

Si la gauche a encore l'air de mieux tenir le coup, c'est que ses principes fondamentaux et sentimentaux cadrent plus étroitement avec le programme hyperfestif; mais elle aussi s'affole : elle sait bien que sans la droite, sans l'ersatz de droite qui la fait exister en tant qu'ersatz de gauche, elle n'est plus grand-chose; et que la rupture d'équilibre peut être dramatique également pour elle. Va-t-elle même encore être longtemps "la gauche" sans son vieux complice de bonneteau? Elle a déjà tout oublié de son essence négatrice, jadis basée sur des hostilités de classes, au profit d'une inflation de morale et de vertuisme sans précédent. Elle a remplacé le matérialisme dialectique par la pratique du bien et substitué à la dictature du prolétariat le terrorisme des "valeurs".

Auteur: Muray Philippe

Info: Après l'histoire

[ gaule ] [ contraste ] [ bipolarité ] [ déclin ]

 

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écriture

[...] on ne voit pas que la graphomanie formidable qui envahit la société est la conséquence de la disparition de quelques vestiges de la vie historique, et notamment de la littérature du passé en tant que contrainte, intimidation, inhibition. Il faudrait distinguer la littérature d’empêchement et la littérature d’encouragement. Balzac, c’est de la littérature d’empêchement. Angot [...], c’est de la littérature d’encouragement : c’est-à-dire que n’importe qui, devant un paragraphe d’Angot, se sent immédiatement capable d’être aussi stupide, fou, obsédé, pas drôle, etc. : il suffit de s’asseoir devant son écran et d’imiter les chimpanzés dactylographes de la légende, ce n’est pas plus difficile que cela. Les néo-auteurs, pas le moins du monde intimidés, exercent leur droit à écrire comme s’il s’agissait d’un droit de l’homme.

Auteur: Muray Philippe

Info: Dans "Exorcismes spirituels, tome 4", Les Belles Lettres, Paris, 2010, page 1463

[ non-démocratique ] [ réserve ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

fascination

Voilà ce qu’il fait toute sa vie Nerval, au fond : il se constitue un avoir. Un patrimoine. C’est un capitaliste du nécrophile. Il déchaîne l’inflation de ses ancêtres. Avant les banques de données et les banques du sperme, il y a les banques des morts et c’est d’ailleurs la même chose. L’étrange n’est pas que l’on soit hanté. L’étrange est que cette hantise devienne un objet de désir. Le seul peut-être véritable objet de désir de l’espèce contemporaine. L’étrange est que l’on soi charmé par les charmes et les magies. Qu’on les veuille. Qu’on en redemande jusqu’à en mourir. Que la mort soit devenue une valeur. Que les morts soient la valeur-or des transactions, la référence de tous les placements, des protocoles d’accord et des pactes sociaux.

Auteur: Muray Philippe

Info: Dans "Le 19e siècle à travers les âges", pages 402-403

[ généalogies ] [ filiation fantasmatique ]

 

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bâclage littéraire

Maintenant, si on se demande comment, refusant le monde et maudissant la vie, Céline aurait pu éviter de rendre certains hommes responsables de sa malédiction, on est forcé de répondre qu’il lui eût fallu, au moins, cesser de maudire l’écart transcendant ouvert par son langage. Je ne veux pas suggérer qu’il lui a manqué d’être, par exemple, chrétien. D’autres écrivains au XXe siècle ont pu atteindre une aussi insoutenable lucidité sans se précipiter, en retour, vers aucun garde-fou. On peut même définir l’écrivain comme celui qui, justement, n’est pas obligé d’avoir une religion, et sans doute est-il le seul de son espèce. Mais en se mêlant de la réforme du monde, en orchestrant la persécution, en se mettant en somme à croire aux hommes, Céline était-il encore écrivain ? 

Auteur: Muray Philippe

Info: Dans "Céline", éd. Gallimard, 2001, page 187

[ solution facile ] [ vide ] [ antisémitisme ] [ question ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

frustration

... Passion de la vengeance et de la punition. On devient moral, a écrit Proust quelque part, dès qu'on est malheureux. Phrase étonnante, phrase profonde en écho à laquelle on pourrait citer aussi Nietzsche citant Balzac: "Celui qui moralise ne fait en somme, comme disait Balzac, que montrer ses plaies sans pudeur."

Comment ne pas s'acharner à montrer ses plaies, comme autant d'appels à une punition généralisée? Comment ne pas moraliser, même quand on est malheureux? D'où vient que la vertu ostentatoire apparaisse automatiquement si proche du ressentiment; et que, devant toute position morose et moralisante, remonte dans notre souvenir l'exclamation de Zarathoustra: "Hélas! que ce mot "vertu" est déplaisant quand il coule de leur bouche! Et quand ils disent: "je suis juste", cela sonne toujours comme: "je suis vengé!"

Auteur: Muray Philippe

Info: Essais

[ rancoeur ] [ révélatrices ]

 

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disneyland

Oh ! je ne me fais pas de soucis pour la Souris sacrée : son Royaume est de ce monde et elle aura un succès fou, c’est tout vu. Par cohortes, les détraqués viennent prendre un avant-goût du Cauchemar à thèmes. On se bouscule dans la boutique, on s’arrache les pin’s […], les peluches, les blousons et les autres gris-gris équipés des deux oreilles noires obsessionnelles. D’ailleurs, le voilà, justement : Mickey ! Là-bas ! C’est lui, sur le terre-plein, en chair et en peluche, envoyant des baisers à la foule en liesse ! Qu’est-ce que ça lui fait, au type ainsi accoutré, d’être un dessin incarné ? Quelle peut bien être sa vision du monde, derrière les hublots fumés de ce masque d’hydrocéphale, tandis que montent vers lui des cris d’enfants comblés ?

Auteur: Muray Philippe

Info: Dans "Exorcismes spirituels I - Rejet de greffe", page 324

[ folie collective ] [ entertainment ]

 

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physionomie

Je regarde les portraits, les photos de la femme la plus importante du 19e siècle. Ses yeux bleu vitreux poussés en avant comme des boules de verre pilé droit sur l’objectif. La cible hypnotisée au milieu d’un visage rose aride de reine Victoria. Le ballonnement de ses joues transparentes. On dirait une anamorphose dilatée ou une érection de papesse. On sent à quel point elle sait qu’elle a réussi sa vie depuis les caves où elle est restée tout en voyageant tellement. Elle sait que l’avenir lui appartient, tout son projet élaboré par la seule perversion vraiment indépassable. Elle est comme une Régente phosphorescente de Frans Hals. Elle tient les livres de comptes de l’hospice universel des illusions. Elle pince sa bouche fixe sur le secret de son imposture méticuleuse, c’est une exploratrice courageuse des enfers.

Auteur: Muray Philippe

Info: A propos de Helena Petrovna Blavatski, dans "Le 19e siècle à travers les âges", pages 164-165

[ caricature ] [ triomphe ] [ occultisme ]

 
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pensée unique

Voyage [au bout de la nuit] est bien autre chose qu’un passage en revue des facteurs d’écrasement socio-politiques de la première moitié du XXe siècle. Soixante ans plus tard, si les puissances intégratrices et fédératrices ont changé de nom, si elles ne s’appellent plus (ou plus seulement) Patrie, Religion, Travail à la chaîne, mais Santé obligatoire, Droits de l’homme, Marché, Culture, Political correctness, et j’en passe, comme leurs sœurs aînées, mais par des moyens entièrement nouveaux, sous couvert d’un langage inédit, par le biais d’un vocabulaire libéral, métisseur, tolérant, ouvert et d’une efficacité sans précédent, elles ont toujours la même mission, elles conspirent toujours, et plus que jamais, dans le même but : celui de refouler ce qui garantit à l’individu une vie intérieure, une liberté et finalement un minimum d’individualité, une toute petite respiration dérisoire : sa négativité.

Auteur: Muray Philippe

Info: Dans "Exorcismes spirituels, tome 2 : Mutins de Panurge", éd. Les Belles lettres, Paris, 1998, pages 112-113

[ collectivisme ] [ actualité ] [ prolongement historique ]

 

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