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révélation religieuse

L’activité de l’intelligence, en effet, est par nature universelle – ou tend à l’universel. Penser, c’est toujours penser, d’une manière ou d’une autre, l’essence des choses. C’est aussi, et en conséquence, saisir leur nécessité, ou leur raison d’être : le réel devient intelligible dans la mesure où nous voyons pourquoi il est ce qu’il est. Or la métaphysique, en tant qu’activité spéculative, est œuvre de l’intelligence, même si, comme nous le verrons, son origine est divine. En elle, l’intelligence doit s’assimiler le discours théorique. Elle n’est pas œuvre de "croyance".

Une tradition, au contraire, est toujours quelque chose de déterminé et particulier, de contingent. […] Sans doute, ces faits sont-ils porteurs d’intelligibilité mais, en tant que faits, ils peuvent seulement être l’objet d’une constatation, de la part de ceux qui en ont été les témoins, ou d’une foi, de la part de ceux qui adhèrent au témoignage des précédents. Ils se situent, irréductiblement, sur le plan de la particularité – et même de la singularité – culturelle. […]

On voit par-là que métaphysique et tradition appartiennent à deux ordres de réalité différents et qui s’opposent par bien des points. Dans ces conditions, quel sens peut avoir l’expression de métaphysique traditionnelle ? N’est-ce pas une contradiction in terminis ? […]

Pour résoudre cette antinomie, la première idée qui vient à l’esprit, c’est d’affirmer qu’il existe des traditions métaphysiques. Ce serait en particulier le cas de l’hindouisme qui jouirait ainsi, aux yeux de Guénon, d’une "prééminence de gnose" sur les autres révélations. Cela signifie très exactement ceci : la tradition hindoue renferme une doctrine métaphysique explicite d’origine divine. […] Il en résulterait que, la métaphysique hindoue étant révélée, d’une part, et que, comme il y a, d’autre part, une unité de toutes les religions, nous disposerions du même coup d’un instrument doctrinal infaillible qui nous permettrait de parler universellement de toutes les formes particulières que le sacré a revêtues dans l’histoire humaine. Mais en réalité, les textes purement métaphysiques sont, dans l’immensité de la littérature religieuse de l’Inde, très peu nombreux.

Il n’y a donc aucune supériorité, à cet égard, des Ecritures hindoues sur les Ecritures judéo-chrétiennes. […]

Toutes les écritures sacrées renferment des énoncés proprement métaphysiques – et non pas seulement historiques ou mythologiques – mais ces énoncés ne révèlent leur véritable nature que sous la lumière d’une herméneutique doctrinale. Ce sont les commentateurs métaphysiciens qui "isolent" ces perles de gnose contenues implicitement dans les révélations et en "actualisent" pour ainsi dire la vraie dimension.

Auteur: Borella Jean

Info: L'intelligence et la foi, L'Harmattant, Paris, 2018, pages 17 à 20

[ interprétation ] [ relation ]

 

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intellect

Le mot de gnose, décalque du grec gnôsis, signifie connaissance. S’il est utile de l’employer, c’est parce qu’il ne s’agit pas d’une connaissance ordinaire, mais d’une connaissance sacrée, et non seulement elle est sacrée dans son objet qui est la divine Essence, mais elle l’est aussi dans son "mode" qui est une participation à la connaissance que Dieu a de lui-même. Le terme cependant sert aussi à caractériser une hérésie des premiers siècles du christianisme qui est, en vérité, un angélisme, et à laquelle il conviendrait de réserver proprement la dénomination de gnosticisme. Ce gnosticisme se définit par deux traits essentiels : le refus de la création et de l’Incarnation d’une part, et d’autre part, la prétention de réduire la Vérité et sa Révélation à des schémas mentaux en perdant de vue sa dimension irréductiblement surintelligible. […] L’hérésie du gnosticisme a au moins réussi à convaincre ses adversaires qu’il n’y avait qu’une seule gnose, la sienne. Dès lors, la gnose, dans le christianisme, est frappée de suspicion : elle devient le péché majeur de l’intelligence. La conséquence d’un tel rejet sera terrible. Comme on refuse toute connaissance mystique de Dieu, on ramène la théologie à une connaissance purement rationnelle. Cette connaissance étant humaine et naturelle dans son mode, même si elle est divine dans son objet, on en arrive à ne voir en elle qu’un exercice profane qui ne se distingue pas de la spéculation philosophique, et qui est finalement inutile au salut. C’est la réaction luthérienne. Enfin, cette connaissance inutile sera même réputée comme dangereuse et aliénante : seul compte l’existentiel chrétien ; c’est l’hérésie bultmannienne qui fait de l’existentiel le critère à la fois de l’herméneutique et de la théologie, c’est-à-dire de l’interprétation des Ecritures et de l’élaboration doctrinale. La praxis devient le critère de la theôria, si bien que la theôria n’est plus qu’une doctrine de la bonne praxis, une orthopraxis, selon l’expression de certains modernistes. […] On a oublié qu’il existait une autre connaissance qui n’est pas ratiocination, mais un connaître qui peut être aussi un être par la grâce du Logos, savoir, la gnose que le Saint-Esprit actualise en nous et qui est le fondement interne de la sainte théologie.

[…] la théologie spéculative (ou scolastique), loin de s’opposer à la théologie mystique (ou gnose) permet d’y accéder, parce que, satisfaisant le besoin de causalité de la raison humaine, elle fixe et apaise le mental humain, et […], par son imperfection même, elle appelle à son propre dépassement, invitant la raison à se soumettre à l’intelligence spirituelle.

Auteur: Borella Jean

Info: Amour et vérité, L’Harmattan, 2011, Paris, pages 335-336

[ définition ] [ signification ] [ déviations ]

 

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rationalité

Le croyant est en effet placé entre deux impossibilités : impossibilité de croire au Dieu de la Révélation traditionnelle, impossibilité de croire au "Dieu des philosophes et des savants". Car, et c'est là la première et la plus définitive victoire du rationalisme physiciste, le croyant lui-même adhère suffisamment à la philosophie nouvelle pour se convaincre que le Dieu anthropomorphe ou cosmique de la lettre des Écritures n'est plus recevable en sa créance. Pour l'admettre, il lui faudrait précisément une autre philosophie, une métaphysique des degrés de réalité, à laquelle il a justement renoncé. Désormais la philosophie, c'est-à-dire la connaissance intelligible et synthétique, a définitivement déserté l'ordre du sacré et du religieux, et il doit être suffisamment évident que ce divorce ne peut être que mortel, mortel sans doute pour le religieux, mortel aussi pour le philosophe, nous le montrerons. Mais le croyant peut-il pour autant adhérer au "Dieu des philosophes et des savants" ? Certainement pas. Non pas, comme on le dit trop souvent, parce que sa foi exclurait la science : la foi abrahamique, juive, chrétienne, islamique, s'est parfaitement accommodée du Dieu de Platon et d'Aristote, pendant de nombreux siècles. Mais le "Dieu des philosophes et des savants", c'est le Dieu construit par une certaine philosophie et une certaine science, contre le Dieu des Écritures, dont la raison scientifique a montré l'impossibilité. La philosophie naturelle de Galilée ayant ruiné le fondement ontologique du symbolisme traditionnel, il ne lui reste plus qu'à élaborer, en lieu et place, un autre Dieu du cosmos : Dieu-Horloger, Mécanicien céleste que l'on réduit à la condition de cause première. Ce théisme abstrait n'est pas contraire à la raison. Il se présente même à elle comme la seule solution possible. Mais sa négation ou sa réfutation s'accorde également, quoique d'une autre manière, avec les exigences de la logique. La foi ne peut donc y trouver l'absolu dont elle a besoin. C'est pourquoi elle se sent profondément étrangère à ce Dieu rationnel et se réclame d'un autre Dieu, celui d'Abraham, d'Isaac, et de Jacob. Ce faisant, elle renonce à l'intellectualité sacrée, elle entérine le partage du champ théologique que la nouvelle philosophie religieuse a établi, et paraît même revendiquer pour elle l'obscurité de son engagement. Car le Dieu d'Abraham, c'est celui qui s'adresse à notre personne, Dieu de notre existence et de notre vie, qui parle, non pour enseigner la nature des choses, mais pour susciter notre liberté. Le Dieu du cosmos est rejeté, soit dans l'imaginaire d'une mythologie à jamais disparue, soit dans l'aliénation théoricienne d'une mensongère conceptualisation du divin. Penser Dieu, c'est le soumettre aux catégories de l'entendement, c'est nier son irréductible présence existentielle.

Auteur: Borella Jean

Info: La crise du symbolisme religieux, 1re partie, ch. II, art. 3, sect. 4, pp. 114-115, éd. L'Âge d'Homme, 1990

[ modernité ] [ intuition intellectuelle ]

 
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philosophie antique

Il n’y a pas, chez Platon, d’analyse du processus cognitif : ce qui importe, pour lui, c’est de savoir si ce que l’on connaît est vraiment réel. Aristote, au contraire, analyse, magistralement, l’acte de connaissance. Il y voit un processus d’abstraction : la forme intelligible est abstraite, dégagée de la chose connue, par l’intelligence, et vient s’imprimer dans notre esprit qu’elle informe. C’est par la médiation de cette forme, abstraite de la chose, c’est-à-dire par le concept, que nous connaissons la chose, alors que chez Platon la connaissance véritable est au fond une participation intuitive de l’intelligence à l’essence de l’objet connu. 

[conséquences de l'intégration de la noétique aristotélicienne au Moyen Age]

D’une part, s’accentuant et se durcissant au cours du temps, en dépit de l’admirable équilibre de la synthèse thomasienne, la noétique aristotélicienne conduit, contre le vœu de ses partisans, à la réaction nominaliste – dont la préservait son platonisme implicite (celui de la forme intelligible et de l’intellect agent) : puisque nos concepts ne peuvent pas être des modes de participation aux essences (réellement existantes) des choses, cessons d’attribuer une réalité quelconque à leur contenu, et réduisons leur existence de concepts à celle des noms qui les désignent ; car seuls sont réellement existants les êtres individuels concrets (et donc, éventuellement, le Christ Jésus dans sa présence historique effective, ou dans sa présence extroardinaire et surnaturelle). D’autre part, cette noétique systématisée implique une sorte de laïcisation ou de profanisation de l’intelligence. En dégageant pour lui-même le processus que met en œuvre tout acte de connaissance et en le mettant au centre de la réflexion philosophique, on est amené à négliger la considération des degrés de connaissance et l’importance des distinctions qui les spécifient : du strict point de vue du fonctionnement de l’appareil cognitif, il n’y a en effet aucune différence apparente entre concevoir un triangle, un chat ou Dieu, sinon dans le mode d’abstraction. Il en résulte qu’a priori un parfait athée pourrait être parfait théologien, et que la théologie n’a rien de sacré, du moins quant aux opérations intellectuelles qu’elle requiert : comme l’affirme Luther, c’est un exercice entièrement profane. Enfin, et inversement, il devient difficile de qualifier d’intellectuel ce qui est proprement mystique et surnaturel, dans la mesure où l’activité intellectuelle se caractérise par l’emploi, dans la connaissance d’un objet, d’une médiation conceptuelle, alors que les plus hauts états mystiques – mais les théologiens ne sont pas tous d’accord – semblent exclure tout intermédiaire, et même les concepts. [...] Résumant les trois conséquences que nous venons de repérer, nous dirons que tout se passe comme si on était convié à procéder à une triple dichotomie : du connaître et de l’être, de la science et de la foi, de l’intelligence et de la prière.

Auteur: Borella Jean

Info: "Esotérisme guénonien et mystère chrétien", éditions l’Age d’Homme, Lausanne, 1997, pages 343-344

[ aristotélisme ] [ christianisme ]

 

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création conceptuelle

Le mot "théologie", qui apparaît pour la première fois chez Platon (République, II, 379a), signifie d’abord "parole sur le divin" (les poètes de la mythologie grecque sont appelés des "théologiens"). Aristote connaît cet emploi, mais inaugure un nouveau sens, celui de "science de Dieu", qui finira tardivement par s’imposer : au XIIe siècle, Abélard est le premier à l’employer en ce sens ; au XIIIe siècle, saint Thomas parle encore préférablement de "doctrine sacrée". Le mot "ontologie" est beaucoup plus récent. Il semble qu’il apparaisse pour la première fois en 1647, dans un ouvrage du philosophe allemand Johann Clauberg (1622-1665), en concurrence d’ailleurs avec le terme d’ "ontosophie" [comme science qui considère l’être en général] […]. Clauberg est un jésuite, disciple de Descartes, et qui, à travers lui, reçoit l’influence de Suarez. C’est en effet le jésuite espagnol Francisco Suarez (1548-1617) qui, "à la fin du XVIe siècle, sera le premier à redécouvrir cette assimilation prématurée de la science de l’universel et de la science du premier" [Aubenque, La question de Dieu chez Aristote et chez Hegel, 1991, page 265]. […] Avant Suarez, il y aurait eu, chez les médiévaux, une assimilation implicite entre la métaphysique, étude de l’être en tant qu’être, c’est-à-dire de l’être en général, et la théologie, étude de l’Être premier, c’est-à-dire de l’Être par excellence. C’est pourquoi, réduisant l’ontologie à la théologie, les médiévaux n’avaient pas besoin d’un terme particulier (en l’occurrence selon d’ontologie) pour désigner la science de l’être, puisque l’Etre premier est le principe de l’être en général […]. Au contraire, pour Suarez, saisir théologiquement l’Être premier n’est possible que sur la base de la notion commune d’être en général (Disputationes metaphysicae, I, 5, 15) – ce que nous accordons à condition de reconnaître que cette notion n’est elle-même possible que sur la base d’une intuition fontale de l’Etre en tant que tel, ou, si l’on préfère, du sens inné de l’être, qui est le "souvenir" ou la trace subconsciente que l’acte créateur de Dieu a laissé dans notre âme.

Il s’ensuit de la position de Suarez que la science de Dieu, la théologie (philosophique) n’est pas première, mais qu’elle est précédée par la science de l’être en général, Dieu n’étant plus que le premier des êtres particuliers, si l’on ose dire. C’est la conscience explicite de cette distinction entre l’être en général et l’Etre premier que signale l’apparition du mot ontologie. […] Désormais, les traités de philosophie (scolastiques ou non), surtout à partir du leibnizien Christian Wolf (1679-1754), qui imposera l’usage du terme d’ontologie, auront tendance à diviser la métaphysique en deux parties : la "métaphysique générale" ou "ontologie" et la "métaphysique spéciale" qui, sous l’appellation de "théologie rationnelle" ou "théodicée", s’occupera de cet Être spécial qu’est l’Être divin.

Auteur: Borella Jean

Info: Penser l'analogie, L'Harmattan, Paris, 2012, pages 44-45

[ historique ] [ étymologie ] [ sécularisation ]

 

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hérésie chrétienne

Le défi que les Frères du Libre Esprit lancent à la voie chrétienne de l’intériorité [...] concerne en dernier ressort la dualité créé-Incréé, sur le plan de laquelle se situe l’exotériste pieux. Celui-ci croit se garantir contre les horreurs de ce qu’on appellera plus tard le panthéisme et les déviations morales qu’il entraîne, en posant une distinction ontologiquement radicale entre le Créateur et la créature. Mais cette garantie se révèle à l’examen moins efficace que ne le croit une théologie un peu sommaire. Car voici l’objection : si Dieu est l’être absolu et infini, comment pourra-t-il exister en dehors de Lui un autre être ? Un tel être, non-divin, constituerait en effet, pour l’Être infini, une limitation ; ce qui est contradictoire. Ne faut-il pas alors conclure, ou que la créature n’existe pas – ce qui est impossible – ou que son être est l’Être même de Dieu ? Quand cette conclusion théorique se transforme en prise de conscience effective, estime l’adepte du "libre Esprit", l’âme accède à la "gnose" libératrice de sa nature divine. Pour elle, Dieu est mort en tant qu’idole morale et conceptuelle : elle est vraiment délivrée et tout lui est permis.

La réponse qu’apporte la Theologia teutsch à ce défi radical nous paraît d’une grande profondeur et doit être écoutée attentivement. [...]

Si l’on identifie la créature au Créateur (en quoi consiste le panthéisme), ne risque-t-on pas de tomber dans l’athéisme pur et simple ? Et, si l’on nie la réalité de l’infini divin, qu’en est-il alors de la liberté de l’Esprit ? Seule subsiste la finitude du créé, de la nature et de ses lois, et la prétendue libération de toute règle se réduit à un asservissement indéfini aux déterminismes des instincts les plus aveugles. Il s’agit donc de montrer que la solution du Libre Esprit est une illusion, qu’elle conduit à la servitude, non à la liberté, mais sans renoncer à la vérité de l’Esprit, à son exigence d’unité et d’intériorité, qui nous conduit à dépasser l’interprétation exotérique de la dualité du créé et de l’Incréé. Maintenir cette dualité telle quelle, en effet, n’a que les apparences d’une fidélité à l’orthodoxie de la foi. Par cette dualité même, la transcendance de Dieu est sans doute sauvegardée, mais l’indépendance et la suffisance de la créature sont en même temps posées, comme si la créature pouvait exister en dehors de Dieu et se passer ontologiquement de Lui. Il faut donc dépasser la dualité, mais sans l’abolir, de telle sorte qu’au contraire elle soit fondée et confirmée. La créature est à la fois en Dieu et hors de Dieu. Il convient cependant d’observer que la Theologia germanica se préoccupe plus d’enseigner une voie spirituelle qui permette de réaliser cette non-dualité, que d’en exposer théoriquement la doctrine métaphysique.

Auteur: Borella Jean

Info: Dans "Lumières de la théologie mystique", éditions L'Harmattan, Paris, 2015, pages 169-170

[ problème ] [ ésotérisme ]

 
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déification

[…] Evagre le répète inlassablement, seul l’intellect, et l’intellect parfaitement dépouillé, est capable de voir la Trinité. Mais encore est-il préférable de dire qu’un tel intellect est "voyant de la Sainte-Trinité", c’est-à-dire que cette vision est son essence même. Devenant ce qu’il connaît, l’intellect, par la contemplation seconde, est rendu "isangélique", égal aux anges. A ce degré en effet, l’homme n’est plus vraiment un homme : "les mondes changent et les noms sont abolis" [Traité de l’oraison]. Mais le dépouillement total est au-delà même de toute forme intelligible. Il s’agit alors de l’intellect informel. […] "L’intellect, entré dans le service des Commandements de Dieu – praxis – évolue dans la pensée des objets de ce monde ; entré dans la gnose (inférieure), il évolue dans la contemplation ; mais entré dans l’oraison, il pénètre dans la lumière sans forme qui est le lieu de Dieu". Dès cette entrée, l’intellect devient dieu par grâce. Et ainsi la contemplation de la Trinité coïncide avec la vision de son propre état "lorsque l’intellect est jugé digne de la contemplation de la Sainte-Trinité, alors, par grâce, il est lui aussi appelé dieu, étant parachevé dans la ressemblance de son Créateur". C’est pourquoi "c’est de Dieu même qu’il loue Dieu". Celui-là "possède dans la contemplation de lui-même le monde spirituel".

L’intellect est donc élevé à une dignité infinie, dignité qu’il possède en vertu même de sa nature intellectuelle. Un théologien occidental sera tenté de voir dans ces affirmations la confusion de la nature et de la grâce […]. Pourtant, il n’y a aucune confusion entre les deux ordres, car la pure nature de l’intellect est un don de Dieu. Il y a seulement une fusion totale dans une transformation éternelle. L’intellect, disons-nous, s’identifie à sa nature surnaturelle, son prototype in divinis. […] Nous touchons ici l’un des mystères les plus hauts de la science spirituelle. Dieu ne peut être vu que par lui-même, et donc, si l’intellect voit Dieu, ce ne peut être que Dieu lui-même, se voyant dans sa propre lumière. L’intellect est, dans cette vision, transformé en Dieu lui-même et c’est donc aussi dans sa propre lumière qu’il voit Dieu. […] ni distinction dualiste, ni identification moniste. Le mystère est plus profond, il est même d’une profondeur infinie. Ecoutons cette admirable histoire rapportée par Evagre : "Au sujet de cette Sainte Lumière (de l’oraison), le serviteur de Dieu Ammonios et moi nous avons demandé à saint Jean de Thébaïde si c’est la nature de l’intelligence qui est lumineuse et si c’est d’elle que vient la lumière, ou bien si quelque chose d’extérieur l’illumine. Il nous répondit : Aucun homme n’est capable de décider cette question ; mais en tout cas, sans la grâce de Dieu, l’intelligence ne saurait être illuminée dans l’oraison et délivrée des ennemis nombreux et acharnés à sa perte".

Auteur: Borella Jean

Info: Amour et vérité, L’Harmattan, 2011, Paris, pages 349-350

[ christianisme ] [ triade ] [ tiers exclu ]

 

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illusion caritative

[…] ce qui inspire l’agapè, ce n’est pas la nature humaine comme telle, mais le fait que cette nature soit subjectivée dans une conscience. Au fond, l’agapè naturelle ne se distingue guère de ce qu’on appelle l’altruisme. Autrui est saisi d’emblée comme une personne, comme un autre je, non d’abord comme un autre homme. C’est dire qu’il est saisi d’emblée comme un appel à ne pas être égoïste. Ce qui émeut (et meut) l’action humaine, ce n’est pas d’abord que le malheur et l’injustice atteignent la nature humaine, mais que ce malheur et cette injustice soient soufferts par une conscience, et que par là cette souffrance m’échappe et m’appelle à la soulager, sinon à la partager. L’action altruiste se fera peut-être au nom de la solidarité humaine, mais cette justification a posteriori ne serait pas suffisante pour mettre en branle si elle n’était précédée de la vive représentation du caractère personnel de la souffrance. Il en résulté, puisque c’est là le principe "naturel" inspirateur de l’agapè, que la relation qu’il détermine tend à abolir la dualité des consciences, autrement dit que la personne voudrait se transformer en relation. Or, sur le plan naturel, cette transformation est impossible ; une telle relation, qui soit aussi une personne, n’existe pas. C’est pourquoi l’énergie de l’agapè cherche à la créer. Elle n’en est pourtant que la révélatrice ; et encore, avec cette restriction que, sur le plan naturel, elle ne peut révéler qu’une exigence et non pas la relation elle-même. Toutefois, si l’on néglige cette restriction, on voit que, structurellement parlant, l’agapè est comme la synthèse de l’eros et de la philia. Dans l’eros, l’énergie révèle la personne. Dans la philia, la personne révèle la relation. L’agapè combine la fonction révélatrice de de l’énergie de l’eros, avec l’objet révélé de la philia : en elle, l’énergie révèle la relation. Sans doute, sur le plan naturel, une telle fonction se heurterait à une quasi impossibilité. L’élan de la charité profane conduit bien à découvrir une relation qui, selon les exigences inspiratrices de cet élan, devrait unir les personnes entre elles. Mais comme nous l’avons dit, une telle relation, à ce niveau, n’existe pas. Il y faut l’intervention de la grâce du Christ. Dès lors, elle tombe au niveau de la philia, et redevient relation fondée dans l’unicité de la nature humaine : l’altruisme est en vérité une philanthropie. Ainsi, l’agapè naturelle est plutôt un compromis ou un mélange d’eros et de philia qu’une véritable synthèse. En elle, on prétend aimer d’amour la nature humaine alors que pourtant, un tel élan d’amour ne peut s’adresser qu’à la personne et non à la nature. Cette situation particulière explique la force attractive de la charité profane, la puissance émotive quasi érotique des déclarations qui lui sont consacrées et la pseudo-mystique de cette religion de l’humanité dont le type achevé nous est donné par Auguste Comte.

Auteur: Borella Jean

Info: Amour et vérité, L’Harmattan, 2011, Paris, pages 265-266

[ naturel-surnaturel ] [ christianisme ] [ triade ]

 

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présocratiques

Mais il faut en venir à l’événement qui se produisit au cours du Ve siècle av. J.-C. et qui interrompit progressivement la tradition gnomique. Culturellement, cet événement est constitué, nous l’avons vu, par l’apparition des sophistes. On peut sans doute hésiter sur la nature historique de ce phénomène, sur le nombre et la fonction exacte de ces hommes qui, tels Protagoras ou Gorgias, parcouraient la Grèce et faisaient métier de la parole. Sur la signification métaphysique, on ne saurait, croyons-nous, hésiter : il s’agit essentiellement d’une "subversion" de la parole, c’est-à-dire du logos (indissociablement raison et discours) qui, de moyen, devient fin en soi et s’enivre d’une puissance indéfinie. Que tel soit bien le lieu où s’inscrit la rupture sophistique, la guerre que lui livre Socrate dans les dialogues platoniciens le prouve ; les corrupteurs du verbe doivent être vaincus avec leurs propres armes, celles d’une "conversion" du logos. C’est aussi le fait irrécusable que la parole, qui était prophétie de l’Être, devient source de profit : parole à vendre au plus offrant. Ainsi les mots sont-ils déliés du lien qui les unissait aux choses : leur amarre ontologique est rompue, ils peuvent flotter "librement" sur la mer des passions humaines et des convoitises : la parole n’a plus de poids*.



[*Il n’est pas interdit de supposer que l’apparition de la sophistique est liée à la découverte de l’écriture alphabétique par les Grecs, ce qui permettrait peut-être de rendre compte de l’attitude paradoxale de Platon à l’égard de l’écriture, à laquelle il a consacré en partie sa vie de grand écrivain, tout en soulignant ses dangers et son infériorité relativement à la tradition orale. Dans un livre décisif, Aux origines de la civilisation écrite, […] Eric A. Havelock a démontré clairement que l’écriture alphabétique a été inventée par les Grecs et non par les Phéniciens. Seuls les Grecs sont parvenus, vers 700 av. J.-C., à élaborer un système simple de signes (moins d’une trentaine) permettant de noter tous les points d’articulation (phonèmes) d’un langage quelconque, ce qui exige une analyse phonématique d’une extrême précision. Toutes les écritures alphabétiques du monde en dérivent. Cette découverte modifia progressivement le rapport de l’homme au langage. Chronologiquement, les textes antérieurs à la deuxième moitié du VIIIe siècle (750-700 av. J.-C.) ont été composés et transmis oralement et portent la marque du style oral (Homère et Hésiode) : rythmo-mélodisme, images frappantes, formules sententiaires, etc. Ce régime "poétique" persiste aux VI et Ve siècles, chez Xénophane, Héraclite, Parménide, même si leurs textes sont composés par écrit […]. Mais l’écriture détache peu à peu le discours de la parole vivante et lui confère une existence propre et autonome en même temps qu’elle objective et accentue la linéarité du langage : écrire, c’est écrire des lignes. On a là les deux traits caractéristiques du langage sophistique : son indépendance auto-constituante et son indéfinité linéaire (ou horizontale).

Auteur: Borella Jean

Info: Penser l'analogie, L'Harmattan, Paris, 2012, pages 146-147

[ solidification ] [ philosophie ] [ oral-écrit ]

 

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idiot utile du système

Pratiquement cela signifie que dans les sociétés modernes, toute action n’est qu’une réaction, tout moment historique n’est qu’un effort pour lutter contre les excès – et les manques – du moment précédent. Il y a là une régulation cybernétique par excès et défaut qui dépasse de beaucoup les démarches conscientes et volontaires des individus.

C’est bien l’exemple qu’offre le socialisme qui, à tout prendre, n’est qu’un anticapitalisme, ou un contre-capitalisme, mais qui ne parvient guère à se définir positivement et en dehors de la référence au capital [...].

Autrement dit, on peut craindre que le socialisme, quel qu’il soit, ne vise rien d’autre qu’à remédier aux imperfections du système capitaliste, et qu’il ne soit rien d’autre qu’un capitalisme mieux organisé – par exemple sans capitaliste : au capitalisme industriel succèdera le socialisme industriel. Le révolutionnaire est ainsi prisonnier de sa propre révolution. Le résultat de ses efforts le trahit toujours : ce n’est pas ce qu’il croyait faire, mais c’est ce qu’il faisait effectivement. [...] On sait bien confusément dans cette "société bloquée" qu’il faudrait inventer une société différente. Mais on ne saurait y parvenir précisément parce qu’on en a primitivement éliminé la condition principale : en effet seul le transcendant, seuls des principes supérieurs à l’homme et au monde peuvent être, par eux-mêmes, la source et le modèle de cette "société autre".

La puissance majeure du capitalisme, c’est son efficacité industrielle – technique et économique. Son défaut majeur, c’est son anarchie qui découle du caractère libéraliste de l’entreprise. Le socialisme n’est d’abord et nécessairement qu’une utopie, une idéologie, un mouvement politique, un combat. En ce sens il se perçoit comme nouveau. Mais dans la mesure où, perdant son caractère utopique, il devient une réalité politique et sociale, la production anarchique, sous sa direction, fait place à une production organisée, puisque tous les défauts, toutes les "contradictions" à partir desquels s’est éveillée la conscience socialiste et qui prédéterminent la nature de sa visée sont imputables au désordre de l’appropriation individuelle des moyens de production. Lui substituer une appropriation collective, ou sociale, c’est donc organiser et planifier la production puisque la société, dans sa structure essentielle, est organisation. Le socialisme, c’est donc bien la doctrine de la société comme telle, considérée indépendamment de toutes les finalités qui la dépassent. Et c’est ce qu’a fort bien compris en son temps le communisme soviétique et chinois – qui est un régime policier, car le pouvoir policier, c’est l’essence même de l’ordre social – formellement envisagé. [...]

Voilà quel est le socialisme vers lequel nous allons ou plutôt dans lequel nous sommes déjà entrés. [...] L’interconnexion des techniques et des économies, l’interdépendance des décisions et, couronnant le tout, l’usage "colonisateur" de l’informatique, dans la gestion ou plutôt dans le fonctionnement des structures, accroissant la densité sociale des réseaux culturels. L’anticapitalisme "généreux " n’est que l’alibi "idéologique" de cette transformation qui s’accomplit sous nos yeux.

Auteur: Borella Jean

Info: "Situation du catholicisme aujourd'hui", éditions L'Harmattan, Paris, 2023, pages 32 à 34

[ critique ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson