L’activité de l’intelligence, en effet, est par nature universelle – ou tend à l’universel. Penser, c’est toujours penser, d’une manière ou d’une autre, l’essence des choses. C’est aussi, et en conséquence, saisir leur nécessité, ou leur raison d’être : le réel devient intelligible dans la mesure où nous voyons pourquoi il est ce qu’il est. Or la métaphysique, en tant qu’activité spéculative, est œuvre de l’intelligence, même si, comme nous le verrons, son origine est divine. En elle, l’intelligence doit s’assimiler le discours théorique. Elle n’est pas œuvre de "croyance".
Une tradition, au contraire, est toujours quelque chose de déterminé et particulier, de contingent. […] Sans doute, ces faits sont-ils porteurs d’intelligibilité mais, en tant que faits, ils peuvent seulement être l’objet d’une constatation, de la part de ceux qui en ont été les témoins, ou d’une foi, de la part de ceux qui adhèrent au témoignage des précédents. Ils se situent, irréductiblement, sur le plan de la particularité – et même de la singularité – culturelle. […]
On voit par-là que métaphysique et tradition appartiennent à deux ordres de réalité différents et qui s’opposent par bien des points. Dans ces conditions, quel sens peut avoir l’expression de métaphysique traditionnelle ? N’est-ce pas une contradiction in terminis ? […]
Pour résoudre cette antinomie, la première idée qui vient à l’esprit, c’est d’affirmer qu’il existe des traditions métaphysiques. Ce serait en particulier le cas de l’hindouisme qui jouirait ainsi, aux yeux de Guénon, d’une "prééminence de gnose" sur les autres révélations. Cela signifie très exactement ceci : la tradition hindoue renferme une doctrine métaphysique explicite d’origine divine. […] Il en résulterait que, la métaphysique hindoue étant révélée, d’une part, et que, comme il y a, d’autre part, une unité de toutes les religions, nous disposerions du même coup d’un instrument doctrinal infaillible qui nous permettrait de parler universellement de toutes les formes particulières que le sacré a revêtues dans l’histoire humaine. Mais en réalité, les textes purement métaphysiques sont, dans l’immensité de la littérature religieuse de l’Inde, très peu nombreux.
Il n’y a donc aucune supériorité, à cet égard, des Ecritures hindoues sur les Ecritures judéo-chrétiennes. […]
Toutes les écritures sacrées renferment des énoncés proprement métaphysiques – et non pas seulement historiques ou mythologiques – mais ces énoncés ne révèlent leur véritable nature que sous la lumière d’une herméneutique doctrinale. Ce sont les commentateurs métaphysiciens qui "isolent" ces perles de gnose contenues implicitement dans les révélations et en "actualisent" pour ainsi dire la vraie dimension.
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Info: L'intelligence et la foi, L'Harmattant, Paris, 2018, pages 17 à 20
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