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érosion

De nombreuses choses ne sont pas autorisées au monastère, et pourtant aucune ne manquera, ni le vin de Valachie ou de Hongrie, ni la vodka, ni le tabac qu'on laissera passer en fermant les yeux. Les interdits sont inopérants en toutes circonstances. En fait, ils fonctionnent au début, mais ensuite la nature humaine leur donne un coup de griffe. De son long doigt, elle creuse un trou, petit d'abord, puis, faute de résistance, elle l'agrandit jusqu'à ce que l'orifice soit plus grand que la matière autour.

Auteur: Tokarczuk Olga

Info: In "Les livres de Jakob", p. 356-355

[ lois ] [ règlements ] [ vains efforts ] [ ascèse difficile ]

 

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Ajouté à la BD par Benslama

ingestion

Le bout de papier avalé se coince dans la trachée à la hauteur du coeur, la salive l'imprègne, l'encre noire, spécialement conçue pour cette missive, se dissout lentement et les lettres perdent figure. Dans le corps humain, le mot se divise alors en substance et en essence. Tandis que la première disparaît, la seconde, privée de forme, se laisse capter par les cellules du corps parce que, par essence, elle est toujours en recherche d'un support materiel, même si cela doit se faire au prix de nombreux malheurs.

Auteur: Tokarczuk Olga

Info: Premières lignes de "Les livres de Jakob", éd. Noir sur Blanc, p. 1031-1032 - à noter la numérotation, à rebours du déroulement du récit

[ dualité ] [ infusion ] [ incipit ] [ migration ] [ chair-esprit ] [ assimilation ] [ lecture ] [ allégorie ]

 
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Ajouté à la BD par Benslama

création

Tous ceux qui, un jour, ont essayé d'écrire des romans savent à quel point c'est difficile ; il s'agit assurément de l'une des pires activités indépendantes. Il faut rester tout le temps replié sur soi, enfermé dans une cellule individuelle, dans une solitude complète. Cela relève d'une psychose contrôlée, d'une paranoïa et d'une obsession attelées au travail. Ainsi l'écriture ne nécessite ni plume d'oie, ni masque vénitien, comme on pourrait le croire, mais bien plutôt un tablier de boucher, des bottes en caoutchouc et un couteau à étriper.

Auteur: Tokarczuk Olga

Info: Les Pérégrins

[ labeur ] [ embarras ]

 

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aurore

La ligne Irkoutsk-Moscou. L'avion décolle d'Irkoutsk à huit heures du matin et arrive à Moscou à la même heure - huit heures du matin, le même jour. C'est le moment où le soleil se lève; ainsi, tout le vol s'effectue à l'aube. On demeure dans le même instant, qui s'étire, comme un immense et paisible Maintenant, aussi vaste que la Sibérie.
Ce devrait être un moment propice à la confession de toute une vie. Le temps s'écoule à l'intérieur de la carlingue, mais ne ruisselle pas à l'extérieur.

Auteur: Tokarczuk Olga

Info: Les Pérégrins, Irkoutsk-Moscou

[ voyage ] [ méditation ] [ transport ]

 

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écriture

[Quel rapport à la langue entretenez-vous?]

J'ai renoncé délibérément à la travailler depuis que j'ai commencé à être écrivaine. Je préfère créer des images. La langue n'est pour moi qu'un outil pour y parvenir. Voilà pourquoi la mienne est transparente. Je me souviens de l'époque où je préparais la première version de "Dieu, le temps, les hommes et les anges" [R.  Laffont, 1998]. Mon obsession était d'atteindre à la plus extrême simplicité. A chaque fois que je trouvais une subordonnée, je l'éliminais afin que la langue devienne invisible pour le lecteur.

Auteur: Tokarczuk Olga

Info: In, Le Monde le 28/11/2109]

[ recette ]

 

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Ajouté à la BD par miguel

guides

Lorsqu'on regarde certaines personnes, notre gorge se noue et nos yeux se voilent de larmes d'émotion. Ces personnes-là donnent l'impression d'avoir su préserver en elles le souvenir de notre ancienne innocence comme si elles relevaient d'un égarement de la nature et qu'elles avaient, dans une certaine mesure, échappé à la Chute. Peut-être sont-elles des messagers, à l'instar de ces serviteurs qui, retrouvant leur prince égaré, incapable de se rappeler qui il est, lui montrent une robe d'apparat qu'il portait dans son pays et lui font ainsi comprendre qu'il est temps de reprendre le chemin de la maison

Auteur: Tokarczuk Olga

Info: Sur les ossements des morts, p 136. Idée probablement piquée dans une conte du rabbi Nahman de Bratslav

[ altruistes ] [ rédempteurs ]

 

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Ajouté à la BD par miguel

hommes-par-femme

Il n'est pas simple de discuter avec certaines personnes, surtout de sexe masculin. J'ai ma théorie sur le sujet. L'âge venant, beaucoup d'hommes souffrent d'une sorte de déficit, que j'appelle "autisme testostéronien". Il se manifeste par une atrophie progressive de l'intelligence dite sociale et de la capacité à communiquer, et cela handicape également l'expression de la pensée. Atteint de ce mal, l'homme devient taciturne et semble plongé dans sa rêverie. Il éprouve un attrait particulier pour toutes sortes d'appareils et de mécanismes. Il s'intéresse à la Seconde Guerre mondiale et aux biographies de gens célèbres, politiciens et criminels en tête. Son aptitude à lire un roman disparaît peu à peu, étant entendu que l'autisme dû à la testostérone perturbe la perception psychologique des personnages.

Auteur: Tokarczuk Olga

Info: Sur les ossements des morts

[ impuissance ] [ vieillissement ] [ déclin ]

 

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symbole déclencheur

Les svastikas

Dans une ville d'Extrême-Orient, on a l'habitude d'indiquer les restaurants végétariens par des svastikas rouges – signes qui, depuis la nuit des temps, symbolisent l'ardeur du Soleil et la force vitale. Cela facilite grandement la vie d'un végétarien dans une ville qu'il ne connaît pas – il lui suffit de lever la tête et de se diriger vers ce signe. Et là, on sert du curry de légumes (très nombreuses variétés), des "pakoras", des samoussas, des légumes à la sauce Korma, des pilafs, des boulettes et aussi – ce que j'aime le plus – des galettes d'algues sèches roulées et farcies de riz.

Au bout de quelques jours, je suis conditionnée comme le chien de Pavlov – à la vue d'un svastika, je commence à saliver.

Auteur: Tokarczuk Olga

Info: Les Pérégrins, p. 307

[ réflexe conditionné ] [ nourriture ]

 

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Ajouté à la BD par miguel

existence

Jeune, l’être humain est obnubilé par son propre épanouissement, par le recul des frontières : son champ d’activités s’étend du lit d’enfant aux cloisons de la chambre, puis à toute la maison, au parc, à la ville, au pays, au monde. À l’âge d’homme vient le temps de rêver à quelque chose d’encore plus grand. Mais aux environs de la quarantaine survient un clivage. À force de manifester sa puissance, la jeunesse se fatigue. Une nuit, un matin, l’homme franchit la ligne de démarcation, atteint son sommet, esquisse le premier pas de descente. Survient la question : faut-il descendre fièrement, défier le crépuscule, ou bien tourner son visage vers le passé, s’efforcer de sauver les apparences, prétendre que cette pénombre résulte simplement du fait qu’on a provisoirement éteint la lumière dans la chambre ?

Auteur: Tokarczuk Olga

Info:

[ résumée ] [ bascule ] [ décrépitude ] [ dégradation ]

 

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Ajouté à la BD par Le sous-projectionniste

imagination

Je suis allée chez Marta pour lui rendre service en fauchant les orties du sentier qui conduit au ruisseau. Elle piétinait derrière moi, les bras croisés, et elle prétendait que Dieu avait oublié de créer un tas d'animaux.
"Le pataugeur, dis-je. Il serait dur comme une tortue, mais muni de longues jambes et de dents broyeuses. Il se baladerait dans le ruisseau, boufferait toutes les saletés, la vase, les branches mortes, même les ordures que l'eau apporte du village."
C'est ainsi que nous commençâmes à évoquer tous les animaux que Dieu avait omis de créer pour des raisons connues de lui seul. Il a oublié tant d'oiseaux, tant d'animaux qui vivent sous terre. A la fin, Marta déclara que l'animal qui lui manquait le plus, c'était ce grand lourdaud qui vient s'assoir, la nuit, à la croisée des chemins. Elle ne mentionna pas son nom.

Auteur: Tokarczuk Olga

Info: Maison de jour, maison de nuit

[ nature ]

 

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