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introspection

Mon "âme" commence au point même où je n’y vois plus, où je ne puis plus rien – où mon esprit se ferme devant soi-même la route - et revenant des plus grandes profondeurs, regarde avec pitié ce que marque la ligne de sonde, et ce que rapporte la nasse où il se trouve les misérables proies saisies dans le médiocre abîme... Que de peine, que de bonheurs pour cette capture ! Et qu’est-ce qui est le plus ridicule : de se ronger ou d’exulter devant ce qu’on se répond ?

Auteur: Valéry Paul

Info: Monsieur Teste

[ limitation ] [ impénétrable ] [ insondable ]

 

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rêvasser

L'espace libre et le temps libre ne sont plus que des souvenirs. Le temps libre dont il s'agit n'est pas le loisir tel qu'on l'entend d'habitude. [... ] Mais je dis que le loisir intérieur, qui est tout autre chose que le loisir chronométrique, se perd. Nous perdons cette paix essentielle des profondeurs de l'être, cette absence sans prix, pendant laquelle les éléments les plus délicats de la vie se rafraîchissent et se réconfortent, pendant laquelle l'être, en quelque sorte, se lave du passé, du futur, de la conscience présente, des obligations suspendues et des attentes embusquées.

Auteur: Valéry Paul

Info: Le Bilan de l'intelligence, éd. Allia, 2011 ISBN 978-2-84485-375-2, p. 29

[ paresse ] [ laisser-aller ] [ tranquillité ]

 

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lecture

L'art de lire à loisir, à l'écart, savamment et distinctement, qui jadis répondait à la peine et au zèle de l'écrivain par une présence et une patience de même qualité, se perd : il est perdu. Un lecteur d'autrefois, instruit dès son enfance par Tacite ou par Thucydide pleins d'obstacles, à ne point dévorer ni deviner la ligne ; à ne fuir, le sens effleuré, la phrase et la page, promettait aux auteurs un partenaire qui valût que l'on pesât les termes et qu'on organisât la dépendance des membres d'une pensée. La politique et les romans ont exterminé ce lecteur.

Auteur: Valéry Paul

Info: Variétés III, IV et V

[ attentive ] [ concentration ]

 

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être humain

Vouloir qu'une opinion l'emporte, (vouloir avoir raison) c'est toujours lui souhaiter d'autres forces que les siennes, douter de celles-ci. Prédire le triomphe proche d'une doctrine c'est admettre que sa valeur consiste dans cette future puissance et que cette future puissance est de l'ordre même des résistances actuelles, dont elle viendra à bout. Vous adorerez ce que vous brûlez ; c'est dire que votre adoration ne signifie pas plus que vos brasiers. Mais le point remarquable, le voici : Une philosophie, une théologie, une esthétique tournent toujours à la lutte. L'homme n'est jamais assez sûr de sa vérité pour jouir de l'éclat de l'erreur adverse...

Auteur: Valéry Paul

Info: Cahiers I, Bibliothèque de la Pléiade, nrf Gallimard 1973 Ego p.77

[ inquiet ] [ éristique ]

 

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économie

La gratuité : Ce mot exerce une force attractive d'une rare intensité. La gratuité, c'est non seulement un avantage matériel, mais une détente, une rupture des contraintes.
Mais la gratuité n'est jamais gratuite.
En régime capitaliste, si une catégorie sociale obtient la gratuité ou la semi-gratuité de tel produit ou service, elle y trouve le plus souvent son compte, au détriment des autres. La revendication est donc, sinon légitime, du moins logique.
Si, par contre, il s'agit d'une gratuité générale, par exemple les produits pharmaceutiques, le métro, il faut voir où la contrepartie. L'opération revient, en général, à faire payer le contribuable au lieu de l'usager.

Auteur: Valéry Paul

Info: Regards sur le monde actuel <p.78>

 

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végétal

De ton front voyageur les vents ne veulent pas ;                    

                    La terre tendre et sombre,

Ô Platane, jamais ne laissera d’un pas                    

                     S’émerveiller ton ombre !



Ce front n’aura d'accès qu'aux degrés lumineux                    

                      Où la sève l’exalte ;

Tu peux grandir, candeur, mais non rompre les nœuds                    

                      De l’éternelle halte !


Auteur: Valéry Paul

Info: Extrait du poème "Au platane"

[ dualité ] [ prisonnier ]

 
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Ajouté à la BD par Benslama

consumérisme

Tout se passe dans notre état de civilisation industrielle comme si, ayant inventé quelque substance, on inventait d'après ses propriétés une maladie qu'elle guérisse, une soif qu'elle puisse apaiser, une douleur qu'elle abolisse. On nous inocule donc, pour des fins d'enrichissement, des goûts et des désirs qui n'ont pas de racines dans notre vie physiologique profonde, mais qui résultent d'excitations psychiques ou sensorielles délibérément infligées. L'homme moderne s'enivre de dissipation. Abus de vitesse, abus de lumière, abus de toniques, de stupéfiants, d'excitants... Abus de fréquence dans les impressions ; abus de la diversité ; abus de merveilles ; abus de ces prodigieux moyens de déclenchement, par l'artifice desquels d'immenses effets sont mis sous les doigts des enfants. Toute vie actuelle est inséparable de ces abus.

Auteur: Valéry Paul

Info: Le bilan de l'intelligence 1935, nrf pp105 138

[ création du besoin ] [ fabrication du consentement ]

 

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Ajouté à la BD par Le sous-projectionniste

poésie

S'étant mis aux sonnets, Degas consultait Heredia ou Mallarmé, leur soumettait les difficultés, les cas de conscience, les conflits du poème avec le poète.
Un jour, m'a-t-il conté, dînant chez Berthe Morisot avec Mallarmé, il se plaignit à lui du mal extrême que lui donnait la composition poétique : "Quel métier ! criait-il, j'ai perdu toute ma journée sur un sacré sonnet, sans avancer d'un pas... Et cependant, ce ne sont pas les idées qui me manquent... J'en suis plein... J'en ai trop..."
Et Mallarmé, avec sa douce profondeur : "Mais, Degas, ce n'est point avec des idées que l'on fait des vers... C'est avec des mots." C'était le seul secret. Il ne faut pas croire qu'on en puisse saisir la substance sans quelque méditation.

Auteur: Valéry Paul

Info: Degas Danse Dessin, 1936, Oeuvres II, la Pléiade/Gallimard 1960 p.1208

[ dialogue ]

 

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dépendance

Il n’y a pas de femme au monde nommée comme moi. Vous savez quels noms ridicules échangent les amants : quelles appellations de chiens et de perruches sont les fruits naturels des intimités charnelles. Les paroles du cœur sont enfantines. Les voies de la chair sont élémentaires. Monsieur Teste, d’ailleurs, pense que l’amour consiste à pouvoir être bêtes ensemble, — toute licence de niaiserie et de bestialité. Aussi m’appelle-t-il à sa façon. Il me désigne presque toujours selon ce qu’il veut de moi. À soi seul, le nom qu’il me donne me faire entendre d’un mot ce à quoi je m’attende, ou ce qu’il faut que je fasse. Quand ce n’est rien de particulier qu’il désire, il me dit : Être, ou Chose. Et parfois il m’appelle Oasis, ce qui me plaît.

Auteur: Valéry Paul

Info:

[ emprise ] [ couple ] [ communication ]

 

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Ajouté à la BD par Plouin

économie

La durée du travail : Le mythe prend deux formes :
a) La croyance selon laquelle la mesure sera gratuite, sans pertes, ni manque à gagner. Il serait certes possible aujourd'hui le ne travailler que 15 heures ou même moins, si nous nous contentions des consommations de 1900. Mais le même progrès technique ne se mange pas deux fois.
b) La croyance, plus répandue encore, selon laquelle la réduction de la durée du travail augmente à proportion le nombre des emplois. Cette idée résulte d'une opération arithmétique simple, qui suppose implicitement que rien n'est changé dans l'économie, en dehors de cette durée, comme si le travail total était une masse déterminée que l'on peut partager de diverses façons.
Ces sophismes sont si séduisants qu'il est difficile d'y résister. Ceux qui les dénoncent passent pour des attardés, ou pour les défenseurs du camp des propriétaires.

Auteur: Valéry Paul

Info: Regards sur le monde actuel <p.91>

 

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