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art brut

On objectera qu'il y a des excentriques bâtisseurs sans le sou: en témoignent maintes villas modestes et absurdes dans la plupart des stations balnéaires. Et on invoquera inévitablement les mânes du facteur Cheval, humble postier de la Drôme qui, lors de ses tournées, ramassa pendant trente ans des cailloux avec lesquels il éleva peu à peu, de 1879 à 1912, son fameux "Palais idéal", à Hauterives, consacré par les surréalistes, puis par André Malraux, comme un temple de l'art naîf. Ferdinand Cheval a dit lui-même: "On était bien porté à croire que cela résultait d'une imagination malade. L'on riait, l'on me blâmait, l'on me critiquait, mais comme ce genre d'aliénation n'était ni contagieux ni dangereux, on ne crut pas utile d'aller chercher quelque médecin aliéniste et je pus alors me livrer à ma passion en toute liberté, malgré tout, n'écoutant pas les railleries de la foule, car je savais que de tout temps elle tourne en dérision et même persécute les hommes qu'elle ne comprend pas." belle analyse, au passage, de la lucidité intrépide de l'excentrique et du couple qu'il forme avec son entourage.

Auteur: Braudeau Michel

Info: Six excentriques, p. 72-73

 

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profession

Plus pauvre encore (que le bucheron), plus sale, plus chétif et plus inquiétant est le charbonnier. Ne maniant pas le fer mais le feu - le plus grand ennemi du bois, il est réellement diabolique. Le charbonnier ne se marie pas et n'a pas de postérité. Il ne quitte la forêt que pour s'enfermer dans une autre forêt, afin d'y continuer son oeuvre de destruction et de crémation. En toutes régions, les villageois ont peur du charbonnier. Dans les textes littéraires, notamment dans les romans courtois, les auteurs mettent quelquefois en scène un preux chevalier perdu au coeur de la forêt et contraint de demander son chemin à un horrible charbonnier. Pour les lecteurs du XIIe et du XIIIe siècle, cette rencontre constitue celle des extrêmes ; c'est le contraste social le plus fort qui puisse être imaginé. Dans ces textes, le charbonnier est toujours décrit de la même façon : petit, noir, velu, les yeux rouges et enfoncés, la bouche tordue et cruelle ; c'est l'archétype de l'homme situé au plus bas de l'échelle sociale : il est à la fois misérable, animal et démoniaque.

Auteur: Pastoureau Michel

Info: Une histoire symbolique du Moyen Âge occidental, p. 99

[ hiérarchie ] [ historique ] [ sociologie ]

 

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cosmosophie

Selon une légende d’inspiration gnostique, une lutte se déroula au ciel entre les anges, dans laquelle les partisans de Michel vainquirent ceux du Dragon. Les anges qui, irrésolus, se contentèrent de regarder furent relégués ici-bas afin d’y opérer le choix auquel ils n’avaient pu se résoudre là-haut, choix d’autant plus malaisé qu’ils n’emportaient aucun souvenir du combat et encore moins de leur attitude équivoque. Ainsi le démarrage de l’histoire aurait pour cause un flottement, et l’homme résulterait d’une vacillation originelle, de l’incapacité où il était, avant son bannissement, de prendre parti. Jeté sur la terre pour apprendre à opter, il sera condamné à l’acte, à l’aventure, et il n’y sera propre que dans la mesure où il aura étouffé en lui le spectateur. Le ciel seul permettant jusqu’à un certain point la neutralité, l’histoire, tout au rebours, apparaîtra comme la punition de ceux qui, avant de s’incarner, ne trouvaient aucune raison de se rallier à un camp plutôt qu’à un autre. On comprend pourquoi les humains sont si empressés d’épouser une cause, de s’agglutiner, de se rassembler autour d’une vérité. Autour de quelle espèce de vérité ?

Auteur: Cioran Emil Michel

Info: Écartèlement

[ indécision initiale ] [ humains ]

 

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Ajouté à la BD par miguel

seuil de discernement

La loi de Weber, également appelée loi de Weber-Fechner, est une loi psychologique historiquement importante qui quantifie la perception du changement d'un stimulus donné. La loi stipule que le changement d'un stimulus qui sera juste perceptible est un ratio constant du stimulus d'origine. Il a été démontré que cette loi ne s'applique pas aux stimuli extrêmes.

Cette loi fut d'abord postulée pour décrire les recherches sur l'haltérophilie par le physiologiste allemand Ernst Heinrich Weber en 1834. Elle fut ensuite appliquée à la mesure des sensations par l'élève de Weber, Gustav Theodor Fechner, qui a ensuite développé la science de la psychophysique à partir de cette loi. En établissant une relation entre le monde spirituel et le monde physique, la loi indiquait à Fechner qu'il n'y avait en réalité qu'un seul monde, le monde spirituel. Pour d'autres, la loi signifiait la possibilité d'une psychologie scientifique et quantitative. Les travaux combinés de Weber et de Fechner ont été utiles, en particulier dans la recherche sur l'audition et la vision, et ont eu un impact sur l'évaluation des attitudes et sur d'autres tests et développements théoriques.

Auteur: Lwoff André Michel

Info:

[ mécanisme - animisme ] [ objectif - subjectif ]

 

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Ajouté à la BD par miguel

trier

Un grand lecteur, celui que tout savant devrait être, est une personne qui lit au cours de sa vie quelque dix mille ouvrages au mieux, deux ou trois mille pour les lecteurs "cultivés", ceux qui lisent un livre par semaine pendant cinquante ans. L'édition française produit quarante mille titres par an, deux millions pendant que vous en lirez dix mille : 0,5%. Les Britanniques en publient cent mille par an, les Espagnols cinquante mille. Disons qu'un bon million de titres paraissent chaque année dans le monde. Même si vous réduisez de ce nombre les réimpressions, les rééditions, les plaquettes de moins de 48 pages, vous ne changerez pas le rapport dérisoire de vos lectures au savoir proclamé par vos contemporains. Il faut ajouter un autre million de titres de périodiques aujourd'hui signalés dans le monde.
Le bibliothécaire ne peut pas ignorer cette disproportion. Non seulement il la voit, mais il la vit quotidiennement. Ce flot incessant du savoir publié, il l'affronte avec courage, l'empoigne, se collette avec lui; il l'endigue, il le détourne, il le canalise, il le filtre pour distribuer au lecteur assoiffé un savoir potable.

Auteur: Melot Michel

Info: La sagesse du Bibliothécaire

[ censure ] [ relatif ]

 

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teinte

Mais revenons dans la seconde moitié du XIXème siècle, lorsque partout en Europe se met en place un nouveau paysage industriel et que des régions entières changent d'aspect sous l'emprise de la mine, du charbon, du fer et de la métallurgie. Le noir s'immisce partout, jusqu'au cœur des grandes villes, telle Londres qui, au dire de Charles Dickens, possède vers 186 "les rues plus plus sales et les plus sombres que le monde ait jamais vues" et que "la suie et la fumée enveloppent continuellement d'un crasseux vêtement de deuil". La capitale anglaise n'a cependant pas le monopole de l'obscurité et de la saleté. Dans toutes les cités industrielles, les fumées déposent sur les immeubles, les objets et les personnes des couches e suie plus ou moins épaisses, plus ou moins grasses, dont il est pratiquement impossible de se débarrasser. D'où la permanence des vêtements masculins de couleurs sombres, spécialement le noir, trop cher pour être porté par les ouvriers - leurs tenues de travail sont bleues ou grises - mais qui dans les bureaux et le monde des affaires constitue une sorte d'uniforme.


Auteur: Pastoureau Michel

Info: Noir : Histoire d'une couleur. Toutes les couleurs du noir - XVIIIème-XXIème siècle, p.198

[ ébène ]

 

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Ajouté à la BD par miguel

transport ferroviaire

Nous roulons protégés dans l'égale lumière

Au milieu de collines remodelées par l'homme

Et le train vient d'atteindre sa vitesse de croisière

Nous roulons dans le calme, dans un wagon Alsthom,



Dans la géométrie des parcelles de la Terre,

Nous roulons protégés par les cristaux liquides

Par les cloisons parfaites, par le métal, le verre,

Nous roulons lentement et nous rêvons du vide.



A chacun ses ennuis, à chacun ses affaires;

Une respiration dense et demi-sociale

Traverse le wagon; certains voisins se flairent,

Ils semblent écartelés par leur part animale.



Nous roulons protégés au milieu de la Terre

Et nos corps se resserrent dans les coquilles du vide

Au milieu du voyage nos corps sont solidaires,

Je veux me rapprocher de ta partie humide.



Des immeubles et des gens, un camion solitaire:

Nous entrons dans la ville et l'air devient plus vif;

Nous rejoignons enfin le mystère productif

Dans le calme apaisant d'usines célibataires.

Auteur: Houellebecq Michel

Info: Célibataires, https://www.youtube.com/watch?v=435UpN6eFf4

[ tgv ] [ cohabitation sociale ] [ tension latente ] [ urbanisation ] [ poème ]

 

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langage

Ce qui nous environne, nous le supportons d’autant mieux que nous lui donnons un nom – et passons outre. Mais embrasser une chose par une définition, si arbitraire soit-elle, et d’autant plus grave qu’elle est plus arbitraire, puisque l’âme y devance alors la connaissance, - c’est la rejeter, la rendre insipide et superflue, l’anéantir. L’esprit oisif et vacant – et qui ne s’intègre au monde qu’à la faveur du sommeil – à quoi pourrait-il s’exercer sinon à élargir le nom des choses, à les vider et à leur substituer des formules ? Ensuite il évolue sur leurs décombres ; plus de sensations ; rien que des souvenirs. Sous chaque formule gît un cadavre : l’être ou l’objet meurt sous le prétexte auquel ils ont donné lieu. C’est la débauche frivole et funèbre de l’esprit. Et cet esprit s’est gaspillé dans ce qu’il a nommé et circonscrit. Amoureux de vocables, il haïssait le mystère des silences lourds et les rendait légers et purs : et il est devenu léger et pur, puisque allégé et purifié de tout. Le vice de définir a fait de lui un assassin gracieux, et une victime discrète.

Auteur: Cioran Emil Michel

Info: Précis de décomposition, in Œuvres, éditions Gallimard, 1995, page 585

[ nommer ] [ abstraction dévitalisante ] [ mots ] [ tiercités fuites ] [ emprisonnement linguistique ]

 
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socio-psychologie

Cette mise en scène d'un loup (Ysengrin) qui fait rire au lieu de faire peur ne constitue peut-être pas tant un exutoire, comme on pourrait le croire au premier abord, que le reflet d'une certaine réalité. Il semble bien que l'on ait moins peur du loup dans les campagnes des XIIe et XIIIe siècles qu'avant l'an mille, du moins en Europe occidentale. La peur du loup ne sera de retour qu'à la fin du Moyen Âge et, surtout, à l'époque moderne, où elle deviendra une angoisse permanente dans la vie des campagnes. Cette peur est en effet liée au périodes de crises (climatiques, agricoles, sociales), pas aux moments de prospérité économique ni d'essor démographique. Ce n'est pas un hasard si l'histoire de la Bête du Gévaudan trouve sa place dans la France du XVIIIe siècle et non au cœur du Moyen-Âge. À l'époque féodale, dans les campagnes françaises, on a surtout peur du Diable, du dragon, de la Mesnie Hellequin ou des revenants, mais on n'a plus guère peur du loup. Cette accalmie, hélas ! ne durera pas ; cette peur reviendra avec force moins de deux siècles plus tard.

Auteur: Pastoureau Michel

Info: Le loup : Une histoire culturelle

[ historique ] [ rumeurs ] [ fantômes communautaires ] [ lupus ]

 

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désidéalisation

Je ne jalouse pas ces pompeux imbéciles

Qui s’extasient devant le terrier d’un lapin

Car la nature est laide, ennuyeuse et hostile ;

Elle n’a aucun message à transmettre aux humains.



Il est doux, au volant d’une puissante Mercedes,

De traverser des lieux solitaires et grandioses ;

Manoeuvrant subtilement le levier de vitesses

On domine les monts, les rivières et les choses.



Les forêts toutes proches glissent sous le soleil

Et semblent refléter d’anciennes connaissances ;

Au fond de leurs vallées on pressent des merveilles,

Au bout de quelques heures on est mis en confiance ;



On descend de voiture et les ennuis commencent.

On trébuche au milieu d’un fouillis répugnant,

D’un univers abject et dépourvu de sens

Fait de pierres et de ronces, de mouches et de serpents.



On regrette les parkings et les vapeurs d’essence,

L’éclat serein et doux des comptoirs de nickel ;

Il est trop tard. Il fait trop froid. La nuit commence.

La forêt vous étreint dans son rêve cruel.

Auteur: Houellebecq Michel

Info: "Nature" dans "Poésie"

[ civilisation ] [ comparaison ] [ domination technologique ] [ anti-nature ]

 

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