L’enfant qui se mire dans ses aînés est suscité à se développer à leur image. Il construit son identité progressivement par des identifications successives. Caïn et Abel, déjà, c’est une histoire de miroir, mais laissons cela, ce n’est pas notre propos. Se mirant dans ses parents, après qu’il s’est découvert sexué, l’enfant brigue de jouer le rôle de l’adulte de son sexe qu’il aime vis-à-vis de l’adulte de l’autre sexe aimé de lui. Ainsi apparaît entre l’enfant et ses parents le conflit qu’en psychanalyse on nomme, depuis Freud, le complexe d’Œdipe et sa crise résolutoire de fait de l’angoisse liée à la rivalité meurtrière dont l’enfant se croit menacé dans son désir incestueux. En renonçant à ce désir incestueux, il découvre la richesse des liens chastes d’aimance et de soutien avec ceux de sa parenté. L’identité s’affirme par l’abandon du miroir magique des identifications stérilisantes à la vie et au désir des autres. Il entre dans le système des échanges.
L’enfant qui, dans la douleur, a rompu avec sa pensée magique qui le faisait s’imaginer participant de la supposée toute-puissance du géniteur de son sexe (qu’il suffisait d’écarter pour jouir de ses prérogatives auprès de son géniteur de l’autre sexe qui, l’aimant, ne pouvait donc que le désirer) choirait dans la déréliction si l’existence de la loi de la prohibition de l’inceste pour tous ne venait à son secours. Elle lui révèle en effet que père et mère, humains de toutes races, étaient comme lui – à la différence des animaux – soumis à cette loi universelle. Quittant alors ses rêves d’enfance, accueilli par la société, initié à ses lois, il se découvre droits et devoirs en miroir avec les autres de sa classe d’âge et de son sexe. Avec la nubilité, initié au travail qui lui permet de conquérir sa subsistance, il se cherche compagne ou compagnon de vie pour le désir charnel et l’accomplissement de sa génitude dans la fécondité avec l’autre (ou les autres) nécessaire(s) à l’accomplissement de son œuvre de chair et à l’éducation de ses enfants. Sa descendance. Le miroir à nouveau dans ces rencontres et dans sa descendance lui sera piège, car toujours le désir en s’accomplissant demande son plaisir. La chair et le cœur sont exigeants et l’être humain est jaloux de son identité fétichique tissée à son corps. Il se piège à l’image de son désir, qui se veut désir de l’autre, assuré contre la mort et sa déchéance ; il se piège dans la reconnaissance de ceux qu’il aime et qu’il veut s’attacher. Il fuit ceux qui lui rendent une image peu flatteuse de lui et ceux qui, s’il s’identifiant à eux, feraient déchoir l’image qu’il veut garder de lui et donner à voir aux autres.
[…] [Avec Jésus] Le miroir n’est pas aboli, il reste le ressort des agissements de ce monde, celui des sens. Mais Jésus nous révèle au-delà du royaume de ce monde (celui des mirages et des apparences), celui de la vérité.
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Info: L'évangile au risque de la psychanalyse, tome 1, éditions du Seuil, 1977, pages 166 à 168
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