concept psychanalytique

[…] la demande anale […] se caractérise par un renversement complet [de la demande orale] au bénéfice de l’autre, de l’initiative.

Et que c’est proprement là que gît - c’est-à-dire à un stade pas si évidemment avancé ni sûr dans notre idéologie normative - la source de la discipline, je n’ai pas dit le devoir, la discipline comme on dit, de la propreté où la langue française marque si joliment l’oscillation avec la propriété, avec ce qui appartient en propre, l’éducation, les bonnes manières si je puis dire.

Ici la demande est extérieure, et au niveau de l’autre, et se pose articulée comme telle. L’étrange est qu’il nous faut voir là et reconnaître, dans ce qui a toujours été dit, et dont il semble que personne n’ait vraiment traité la portée, que là naît à proprement parler l’objet de don comme tel, et que ce que le sujet peut donner dans cette métaphore est exactement lié à ce qu’il peut retenir, à savoir son propre déchet, son excrément. Il est impossible de ne pas voir quelque chose d’exemplaire, quelque chose qui est à proprement parler indispensable à désigner comme le point radical où se décide la projection du désir du sujet dans l’autre.

Il est un point de la phase, où le désir s’articule et se constitue, où l’autre en est à proprement parler le dépotoir. Et l’on n’est pas étonné de voir que les idéalistes de la thématique d’une "hominisation" du cosmos, ou comme ils sont forcés de s’exprimer de nos jours : de la planète, une des phases manifeste depuis toujours de l’hominisation de la planète, c’est que l’animal–homme en fait à proprement parler un dépotoir, un dépôt d’ordures. Le témoignage le plus ancien que nous ayons d’agglomérations humaines comme telles, ce sont d’énormes pyramides de débris de coquillages, ça a un nom scandinave [Kjökkenmödding].

Ce n’est pas pour rien que les choses sont ainsi. Bien plus il semble que s’il faut quelque jour échafauder le mode par où l’homme s’est introduit au champ du signifiant, c’est dans ces premiers amas qu’il conviendra de le désigner. Ici le sujet se désigne dans l’objet évacué comme tel. Ici est, si je puis dire, le point zéro du désir. Il repose tout entier sur l’effet de la demande de l’Autre. L’Autre en décide, et c’est bien où nous trouvons la racine de cette dépendance du névrosé. Là est le point sensible, la note sensible par quoi le désir du névrosé se caractérise comme prégénital.

C’est pour autant qu’il dépend tellement de la demande de l’Autre, que ce que le névrosé demande à l’Autre, dans sa demande d’amour de névrosé, c’est qu’on lui laisse faire quelque chose de cette place du désir, que c’est cette place du désir qui reste manifestement, jusqu’à un certain degré dans la dépendance de la demande de l’Autre. Car le seul sens que nous puissions donner au stade génital pour autant qu’à cette place du désir reparaîtrait quelque chose qui aurait droit à s’appeler un désir naturel - encore que, vu ses nobles antécédents, il ne puisse jamais l’être - c’est que le désir devrait bien un jour apparaître comme ce qui ne se demande pas, comme viser ce qu’on ne demande pas.

Et puis ne vous précipitez pas pour dire que c’est ce qu’on prend, par exemple, parce que tout ce que vous dites ne fera jamais que vous faire retomber dans la petite mécanique de la demande. Le désir naturel a - à proprement parler - cette dimension de ne pouvoir se dire d’aucune façon, et c’est bien pour ça que vous n’aurez jamais aucun désir naturel, parce que l’Autre est déjà installé dans la place, l’Autre avec un grand A, comme celui où repose le signe. Et le signe suffit à instaurer la question : "Che vuoi ?", "Que veux-tu ?" à laquelle d’abord le sujet ne peut rien répondre, toujours retardé par la question dans la réponse qu’elle postule. 

Auteur: Lacan Jacques

Info: 22 mars 1961

[ différence ] [ oblativité ] [ merde ] [ aliénation ] [ après-coup ]

 

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