ethnologie

Quelqu’un de connu - notre ami Henri EY - a retenu son regard sur ce sujet des perversions animales, qui vont plus loin après tout que tout ce que l’imagination humaine a pu inventer. Je crois qu’il en a fait même dans l’Évolution psychiatrique un numéro.

Pris sous ce registre, ne nous voilà-t-il pas ramenés à la vue aristotélicienne d’une sorte de champ externe au champ humain du fondement du désir pervers ? C’est là que je vous arrêterai un instant en vous priant de considérer ce que nous faisons quand nous nous arrêtons à ce fantasme de "la perversion naturelle". Je ne méconnais pas, en vous priant de me suivre sur ce terrain, ce que peut paraître avoir de pointilleux, de spéculatif une telle réflexion, mais je crois qu’elle est nécessaire pour décanter ce qu’il y a à la fois de fondé et d’infondé dans cette référence.

Et aussi bien, par là allons-nous - vous allez le voir tout de suite - nous trouver rejoindre ce que je désigne comme fondamental dans la subjectivation, comme moment essentiel de toute instauration de la dialectique du désir.

Subjectiver la mante religieuse en cette occasion, c’est lui supposer - ce qui n’a rien d’excessif - une jouissance sexuelle.

Et après tout nous n’en savons rien, la mante religieuse est peut-être, comme DESCARTES n’hésiterait pas à dire, une pure et simple machine - "machine" : dans son langage à lui - qui suppose justement l’élimination de toute subjectivité. Nous n’avons nul besoin, quant à nous, de nous tenir à ces positions minimales : nous lui accordons cette jouissance. Mais cette jouissance - c’est là le pas suivant - est-elle jouissance de quelque chose en tant qu’elle le détruit ? Car c’est seulement à partir de là qu’elle peut nous indiquer les intentions de la nature.

[…]

Il n’est pas douteux que, pas seulement dans ce qui nous fascine nous, mais dans ce qui fascine le mâle de la mante religieuse, il y a cette érection d’une forme fascinante, ce déploiement, cette attitude d’où pour nous elle tire son nom : "la mante religieuse", c’est singulièrement de cette position - non sans doute sans prêter pour nous à je ne sais quel retour vacillant - qui se présente à nos yeux comme celle de la prière. Nous constatons que c’est devant ce fantasme, ce fantasme incarné, que le mâle cède, qu’il est pris, appelé, aspiré, captivé dans l’étreinte qui sera pour lui mortelle. Il est clair que l’image de "l’autre imaginaire" comme tel est là présente dans le phénomène, qu’il n’est pas excessif de supposer que quelque chose se révèle là de cette image de l’autre.

Mais est-ce pour autant dire qu’il y a là déjà quelque préfigure, une sorte de calque inversé de ce qui se présenterait donc chez l’homme comme une sorte de reste, de séquelle, d’une définie possibilité des variations du jeu des tendances naturelles ? Et si nous devons accorder quelque valeur à cet exemple, monstrueux à proprement parler, nous ne pouvons tout de même pas faire autrement que remarquer que la différence avec ce qui se présente dans la fantasmatique humaine - celle où nous pouvons partir avec certitude du sujet, là où seulement nous en sommes assurés, à savoir en tant qu’il est le support de la chaîne signifiante - nous n’y pouvons donc pas ne pas remarquer que dans ce que nous présente la nature il y a, de l’acte à son excès, à ce qui le déborde et l’accompagne, à ce surplus dévorateur qui le signale pour nous comme exemple d’une autre structure instinctuelle, qu’il y a là synchronie : c’est que c’est au moment de l’acte que s’exerce ce complément pour nous exemplifiant la forme paradoxale de l’instinct.

Dès lors, est-ce qu’ici ne se dessine pas une limite qui nous permet de définir strictement en quoi ce qui est exemplifié nous sert, mais ne nous sert qu’à nous donner la forme de ce que nous voulons dire quand nous parlons d’un désir. Si nous parlons de la jouissance de cet autre qu’est la mante religieuse, si elle nous intéresse en cette occasion, c’est que, ou bien elle jouit là où est l’organe du mâle, et aussi elle jouit ailleurs, mais où qu’elle jouisse - ce dont nous ne saurons jamais rien, peu importe - qu’elle jouisse ailleurs ne prend son sens que du fait qu’elle jouisse - ou ne jouisse pas, peu importe - . Qu’elle jouisse où ça lui chante, ceci n’a de sens, dans la valeur que prend cette image, que du rapport à un "là" d’un jouir virtuel.

Mais en fin de compte dans la synchronie - de quoi que ce soit qu’il s’agisse - ce ne sera jamais après tout, même détournée, qu’une jouissance copulatoire. […] 

Cette préférence de la jouissance à toute référence à l’autre se découvre comme la dimension de polarité essentielle de la nature. Il n’est que trop visible que ce sens moral, c’est nous qui l’apportons, mais que nous l’apportons dans la mesure où nous découvrons le sens du désir comme ce rapport à quelque chose qui, dans l’autre, choisit cet objet partiel.

Faisons ici encore un peu plus attention. Cet exemple est-il pleinement valable pour nous illustrer cette préférence de la partie par rapport au tout, jugement illustrable dans la valeur érotique de cette extrémité mamelonnaire dont je parlais tout à l’heure ? Je n’en suis pas si sûr, pour autant que c’est moins, dans cette image de la mante religieuse, la partie qui serait préférée au tout - de la façon la plus horrible, nous permettant déjà de court-circuiter la fonction de la métonymie - que plutôt le tout qui est préféré à la partie.

N’omettons pas en effet que, même dans une structure animale aussi éloignée de nous en apparence que l’est celle de l’insecte, la valeur de concentration, de réflexion, de totalité, représentée quelque part dans l’extrémité céphalique, assurément fonctionne, et qu’en tout cas, dans le fantasme, dans l’image qui nous attache, joue avec son accentuation particulière, cette acéphalisation du partenaire telle qu’elle nous est présentée ici. 

Auteur: Lacan Jacques

Info: 22 mars 1961

[ psychanalyse ] [ animaux-par-hommes ] [ diachronie ] [ temporalité ] [ différence ] [ grand Autre ] [ objet a ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

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