Ce texte propose une lecture approfondie de la théorie du signe de Charles Sanders Peirce, en l'articulant comme un nouveau modèle sémiotique du mental, et interroge sa portée pour la philosophie du langage, de la connaissance et de l'esprit.
Le pragmatisme peircien : fondement logique et sémantique des idées
Il est rappellé que le pragmatisme naît chez Peirce de la volonté de donner une méthode rigoureuse pour clarifier le sens des concepts. Le sens d'une idée ou d'un concept consiste en la totalité des effets pratiques concevables qu'elle pourrait engendrer. Cela signifie que la signification est donnée par une série de conditions expérimentales dépendantes en termes et pratiques – toute différence de croyance doit se traduire par une différence de conduite ou d'effet observable. Cette conception élimine tout sens en dehors de ses implications pratiques et vise à dissiper de nombreux faux problèmes métaphysiques en recentrant la philosophie sur l'analyse des usages effectifs du langage comme des croyances et des habitudes.
La pensée comme sémiotisation : le refus du mental comme substance interne
Peirce développe la thèse centrale selon laquelle " nous n'avons pas le pouvoir de penser sans les signes ", idée qui récuse le solipsisme et la représentation de la pensée comme pure intériorité. Le moi n'est qu'un effet du dialogue, de la communication, même dans son intimité. La pensée est fondamentalement dialogique et ne se réduit ni à un monologue interne ni à un " sens dans la tête ", mais consiste toujours en un échange de signes où le langage n'est pas un simple véhicule, mais " la matière même " de la pensée. On pense dans et par les signes ; sans eux, il n'y a pas de pensée.
Continuité et triadicité de la sémiosis
La connaissance est toujours déterminée par une connaissance antérieure : la pensée s'inscrit dans un processus infini où toute pensée est une pensée-signe, renvoyant à d'autres pensées-signes dans un dialogue sans clôture. Peirce approfondit l'idée avec la triade fondamentale de la relation sémiotique : tout signe met en jeu trois pôles – le signe lui-même, son objet, et son interprétant (l'effet ou la traduction générée par le signe sur un récepteur, qui est à son tour un signe). La catégorie de " Tiercéité " manifeste ainsi la spécificité du mental : toute relation authentiquement signifiante est triadique, non simplement dyadique (cause à effet sans médiation).
Classification des signes & primat du symbole
Peirce propose différentes classifications du signe : icône (signe par ressemblance), index (signe par contiguïté ou causalité réelle) et symbole (signe par convention et interprétation). Cependant, ces distinctions ne prennent sens que dans le processus global de la " sémiose ", où la fonction et la destination du signe (son sens) ne peuvent être pleinement saisies qu'en relation avec d'autres signes, dans une dynamique sans fin. Le but n'est pas tant la représentation que " d'amener la vérité à l'expression " : le signe se définit moins par son essence statique que par ce vers quoi il tend, par sa vocation à entrer dans des chaînes interprétatives toujours renouvelées.
La " mentalisation " du signe et le rôle de l'interprète
Il n'y a pas d'un côté de la pensée, de l'autre le signe : leur relation est entièrement réciproque, indéfiniment ouverte, et gouvernée par le rôle central de l'interprète. L'interprétant n'est pas nécessairement une personne, mais peut être toute transformation, traduction ou effet d'un signe sur un autre. La signification se déploie dans cet effort de traduire, d'interpréter, de reformuler, qui s'ouvre sur une série présumée infinie d'interprétants – le sens n'est jamais fixé définitivement, mais croît en se développant à travers de nouvelles interprétations.
Objectivité et réalisme sémiotique : l'objet comme " limite fictive "
Pour Peirce, le référent ou l'objet du signe n'est jamais un donné brut, préalable ou totalement extérieur : il n'est que la " limite fictive " des interprétations, déjà pluralisée, construite, et structurée par les règles du langage et de la communauté interprétative. La signification demeure indéterminée, en amont comme en aval, de sorte que le sens d'un signe n'est pas ce qu'il est mais ce vers quoi il tend, selon une finalité (causalité finale) propre à l'esprit.
Conclusion : une sémiose infinie, finalité et créativité du sens
La théorie peircienne de la pensée-signe évoque toute clôture du sens, toute autonomie du donné phénoménal ou des mythes de l'intériorité. Toute pensée est production et traduction de signes en d'autres signes, dans un processus indéfini guidé par la Tiercéité – l'instance médiatrice, rationnelle et téléologique qui sous-tend l'intelligibilité. Le signe n'existe que par sa vocation à la traduction, à l'interprétation créatrice, et à la croissance perpétuelle de la signification, où pensée, langage et réalité s'interpénètrent sans jamais se ramener à des essences données ou à des états internes statiques.
Telle se présente la dynamique sémiotique profonde que Peirce propose comme modèle de la pensée : une théorie radicalement anti-substantialiste du mental, de la signification et de l'intelligence, où la pensée n'a d'autre réalité que sémiotique, dialogique, et créatrice, perpétuellement médiée par le jeu infini des signes.
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Info: A propos de son grand ouvrage sur CS Peirce : "La pensée-signe – Un nouveau modèle du mental", Éditions de la Maison des sciences de l'homme, 2013, synthèse établie par perplexity.ai - 10 octobre 2025
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