Des planètes océans, gazeuses ou brûlantes… Comment notre vision de l'Univers a changé, trente ans après la découverte de la première exoplanète
L'annonce de la découverte de l'exoplanète 51 Pegasi b date du 6 octobre 1995. Il s'agit de la première planète détectée en dehors de notre système solaire, autour d'une étoile semblable à la nôtre.
" Je rêvais d'un autre monde ", chantait le groupe français Téléphone en 1984. Ces paroles ont rejoint la réalité onze ans plus tard. Le 6 octobre 1995, deux astronomes suisses, Michel Mayor et Didier Queloz, ont annoncé la découverte de la première exoplanète, c'est-à-dire une planète en dehors de notre système solaire, tournant autour d'une étoile semblable au Soleil. Une révolution. "A l'époque, personne ne savait vraiment si les exoplanètes existaient. On le soupçonnait seulement", rappelait Michel Mayor auprès de franceinfo, en 2018, avant de recevoir le prix Nobel de physique l'année suivante pour cette trouvaille majeure.
Trente ans après la découverte de 51 Pegasi b, les connaissances ont nettement évolué. Si, à l'époque, la présence de planètes autour d'autres étoiles n'était qu'hypothétique, il est désormais établi que les exoplanètes sont abondantes (l'existence d'environ 6 000 planètes extrasolaires est confirmée). "Il y a des planètes autour de quasiment toutes les étoiles de notre galaxie, la Voie lactée", résume Didier Queloz auprès de franceinfo.
"Nous sommes passés d'un grand questionnement sur l'existence des exoplanètes au constat qu'elles sont plutôt banales", constate également auprès de franceinfo Franck Selsis, directeur de recherche CNRS au laboratoire d'astrophysique de Bordeaux. "Lorsqu'une étoile se forme, cela s'accompagne presque systématiquement d'un cortège de planètes", commente l'astrophysicien.
Plus de la moitié des étoiles comptent probablement au moins une planète, selon les spécialistes interrogés. Et la Voie lactée, où se trouve la Terre, compte entre 100 milliards et 400 milliards d'étoiles, selon les estimations rapportées par la Nasa.
Une variété qui surprend la communauté scientifique
"La chose plus intéressante à souligner au bout de trente ans, c'est la diversité absolument incroyable" des exoplanètes, synthétise auprès de franceinfo Anne-Marie Lagrange, directrice de recherche au CNRS à l'Observatoire de Paris-PSL, et spécialiste de ces corps célestes. Le cas de 51 Pegasi b illustre cette variété. Elle est ce que les spécialistes appellent une "Jupiter chaude", une notion qui relevait jusqu'alors de l'oxymore, puisque les modèles de formation des planètes ne prévoyaient pas qu'un tel corps céleste puisse exister.
A l'origine, les scientifiques s'attendaient à ce que les éventuels autres systèmes de planètes suivent la même répartition que le nôtre : d'abord, près de l'étoile, les petites planètes telluriques (comme la Terre, Mercure, Venus et Mars), plus loin les géantes gazeuses (comme Jupiter, et Saturne) puis, plus loin encore, les planètes géantes glacées (comme Uranus et Neptune). Jupiter, la plus grosse planète de notre système solaire, se trouve loin du Soleil. Il y règne une température de -160°C en moyenne selon le Cnes, l'agence spatiale française. Pas de place pour une "Jupiter chaude" dans cette configuration.
Les chercheurs ont été totalement pris à contrepied par 51 Pegasi b, une planète géante, gazeuse, très chaude, qui se trouve à proximité de son étoile. "Elle est 100 fois plus proche de son étoile que Jupiter du Soleil", remarque Anne-Marie Lagrange. Alors que Jupiter effectue le tour du Soleil en onze ans, "51 Peg" – pour les intimes – fait celui de son étoile en seulement quelques jours. "On ne s'attendait pas du tout à une telle découverte. Cela a été un énorme choc pour la communauté scientifique", poursuit auprès de franceinfo Faustine Cantalloube, chercheuse CNRS en astrophysique, spécialisée dans la détection d'exoplanètes par imagerie.
Gigantesques et extrêmement chaudes
Les autres exoplanètes découvertes ont aussi apporté leur lot de surprises. Une part importante d'entre elles n'ont pas d'équivalence dans notre voisinage. Anne-Marie Lagrange cite les "super-massives", grosses jusqu'à 13 fois la masse de Jupiter, se trouvant parfois à la limite entre les planètes et les "naines brunes" (une catégorie distincte de corps célestes, entre les planètes et les étoiles, explique l'agence spatiale canadienne).
L'astrophysicienne, membre de l'Académie des sciences, mentionne également le cas des nombreuses planètes intermédiaires qui se situent entre les "super-Terres" et les "sous-Neptune", dont la taille varie jusqu'à quinze fois la masse de notre planète.
Les scientifiques ont également découvert des planètes océans, comme Kepler 62e et 62f, à 1 200 années-lumière de la Terre, ou encore GJ 1214b, à une quarantaine d'années-lumière de nous. Mais également des mondes étranges comme la planète gazeuse Wasp-76b, à 637 années-lumière de la Terre, avec une température de 2 400°C pour la face constamment exposée à la lumière de son étoile, et une météo extrême, faite de pluie continue de fer fondu.
Les températures brûlantes sont habituelles sur les exoplanètes découvertes jusqu'à maintenant car, dans leur "immense majorité", elles se trouvent "à l'intérieur de l'orbite de Mercure [la première planète de notre système solaire]", relève le spécialiste Franck Selsis. En clair, elles se trouvent très près de leur étoile, qui les chauffe de façon intense.
Ce constat témoigne de la limitation des instruments de détection actuels, qui ne peuvent déceler que les exoplanètes "extrêmes", c'est-à-dire les plus imposantes, les plus chaudes, les plus proches de leur étoile. "Si tous les systèmes planétaires étaient semblables à notre système solaire, on n'en aurait peut-être découvert aucun. Ou on aurait découvert la Jupiter locale. Toutes les autres sont au-delà de nos capacités de détection", explique-t-il. En clair, aussi riche soit-il, l'échantillon d'exoplanètes connu est probablement restreint et peu représentatif de l'ensemble de toutes les planètes de l'univers.
Pas encore de jumelle de la Terre
Une question demeure : la planète qui nous abrite est-elle rare ? Aucune exoplanète à ce jour ne croise les mêmes caractéristiques que la Terre en termes de taille, de masse, de composition d'atmosphère, d'orbite et de voisinage. "C'est frustrant parce qu'on ne peut pas répondre à la question", concède l'astrophysicien Didier Queloz, obsédé par le sujet.
Les connaissances vont continuer de progresser avec l'amélioration des techniques d'observation. La prochaine étape attendue des spécialistes concerne la possibilité d'analyser les atmosphères des exoplanètes. Cela a en partie commencé avec le télescope spatial James Webb qui a utilisé sa puissance d'observation pour scruter des planètes lointaines, découvrant du dioxyde de carbone (CO2) dans l'atmosphère de WASP-39 à 130 années-lumière de la Terre.
Le plus puissant télescope spatial de l'histoire a aussi pointé ses instruments vers le système Trappist-1, à 40 années-lumière de nous. Il a attiré l'attention car il est constitué d'une étoile autour de laquelle orbitent sept planètes rocheuses. La communauté scientifique nourrit l'espoir d'y détecter une forme de vie, car trois planètes se trouvent dans la zone habitable de l'étoile, c'est-à-dire à une distance où il ne fait ni trop chaud ni trop froid. Autrement dit, un secteur compatible avec la présence d'eau liquide, élément indispensable à la vie. Le télescope James Webb a déjà découvert que la planète Trappist-1b n'a pas d'atmosphère et que son sol est composé de roches basaltiques comme on en trouve dans le manteau terrestre.
La découverte d'une jumelle de la Terre est-elle imminente ? "Il va falloir franchir un saut qualitatif énorme", prévient Franck Selsis, qui a beaucoup travaillé sur Trappist-1 et relate avoir peiné à obtenir des informations sur l'atmosphère des exoplanètes du système. Didier Queloz, lui, estime que le moment est proche : "Cela nécessite un peu plus de travail, un peu plus d'ingéniosité, peut-être des instruments un peu meilleurs, mais nous n'en sommes pas très loin."
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Info: Louis San, France Télévisions, 6 nov 2025
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