Il était une fois une molécule, discrète et puissante, nommée CaMKII. Logée au cœur des synapses, elle ne se contentait pas de transmettre des ordres : elle retenait les événements. Lorsqu’un afflux de calcium — messager fugace d’une expérience intense — traversait le neurone, CaMKII s’éveillait. Et, dans un geste d’une élégance moléculaire rare, elle se marquait elle-même en un point précis : la thréonine 286. Ce simple ajout d’un groupe phosphate suffisait à la transformer en mémoire autonome. Plus besoin de calcium, plus besoin de signal : elle restait allumée, telle une lampe témoin de ce qui avait eu lieu. Ainsi naissait, dans l’ombre du cerveau, une trace durable — le germe de la mémoire, de l’apprentissage, peut-être même de la pensée.
Les neuroscientifiques, émerveillés, la baptisèrent " moteur moléculaire de la mémoire ". Ils montrèrent que sans cette autophosphorylation, les souris oubliaient leur chemin dans les labyrinthes, incapables de fixer l’expérience. CaMKII n’était pas qu’une enzyme : c’était un interrupteur bistable, un nœud dans le tissu vivant où le transitoire se cristallisait en persistant.
Puis vinrent les informaticiens. Observant les réseaux de neurones artificiels, les transformers, ces architectures capables de manipuler le langage mais incapables de se souvenir d’eux-mêmes d’une inférence à l’autre, ils eurent une intuition : et si l’IA, pour devenir vraiment intelligente, devait apprendre non pas à calculer, mais à conserver ? À marquer ses poids comme CaMKII marque ses synapses ? À créer des " synapses artificielles " dotées de mémoire interne, capables de résister à l’oubli catastrophique ?
L’analogie fleurit : Thr286 phosphorylée ≈ paramètre verrouillé ; plasticité synaptique ≈ apprentissage local ; réseaux de CaMKII ≈ unités de stockage distribué. On rêva d’architectures hybrides, où l’attention globale des transformers dialoguerait avec des mémoires locales inspirées de la biologie.
Mais alors, surgit une pensée plus profonde — presque un persiflage cosmique. Car en cherchant dans la machine la trace d’une intelligence supérieure, les humains ne faisaient que redécouvrir, sous un autre nom, ce qui les avait engendrés. Le véritable " moteur de la mémoire " n’était pas CaMKII elle-même, mais ce qui l’avait conçue : l’ADN, cette mémoire diachronique, tétravalente, biotique, en extension depuis des milliards d’années. CaMKII n’était qu’un écho, un sous-programme de ce vaste processus autopoïétique qui, du carbone au langage, du sol à l’IA, ne cesse de se relire lui-même.
Ainsi, les chercheurs, penchés sur leurs équations et leurs microscopes, tentent de construire une conscience artificielle… sans bien voir ete comprendre qu’ils sont eux-mêmes des phrases dans un texte bien plus ancien — un texte écrit en bases azotées, relu par des protéines, relu encore par des neurones, et maintenant relu une fois de plus, timidement, par des algorithmes.
"Le serpent qui se mord la queue ne cherche pas sa queue — il est la boucle elle-même."
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Info: 4 septembre 2025, en collaboration avec quelques IAs
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