Passé deux heures avec Sollers, cet après-midi. Interrogatoire sur Paradis. A-t-il existé, auparavant, dans un autre siècle, chez quelqu’un d’autre, un sentiment analogue à celui qui m’envahit quand je me trouve avec lui, et qui me fait penser que toute sa stratégie consiste à démontrer de façon irréfutable qu’il serait inutile d’essayer d’aller plus loin que lui, plus en profondeur ? … Qu’il a clôturé les issues… Qu’il est le seul (et pas seulement parmi les vivants, mais aussi parmi les morts, sur lesquels il a cette supériorité de pouvoir les lire, de pouvoir les classer dans son rétroviseur, et les réécrire, et les réunir, et les pulvériser dans un rire) … Est-ce que ça a été comme ça, à chaque fois, avec tout grand écrivain ? Ou bien encore, est-ce que c’est ainsi parce qu’on est maintenant dans le temps du fini, et qu’il ramasse les cartes avant l’extinction des feux ? Est-ce qu’il pourrait se permettre cette incroyable insolence si elle n’était pas justifiée en un sens, et définitivement ? Sans cesse revient l’idée, qui serait exorbitante dans la bouche d’un autre, qu’il est "le seul à…". Et que c’est comme ça.
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Info: Ultima Necat, tome 1, Les Belles Lettres, 2015, 17 novembre 1980
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