Ceux qui croient vraiment être ce qu’ils sont, qui ne se sentent pas malades de leur nom fuyant, qui habitent patiemment la maladie de leur corps, qui savent reconnaître leur droite de leur gauche, ce monde du néant, ce siècle des autres, leur femme des autres femmes, leur mort des autres morts, leur mémoire de toutes les mémoires montantes et descendantes, n’ont pas besoin de lire Bloy, ni d’ailleurs aucun écrivain, ils peuvent dormir tranquilles en se pensant nés de l’homme et de la femme, ils ne seront jamais réveillés par le cauchemar de la chute infinie, jamais travaillés par la multiplicité dans l’identité, ou encore par cette efflorescence de signatures glissantes qu’aligne Bloy pour reconstituer son impossible nom propre : Satan-Paraclet-Femme-Christ-Lucifer-Napoléon-Israël et qui vous voudrez. Bloy emprunte un long chemin détourné pour tenter de revenir à lui-même, n’y parvient pas, repart, débouche dans ce siècle, dans un autre. A sa manière tellement tordue, anachronique, souvent grandiloquente, parfois ridicule, c’est pourtant, en un sens et très exactement, toute l’aventure de la modernité littéraire qu’il dessine – Artaud, Lautréamont, Céline, Joyce, etc. – de l’extérieur et à gros traits appuyés, à travers des saturations insensées de syntaxe. La sphère où, après lui, les écrivains du XXe siècle interviendront mais de façon absolument négative (sans plus se préoccuper d’aucune signification supérieure), Bloy l’a connue, cernée de l’extérieur, il s’est exténué à lui trouver un sens et c’est cela que je veux tenter de suggérer d’abord à travers ces pages.
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Info: Ultima Necat, tome 1, Les Belles Lettres, 2015, Bloy, l’homme au secret, 1er septembre 1979
Commentaires: 2
Coli Masson
09.09.2025
Ce n'est pas la singularité qui est illusoire mais l'identité. En ce sens, je prends. Quêteur, pourquoi pas.
miguel
09.09.2025
quêteur, illusoire singularité ?