Comment la nature se pare de couleurs
Lorsque les objets interagissent avec la lumière d'une manière singulière – l'absorbant ou la réfléchissante –, les couleurs naissent en nos yeux. Les teintes orangées du crépuscule et les bleus profonds de l'océan stimulent la créativité des artistes et émerveillent les admirateurs attentifs. Mais la couleur n'est pas qu'un simple ornement : elle occupe un rôle vital dans le vivant. Elle attire des partenaires, pollinisateurs ou disséminateurs de graines, et signale parfois le danger. Une même teinte peut porter des messages fort dissimulables : un oiseau rouge espère séduire, tandis qu'une baie s'écarlate met en garde l'homme affamé.
Pour que la couleur prenne des sens, il a fallu que la nature invente des systèmes pour la produire, élaborant des pigments pour absorber certaines longueurs d'onde, ou des structures pour les réfléchir. Les organismes ont aussi mis au point les mécanismes nécessaires à la perception des couleurs. En contemplant une forêt on perçoit un foisonnement de verts animés de lumière dorée et de fleurs roses ; mais, ce paysage changet du tout au tout dans les yeux d'un oiseau ou d'une mouche. La perception colorée – exploitée par des photorécepteurs capables de distinguer la lumière – varie d'une espèce à l'autre. Là où l'humain ignore l'ultraviolet, certains oiseaux le voient ; là où le chien ne distingue ni rouge ni vert, beaucoup d'hommes le peuvent. Même au sein d'une espèce, il existe des variantes : les personnes daltoniennes peinent à discerner certaines combinaisons, tel le vert et le rouge. Nombre d'organismes, enfin, vivent dans un monde privé de couleurs.
Ainsi, sur notre planète unique, coexistent bien des mondes polychromes. Mais comment ces couleurs sont-elles nées ?
Découvertes et perspectives récentes
Pour déterminer le moment où les différents signaux chromatiques seraient apparus, des chercheurs ont récemment passé en revue de nombreuses publications couvrant des centaines de millions d'années d'histoire évolutive, mariant données fossiles et phylogénétiques (représentant les liens arbres évolutifs entre espèces). Leur analyse de l'arbre du vivant suggère que les signaux colorés sont probablement apparus bien après la vision des couleurs elle-même, laquelle aurait évolué à deux reprises, de façon indépendante chez les arthropodes et chez les poissons, il y a 400 à 500 millions d'années. Suivant ce progrès, les plantes auraient adopté des couleurs vives pour attirer les pollinisateurs ou les disséminateurs, les animaux auraient ensuite utilisé la couleur tantôt pour détourner les prédateurs, tantôt pour séduire.
La couleur verte, si répandue dans la nature, n'est pourtant pas un véritable signal : elle naît de la photosynthèse. La plupart des plantes absorbent la quasi-totalité des photons des spectres rouges et bleus, mais seulement 90 % des photons verts ; les 10 % qui restent sont réfléchis, rendant ainsi la plante verte à nos yeux. Pourquoi cette particularité ? Un modèle propose que ce mécanisme rend la machinerie photosynthétique plus stable, l'évolution privilégiée parfois la robustesse à l'efficacité.
La plupart des couleurs chez le vivant proviennent de pigments qui absorbent ou réfléchissent diverses longueurs d'ondes. Si le nombre de végétaux peuvent fabriquer ces pigments, la plupart des animaux doivent les obtenir par leur alimentation. Certains pigments restent rares, si bien que certains animaux ont développé des nanostructures capables de disperser la lumière de façon à créer des " couleurs structurelles ". Ainsi, la coquille de la patelle à rayons bleus se compose de couches superposées de cristaux transparents, chaque strate diffractant et réfléchissant une portion du spectre lumineux. Lorsque ces couches atteignent l'épaisseur précise d'environ 100 nanomètres, leurs ondes s'annulent mutuellement – sauf le bleu. Il en résulte l'éclat saisissant de la coquille bleue de patelle à rayons.
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Info: Quanta Magazine, Yasemin Sapakoglu, septembre 2025
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