Elle a un étrange postérieur, Mafalda. Peu saillant. De forme, il me semble octogonal, plat, mais cependant volumineux. Il vient de lui prendre l’idée de le frotter contre mon ventre en se déhanchant imperceptiblement, dans un mouvement mécanique. Elle penche la tête vers son épaule et me demande : "ça te plaît ?
- Oui."
Mensonge. Naturellement, ça ne me plaît pas, mais encore moins à "lui" [le pénis du narrateur] qui persiste, bien contre ma volonté, dans son indifférence. Ce frottement d’épidermes n’arrive qu’à le faire tourner sur lui-même comme une petite boule de chiffon. J’avance les mains pour risquer une caresse exploratrice, qui le réveillerait. Oh là là ! J’ai l’impression de toucher des coussinets presque vides liés n’importe comment sur un squelette. Deux de ces coussins oscillent sur la cage thoracique ; un troisième est accroché à la pointe du bassin, deux autres, de formes oblongues, dansent autour des fémurs. Mafalda, ce n’est plus que des os recouverts d’une chair qui va bientôt disparaître. […]
Insensiblement, nous nous approchons du lit. Mafalda s’y jette les jambes ouvertes ; s’accroche à mes bras et me tire sur elle comme elle doit tirer sa couverture le soir avant de s’endormir. Je suis soudé entre ses cuisses refermées, ventre contre ventre, poitrine contre poitrine, mon visage enfoncé dans l’oreiller, écrasé dans ses cheveux. Je sens son corps bouger et sa peau tourner autour de ses os et je me dis que peut-être bientôt sa chair se détachera d’elle comme celle d’une volaille qu’on a laissée longtemps cuire dans l’eau bouillante et que sur ce lit il ne restera d’elle qu’un petit squelette bien propre et bien blanc.
[…] Mafalda, étendue sous moi, bouge beaucoup : elle doit chercher quelque chose ; hélas, elle ne trouve qu’une petite pelote de peau sans nerf ni consistance. Brusquement, elle me retourne et s’abat sur moi. J’ai l’impression […] que c’est Mafalda qui de nous deux est le mâle. C’est elle qui prend l’initiative ; c’est elle qui, d’une certaine façon, me pénètre. Je ressens, à chaque mouvement de son bassin, une pression violente à laquelle ne correspondent concurremment qu’un effondrement et une retraite de sa part à "lui". C’est si vrai que brusquement j’ai la sensation étrange et troublante d’être une femme : à l’endroit où "lui" avait pour toujours installé son encombrante personne, il n’y a plus qu’un manque et, pourquoi pas, une cavité.
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Info: Moi et lui, traduit de l’italien par S. de Vergennes, Flammarion, 1971, pages 446-448
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