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La Sagesse part de notions, abstraites certes, mais douées d’un contenu extrait du réel par un entendement dont la lumière retrouve, dans les formes, celle même dont il est en nous l’empreinte. La notion première d’être, avant toute autre, est pour la métaphysique un donné, à la fois appréhendé comme tel et éclairé de la lumière de Qui Est, cause de tout intellect comme de tout intelligible. Ce donné, et l’expérience intellectuelle que nous en prenons, est le véritable principe de la métaphysique. Toute la Sagesse philosophique est virtuellement contenue dans le sens du mot "est". On ne doit donc pas en faire, comme on se laisse aller à le dire, un "point de départ". Il faut y demeurer longtemps et ne s’en éloigner que pour y revenir au plus vite. L’être est la plus universelle et la plus évidente des notions, mais c’est aussi la plus mystérieuse, comme il convient au nom même de Dieu.

Les divergences entre métaphysiques n’ont pas d’autre cause. […] Toute métaphysique présuppose donc une notion de l’être donnée à la méditation du métaphysicien comme une vérité de cette simple vue qu’Aristote justifie par la transcendante excellence de l’intellect sur les principes mêmes qu’il pose. Il n’y a pas de science de la cause de la science ; aussi les controverses entre grandes métaphysiques sont-elles vaines, tant qu’elles s’opposent mutuellement sur le plan des conséquences sans s’affronter d’abord sur celui des principes. Mais de confronter leurs interprétations des principes, c’est ce qu’elles n’aiment pas faire, car leur premier principe est le même, seulement elles l’entendent différemment.

[…] Si elle ne portait que sur une notion abstraite, la métaphysique ne serait qu’une logique. Science réelle, la philosophie première porte sur l’être qui est, et c’est pourquoi, comme le dit encore pertinemment Suarez (MD. II, 2, 29), s’il n’y avait ni Dieu ni Anges, il n’y aurait pas de métaphysique. Tout se passe comme si les métaphysiciens se dispersaient à l’intérieur d’un même espace intelligible, trop vaste pour qu’ils aient la chance de s’y rencontrer. [...]

La métaphysique est donc science, à partir du point où, s’étant saisie du principe, elle commence d’en déduire les conséquences, mais le sort de la doctrine se joue sur l’intellection du principe. On comprendra bien rarement un vrai métaphysicien dans l’acte de se contredire lui-même : c’est dès le début, qu’il faut prendre position sur les doctrines et c’est sur la première démarche de l’entendement formant les principes qu’il faut longuement réfléchir soi-même avant de s’engager. […]

Il ne faut donc pas enseigner la métaphysique en s’attachant surtout à la suite des conséquences. La dialectique y triomphe si aisément qu’elle peut déduire correctement toutes les conclusions d’un principe sans en voir la vérité ni en comprendre le sens. De là, dans les controverses, l’impression qu’éprouvent les adversaires d’être perpétuellement incompris ; et ils le sont en effet, chacun d’eux jugeant chez l’autre la chaîne des conséquences à la lumière de sa propre intellection du sens des principes.

Le bon maître de philosophie ne procède pas ainsi. Ayant lui-même longuement médité, il dit ce qu’il voit et s’efforce d’amener les autres à le voir. Pour cela, avant d’entreprendre de démontrer le démontrable, il explique la vérité indémontrable pour en dévoiler l’évidence.

C’est tout un art. Vieux comme la métaphysique elle-même, cet art est si connu depuis Platon qu’il n’y a pas lieu d’y insister. Il faut, à partir des images, transcender les images pour atteindre, comme par éclairs, l’intelligible. Le peu que l’on en voit, on attendra de l’entendement qu’il en suscite la vue chez les autres en procédant à l’analyse ostensive du contenu de la notion. 

Auteur: Gilson Etienne

Info: Introduction à la philosophie chrétienne, Vrin, 2011, pages 123-126

[ définition ] [ contemplation ] [ multiplicité ]

 

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