théorie de la connaissance

On s’accorde à dire que, dans l’épistémologie thomiste, l’intellect agent conçoit immédiatement les principes par mode d’abstraction à partir de l’expérience sensible, et c’est exact. On ajoute donc que l’intellect suffit à cette opération, qu’il l’accomplit par sa lumière naturelle propre, sans qu’il soit besoin, pour l’expliquer, de recourir à l’illumination complémentaire de quelque intelligence séparée, ni même, comme le voudraient certains augustiniens, à celle de Dieu, Soleil des esprits, Maître intérieur, Verbe, enfin, qui éclaire tout homme venant en ce monde. Et cela encore est exact, mais ce n’est pas toute la vérité. Saint Thomas a d’autant moins de scrupule à ne pas diminuer la nature que, totalement, occupée par la présence de Dieu, comme l’air l’est par la lumière, la nature ne peut être amoindrie sans qu’on fasse injure au Créateur. On ne peut rien refuser de son essence à un être que Dieu fait être ce qu’il est.

[…] L’âme intellective connaît les choses matérielles dans les raisons éternelles, mais il n’est pas besoin pour cela d’un appoint de lumière divine s’ajoutant à celle de l’intellect ; celle-ci suffit, "car la lumière intellectuelle qui est en nous, n’est rien d’autre qu’une certaine ressemblance participée de la lumière Incréée, en quoi sont contenues toutes les raisons éternelles (sc. Idées) ; d’où il est dit (Ps. 4, 7) : Beaucoup demandent "Qui nous fera voir le bonheur ?" A cette question, le Psalmiste répond en disant : "La lumière de ta face est empreinte sur nous Seigneur". C’est comme s’il disait : c’est par le sceau même de la lumière divine en nous que tout nous est démontré". Ainsi, tandis qu’il maintient la nécessité de l’expérience sensible à l’origine de toute connaissance humaine sans exception, Saint Thomas relie intimement l’intellect humain à la lumière divine elle-même. C’est parce que cette lumière (qui est l’esse divin) inclut, ou plutôt est, l’infinité des Idées divines (qui sont l’esse divin) que l’intellect agent de chaque homme, participation de la lumière divine, a le pouvoir de former les concepts intelligibles au contact du sensible. Cet intellect n’est pas la lumière divine : s’il l’était, il serait Dieu ; mais il est un effet créé de cette lumière et, sur le mode fini, il en exprime et imite l’excellence. De là son pouvoir de découvrir, dans des êtres qui sont, eux aussi, à l’image des Idées divines, les formes intelligibles dont ils participent.

[…] [Cette doctrine de l’intellection] suit d’abord Aristote, mais le véritable Aristote qui, dès le niveau de la sensation, voit se développer selon une induction ascendante, les notions de l’expérience, elle-même principe de l’art dans l’ordre du devenir et de la science dans l’ordre de l’être. Mais au-dessus de la science et ses démonstrations, il y a l’intuition des principes. Parce que les démonstrations dépendent des principes, eux-mêmes ne sont pas objets de démonstration. Ils ne démontrent pas la science, mais la science se démontre à leur lumière, et comme leur lumière est la pensée même, c’est bien l’intellect qui finalement cause la science (II Anal. II, 19, concl.). 

[…] L’univers connu de l’homme se compose désormais de choses créées à la ressemblance d’un Dieu dont l’essence, c’est-à-dire l’acte d’être, est à la fois l’origine et le modèle. L’intellect qui connaît ces choses est lui-même l’effet et l’image de ce même Dieu. Dans cette doctrine où tout est naturel dans la nature, mais où la nature est essentiellement un effet divin et une image divine, on peut dire que la nature même est sacrée. Rien de surprenant que le premier intelligible lu dans un tel réel par un tel intellect soit la notion première d’être, et qu’avec une telle origine cette notion dépasse en tous sens l’entendement qui la conçoit. 

Auteur: Gilson Etienne

Info: Introduction à la philosophie chrétienne, Vrin, 2011, pages 119 à 122

[ philosophie-théologie ] [ intuition intellectuelle ] [ naturel-surnaturel ] [ continuité ]

 

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