Venu après lui, il [Duns Scot] ne croit pas pouvoir le [Saint Thomas d’Aquin] suivre. Qu’est-ce que cet esse thomiste, qui s’ajouterait au réel pour le faire être, comme si ce qui est avait encore besoin qu’on le fasse exister ? Je ne comprends pas, dit Duns Scot. En effet, pour lui, l’être est l’essence même, et puisque l’essence est l’être, elle ne supporte aucune addition : nullum esse dicit aliquid additum essentiae. Ainsi pensent encore les scotistes. Et pourquoi les combattre ? […] Pourquoi le Scotiste accepterait-il de remplacer une notion éminemment satisfaisante pour l’esprit par une que ceux mêmes qui la proposent tiennent pour difficile à concevoir ? Sans doute, il y a des difficultés, car le réel proprement dit n’est pas l’essence, mais l’individu, et il y a dans l’individu plus que l’essence. Comment, à partir de l’essence, expliquer l’individualité ? La réponse est connue et l’école scotiste se fait souvent gloire du sens aigu de l’individuel dont elle fait preuve. Et à bon droit, mais l’heccéité n’occupe dans le scotisme une telle place que parce qu’il faut beaucoup s’efforcer pour lui en trouver une. C’est la difficulté d’expliquer l’individu à partir de sa propre notion de l’être qui a fait du scotisme une métaphysique de l’individuel. Salutaire avertissement à tant de thomistes qui confondent individuation et individualité, car si la métaphysique de l’esse n’expliquait pas l’individualité mieux encore que celle de l’essence, il y aurait lieu de la réviser. […] L’esse, qui n’est pas le principe d’individuation, est l’acte premier de toute individualité, et il est bon de s’en souvenir.
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Info: Introduction à la philosophie chrétienne, Vrin, 2011, pages 98-99
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