discours scientifique

On dira que la fécondité d’une théorie est un critère objectif. Mais ce critère joue seulement parmi celles qui sont admises. Une théorie refusée par l’opinion collective du village des savants est forcément stérile, parce qu’on ne cherche pas à en tirer des développements. C’est surtout le cas pour la physique, où les moyens mêmes de recherche et de contrôle sont un monopole aux mains d’un milieu très fermé. Si les gens ne s'étaient pas engoués pour la théorie des quanta quand Planck la lança pour la première fois, et cela quoiqu'elle fût absurde – ou peut-être parce qu'elle l'était, car on était fatigué de la raison –, on n'aurait jamais su qu'elle était féconde. Au moment où l'on s'est engoué d'elle, on ne possédait aucune donnée permettant de prévoir qu'elle le serait. Ainsi il a y un processus darwinien dans la science. Les théories poussent comme au hasard, et il y a survivance des plus aptes. Une telle science peut être une forme de l’élan vital, mais non pas une forme de la recherche de la vérité.

Le grand public même ne peut pas ignorer, et n’ignore pas, que la science, comme tout produit d’une opinion collective, est soumise à la mode. Les savants lui parlent assez souvent de théories démodées. Ce serait un scandale, si nous n’étions pas trop abrutis pour être sensibles à aucun scandale. Comment peut-on porter un respect religieux à une chose soumise à la mode ? 

Auteur: Weil Simone

Info: L'enracinement, Editions Gallimard, 1949, pages 325-326

[ arbitraire ] [ sélection ] [ enjeux humains ] [ vérités éphémères ] [ consensus irrationnel ]

 

Commentaires: 0

Ajouté à la BD par Coli Masson

Commentaires

No comments