Le phénomène moderne de l’irréligiosité du peuple s’explique presque entièrement par l’incompatibilité entre la science et la religion. Il s’est développé quand on a commencé à installer le peuple des villes dans un univers artificiel, cristallisation de la science. En Russie, la transformation a été hâtée par une propagande qui, pour déraciner la foi, s’appuyait presque entièrement sur l’esprit de la science et de la technique. Partout, après que le peuple des villes fut devenu irréligieux, le peuple des campagnes, rendu influençable par son complexe d’infériorité à l’égard des villes, a suivi, bien qu’à un degré moindre.
Du fait même de la désertion des églises par le peuple, la religion fut automatiquement située à droite, devint une chose bourgeoise, une chose de bien-pensants. Car en fait une religion instituée est bien obligée de s’appuyer sur ceux qui vont à l’église. Elle ne peut s’appuyer sur ceux qui restent dehors. Il est vrai que dès avant cette désertion, la servilité du clergé envers les pouvoirs temporels lui a fait faire des fautes graves. Mais elles auraient été réparables sans cette désertion. Si elles ont provoqué cette désertion pour une part, ce fut pour une part très petite. C’est presque uniquement la science qui a vidé les églises.
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Info: L'enracinement, Editions Gallimard, 1949, page 311
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