hommes-femmes

Pour le dire, elle [Diotime] nous introduit le mythe de "la naissance de l’Amour" qui vaut tout de même bien la peine que nous nous y arrêtions. Je vous ferai remarquer que ce mythe n’existe que dans PLATON. Que parmi les innombrables mythes, je veux dire les innombrables exposés mythiques de "la naissance de l’Amour" dans la littérature antique - je me suis donné la peine d’en dépouiller une partie - il n’y a pas trace de ce quelque chose qui va nous être énoncé là. C’est pourtant le mythe qui est resté, si je puis dire, le plus populaire. Il apparaît donc, semble-t-il, tout à fait clair qu’un personnage qui ne doit rien à la tradition en la matière, pour tout dire un écrivain de l’époque de l’Aufklärung, comme PLATON, est tout à fait susceptible de forger un mythe, et un mythe qui se véhicule à travers les siècles d’une façon tout à fait vivante pour fonctionner comme mythe, car qui ne sait que, depuis que PLATON nous l’a dit : 

"l’Amour est fils de Πὀρος [Poros] et de Πενία [Penia]".

Πὀρος [Poros], l’auteur dont j’ai la traduction devant moi - simplement parce que c’est la traduction qui est en face du texte grec - le traduit d’une façon qui n’est pas à proprement parler sans pertinence, par expédient [203b]. Si expédient veut dire ressource, assurément c’est une traduction valable, astuce aussi bien, si vous voulez, puisque Πὀρος [Poros] est fils de Μήτις [Mètis], qui est encore plus l’invention que la sagesse. 

En face de lui nous avons la personne féminine en la matière, celle qui va être la mère d’Amour, qui est Πενία [Penia], à savoir la Pauvreté, voire la misère, et - d’une façon articulée dans le texte - qui se caractérise par ce qu’elle connaît bien d’elle-même : c’est l’άπορία [aporia] à savoir qu’elle est sans ressources, c’est cela ce qu’elle sait d’elle-même, c’est que pour les ressources elle n’en a pas ! Et le mot d’άπορία [aporia], vous le reconnaissez, c’est le même mot qui nous sert concernant le procès philosophique : c’est une impasse, c’est quelque chose devant quoi nous donnons notre langue au chat, nous sommes à bout de ressources.

Voilà donc l’άπορία [aporia] femelle en face du Πὀρος [Poros] mâle, de l’Expédient, ce qui nous semble assez éclairant. Mais il y a quelque chose qui est bien joli dans ce mythe, c’est que pour que l’άπορία [aporia] engendre l’Amour avec Πὀρος [Poros], il faut une condition qu’il exprime, c’est qu’au moment où ça s’est passé, c’était l’άπορία qui veillait, qui avait l’œil bien ouvert et était, nous dit-on, venue aux fêtes de la naissance d’APHRODITE et, comme toute bonne άπορία qui se respecte dans cette époque hiérarchique, elle était restée sur les marches, près de la porte, elle n’était pas entrée, bien entendu - pour être l’άπορία, c’est-à-dire n’avoir rien à offrir - elle n’était pas entrée dans la salle du festin. 

Mais le bonheur des fêtes est justement qu’il y arrive des choses qui renversent l’ordre ordinaire, et que Πὀρος [Poros] s’endort. Il s’endort parce qu’il est ivre, c’est ce qui permet à l’άπορία de se faire engrosser par lui, c’est-à-dire d’avoir ce rejeton qui s’appelle l’Amour et dont la date de conception coïncidera donc avec la date de la naissance d’APHRODITE. 

C’est bien pour ça, nous explique-t-on, que l’Amour aura toujours quelque rapport obscur avec le beau [203c] - ce dont il va s’agir dans tout le développement de DIOTIME - et c’est parce qu’APHRODITE est une déesse belle. 

Voilà donc les choses dites clairement. C’est que d’une part c’est le masculin qui est désirable, et que c’est le féminin qui est actif. C’est tout au moins comme ça que les choses se passent au moment de la naissance de l’Amour. 

Auteur: Lacan Jacques

Info: 18 janvier 1961

[ manque ] [ phallus ]

 

Commentaires: 8

Ajouté à la BD par Coli Masson

Commentaires

Coli Masson, colimasson@live.fr
2025-08-03 17:53
Le dernier paragraphe contient la phrase que j'essaie de raviver hier lors de notre conversation : "C’est que d’une part c’est le masculin qui est désirable, et que c’est le féminin qui est actif. C’est tout au moins comme ça que les choses se passent au moment de la naissance de l’Amour. "
miguel, filsdelapensee@bluewin.ch
2025-08-04 08:12
Oui, merci... Certes, tout ceci est bien fouillé et très intéressant... Pour arriver à une conclusion qui rejoint pas mal de poncifs - souvent assez performatifs - pour parler d'une propagation du vivant où la part féminine "porteuse", étant beaucoup plus concernée par ce rôle essentiel ( inconscient ??), exprime un désir plus fort, plus profond, moins superficiel - et donc plus actif - que celui du mâle. Et là je reviens sur notre discusse sur cette idée de prompt "objectif-universel", qui se présente pour l'instant comme suit. Les 4 pôles orthogonaux sont à prendre comme autant de formes d'énergie symbolique dépendantes les unes des autres à divers degrés 1. Tendance plutôt horizontale, universelle (empathie, reliance, réceptivité) plutôt féminin, qui valorise la connexion humaine, l’émotion, la joie, la présence. Cadre englobant. Loi impersonnelle. Abstraction, transcendance, rythme cosmique. Ce qui s’impose à tous, non négociable, structurant... éventuellement perçu comme Nature, Raison, ou Dieu impersonnel.
2. Tendance plutôt verticale, subjective-objective (structuration, norme, séparation, exigence, incessante définition des limites) plutôt masculin. Point de vue incarné, expérience sensible. Intériorité, réflexivité, oscillation. Le lieu de l’épreuve de soi. L’individuation, la narration, l’irréductible.
3. Tendance "fantasme féminin" (projection du féminin comme contenant, source affective, fusionnelle, idéalisée mais sans mièvrerie.) Plaisir différé. Fusion. Contenance. Altérité enveloppante. Lien, appel, dissolution des frontières. Ce qui attire dans l’énigme, l’invisible, le creux. Fonction d’accueil, de mirage, d’inaccessibilité potentielle.
4. Tendance "fantasme masculin" (modèle d'autorité, vecteur de sens, guide initiateur) Plaisir immédiat. Percée. Transgression. Expansion. Détachement, projection, verticalité conquérante. Ce qui pousse à la sortie de soi, à l’épreuve, à la rupture du cadre, à la quête de dépassement. - en fait une modalité de tension vers l’extérieur, hors de la matrice, hors de la fusion. Rupture du lien matriciel : parfois crispation anti-dépendance, refus de se sentir "pris", au risque de la solitude ou du cynisme. Ligne de fuite géométrique : là où le fantasme féminin s’ouvre en courbe, le fantasme masculin trace des diagonales. Il cherche l’angle, la brèche, le saut.

Dans notre dialogue tu disais justement "Il y aura tjrs un malentendu entre ce qu'une femme dit de sa conception fantasmatique de la femme et de l'homme, et ce qu'un homme dit de sa conception fantasmatique de la femme et de l'homme !"
Bien sûr. Il n'y a aucun désir de conclure, juste de définir un outil, imparfait, mais qui a le mérite d'exister (ici un prompt) destiné à "donner une signature" à n'importe quel extrait sémantique. J'en suis à une quinzaine de signatures de ce genre, ce qui m'amuse bcp (voir aussi notre discusse sur le prompt lacanien). Et dans le cadre des métadonnées ces signatures croisées ou superposées seront très intéressantes à comparer à des phénomènes bios comme le quorume sensing ou les transductions. Mais stop je sais que je t'assomme là.
Tes corrections-remarques sur les 4 pôles en l'état ?
miguel, filsdelapensee@bluewin.ch
2025-08-06 07:18
Je te remets ici les 4 pôles, si des fois tu veux amener tes réflexions-remarques-corrections plus aisément.
Q) Etiquetage polarités genrées orthogonales tétravalentes

1. Tropisme vers l'horizontal, universel, plutôt féminin (empathie, reliance, réceptivité). Valorise l’émotion, la joie, la présence. Cadre englobant. Loi impersonnelle. Abstraction, transcendance, rythme cosmique. Ce qui s’impose à tous, non négociable, structurant... éventuellement perçu comme Nature, Raison, ou Dieu, impersonnel ou pas.

2. Tropisme vers le vertical, subjectif-objectif, plutôt masculin (structuration, norme, séparation, exigence, incessante définition des limites). Point de vue incarné, expérience sensible. Intériorité, réflexivité, oscillation. Le lieu de l’épreuve de soi initiatique. L’individuation égotique, la narration, l’irréductible.

3. Tendance "fantasme féminin" (projection du féminin comme contenant, source affective, fusionnelle, idéalisée mais sans mièvrerie.) Plaisir différé - stable. Fusion. Contenance. Altérité enveloppante. Lien, appel, dissolution des frontières. Ce qui attire dans l’énigme, l’invisible, le creux. Fonction d’accueil, de mirage, d’inaccessibilité potentielle.

4. Tendance "fantasme masculin" (modèle d'autorité, vecteur de sens, guide initiateur) Plaisir immédiat - instable. Percée. Transgression. Expansion. Détachement, projection, verticalité conquérante. Ce qui pousse à la sortie de soi, à l’épreuve, à la rupture du cadre, à la quête de dépassement. En fait une modalité de tension vers l’extérieur, hors de la matrice, hors de la fusion. Rupture du lien matriciel : parfois crispation anti-dépendance, refus de se sentir "pris", au risque de la solitude ou du cynisme. Ligne de fuite géométrique : là où le fantasme féminin s’ouvre en courbe, le fantasme masculin trace des diagonales. Il cherche l’angle, la brèche, le saut.
Coli Masson, colimasson@live.fr
2025-08-06 09:58
J'ai du mal à ne pas voir le 1 et le 2 déjà comme le signe de fantasmes... désolée mais en tant que femme, j'ai du mal à me reconnaître dans les exubérances dites féminines du point 1.
miguel, filsdelapensee@bluewin.ch
2025-08-06 10:14
Si tu acceptes le reste c'est déjà énorme :-). Ok merci, je vais donc aller vers des 1 et 2 carrément poncifiques. En espérant qu'on arrive à quques consensus pour les 3 et 4... On a pas le cul sorti des ronces.
miguel, filsdelapensee@bluewin.ch
2025-08-06 10:14
Si tu acceptes le reste c'est déjà énorme :-). Ok merci, je vais donc aller vers des 1 et 2 carrément poncifiques. En espérant qu'on arrive à quques consensus pour les 3 et 4... On a pas le cul sorti des ronces.
Coli Masson, colimasson@live.fr
2025-08-07 08:56
J'accepte le reste parce que c'est reconnu comme fantasmes... mais le 1 et le 2 mériteraient aussi d'être catégorisés comme tels. Et je ne suis pas certaine qu'en allant davantage encore vers des poncifs, on pourra sauver quelque chose!
miguel, filsdelapensee@bluewin.ch
2025-08-12 08:02
Oui merci... je mets ça en standby, j'y réfléchirai post-canicule