Pour Tereza, le livre était le signe de reconnaissance d’une fraternité secrète. Contre le monde de la grossièreté qui l’entourait, elle n’avait en effet qu’une seule arme : les livres qu’elle empruntait à la bibliothèque municipale ; surtout des romans : elle en lisait des tas, de Fielding à Thomas Mann. Ils lui offraient une chance d’évasion imaginaire en l’arrachant à une vie qui ne lui apportait aucune satisfaction, mais ils avaient aussi un sens pour elle en tant qu’objets : elle aimait se promener dans la rue avec des livres sous le bras. Ils étaient pour elle ce qu’était la canne élégante pour le dandy du siècle dernier. Ils la distinguaient des autres.
(La comparaison entre le livre et la canne élégante du dandy n’est pas tout à fait exacte. La canne était le signe distinctif du dandy, mais elle en faisait aussi un personnage moderne et à la mode. Le livre distinguait Tereza des autres jeunes femmes, mais en faisait un être suranné. Certes, elle était trop jeune pour pouvoir saisir ce qu’il y avait de démodé dans sa personne. Les adolescents qui se promenaient autour d’elle avec des transistors tonitruants, elle les trouvait idiots. Elle ne s’apercevait pas qu’ils étaient modernes.)
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Info: L'insoutenable légèreté de l'être, traduit du tchèque par François Kérel, éditions Gallimard, 1989, page 75
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