La longue histoire de la structure appelée par Lacan Discours Capitaliste (qui a produit le capitalisme, et non l’inverse) conduit au déni de la dimension réelle du corps. Ce refus prend aujourd’hui, entre autres tournures, l’apparence de son envers, à savoir celle d’une glorification, d'une célébration du corps, qui est en fait sa camisole.
Le déni du réel du corps, c’est inévitablement, et d’abord, le déni de la dimension de la parole, structurée par la coupure qu’elle impose au parlêtre. Il en est sexué. Sexion. Coupure. Perte. Perte de jouissance, perte de sens, impossible à dire par-dessus le marché. C’est cette minoration qui fait la marque humaine. Elle est le lieu de notre puissance, qui est une puissance de l’en-moins. Or, l’idéologie dominante fait de cette minoration une simple déconvenue. Elle lui propose des solutions et des remèdes, faisant de notre condition un problème à résoudre, ou une maladie à soigner. C’est ainsi qu’à l’insaisissable Réel du sexe est aujourd’hui substitué l’Imaginaire normatif du genre.
Le genre tel qu’il est promu par ses études est bien une tentative de suture de la coupure qui fait le sexe. Il va de soi qu’elle demeure. Car la coupure nous est première. Elle est portée par le registre signifiant, qui est un déjà-là. La discontinuité qu’il impose instaure le registre de la différence, dont nous sommes les enfants. Plus encore que la condition de notre humanité, elle est celle de notre humanisation. Car pour nous, de totalité, point. C’est notre chance. Puisque, si cette entame fait le sexe, elle fait aussi la possibilité même du corps, de sa limite, de sa distinction, d’une jouissance propre à chacun en plus d’être propre à chaque sexe.
C’est là l’erreur logique invraisemblable (et commode) qui a fait prémisse à ces études (de genre), menées par les esprits les plus célébrés (ah, les pouvoirs de la fête…). C’est aussi la promesse complaisante qu’elle fait à nos narcissismes désespérés, en pointant le mirage technologique d’une retrouvaille avec la plénitude de l’être.
Mais homme et femme sont à jamais distants de leur être. Ils n’ont pas été séparés l’un de l’autre au départ d’une unité primordiale regrettée. Ils ne sont pas complémentaires, manquants l’un de l’autre. Ils sont les deux façons irrémédiables et distinctes de pâtir de la coupure, du manque structurel qui fait les êtres humains. Homme et femme sont les deux seules modalités d’un même ratage, d’une même totalité manquée, toujours-déjà manquante. Ils sont les deux expressions de l’en-moins humain. Et ces expressions s’appellent sexes.
Le sexe est bien, chez les êtres parlants, la conséquence de l’entame signifiante qui les causent. Ils en pâtissent (en jouissent), l’un et l’autre d’une façon radicalement autre. C’est sûrement pour ça qu’avec le sexe ça ne va pas, que ça ne va jamais. Le sexe est le lieu de la différence par excellence, le lieu de l’altérité la plus radicale. "Le sexe, c’est toujours l’autre sexe, même quand on y préfère le même." (Lacan).
Le discours dominant refuse le caractère définitif et insurmontable de cette différence (sexuelle). Il la surplombe et la suture d’un "tout possible", qui est une figure du "Tout possible".
Ainsi des dites études, qui escamotent la différence des sexes au profit d’une variété de genres.
S’engouffrent dans cette offre des sujets qui attendent pour beaucoup d’être, non pas pris en charge par une idéologie de la solution, mais entendus et restaurés dans la puissance de leurs limites, qui sont celles du sexe.
Il va de soi que ce programme se soutient d’un appauvrissement des possibilités de dire. Et pour tenter d’escamoter la coupure et ses conséquences, il faut un peu plus qu'une batterie d’artifices. Il faut en passer par une sape de la dimension de la parole. Si nous reconnaissons, par la psychanalyse notamment, que la sape de la parole coïncide nécessairement avec celle du Nom-du-Père, nous ne pouvons pas nous étonner de voir certains taux de natalité décroître. La déliquescence du langage et la sape du Père ne sont pas les conséquences de cet affaiblissement. Elles en sont les moyens.
Notre fécondité et notre puissance d’insémination sont affaire de désir. La biologie n'y suffit pas.
Logos spermatikos. C’est la parole qui s’insémine.
Affaiblir la parole, c’est nuire à l’espèce.
Se reproduire, c’est, pour les humains, recevoir et transmettre, bon gré mal gré, ce principe créateur, celui de la coupure qu’a toujours déjà opéré le signifiant, celui de la coupure portée par la parole, celui de la sexion. Se reproduire, c’est, pour les humains, transmettre non le genre, mais le sexe.
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Info: Publication facebook du 23 juillet 2025
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