D’un point de vue plus général, la biologie de synthèse va si vite qu'on court-circuite les mécanismes de correction possibles. On avance sans se donner le temps d'observer et d'évaluer les conséquences. On crée une situation problématique, tout en alimentant le techno-solutionnisme. La convergence entre la biologie de synthèse et "l'intelligence artificielle", qui démultiplie les moyens, offre aux machines une puissance qui nous dépasse déjà. Je pense qu'on devrait englober dans la même réflexion, pour les contester ensemble, l'IA et la biologie de synthèse.
Jusqu’où la recherche peut-elle aller ?
Je n'ai pas vu de limites aux ambitions affichées. Il n’y a pas de limite de principe aux objectifs de la biologie de synthèse. J’en veux pour preuve la xénobiologie, ou "biologie étrangère". C'est une branche qui vise à concevoir des systèmes vivants (en général, des bactéries), qui n'existent pas dans la nature. Les xénobiologistes modifient l'alphabet du code génétique, composé de quatre bases (A, C, G, T). Ils utilisent d'autres bases, soit à la place de celles-ci, soit en plus. C'est en cours, notamment pour tenter d'améliorer l'efficacité ou la sélectivité de l'ADN.
L’autre projet de xénobiologie est la fabrication de vie "miroir", déjà évoquée par Louis Pasteur il y a plus d'un siècle. Beaucoup de molécules du vivant, notamment l'ADN, en forme d'hélice, et les protéines, sont non symétriques, non identiques à leur reflet dans un miroir (on dit qu'elles sont "chirales "). Certaines sont "droites", d’autres "gauches". L’ADN est toujours "droit". Les xénobiologistes veulent créer l’image inversée. Une bactérie ainsi transformée pourrait interagir avec ses descendants, mais pas avec les bactéries classiques. L’objectif serait de comprendre l'évolution du code génétique, et de déterminer si une évolution différente serait possible. C'est aussi pour faire des expériences de laboratoire où d'éventuelles contaminations pourraient être tracées plus facilement. Surtout, ça viserait à fabriquer à meilleur marché des molécules ayant un intérêt.
Le risque est énorme. En cas de dissémination de bactéries-miroirs robustes et dangereuses pour des plantes, des animaux ou des humains, les virus qui infectent les bactéries ne sauraient pas les combattre. On ne peut pas exclure une prolifération d’une espèce dangereuse invasive sur une échelle si grande qu'on ne pourrait pas exercer de moyen de contrôle.
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Info: Biologie de synthèse : les affres d'un chercheur, https://www.piecesetmaindoeuvre.com/IMG/pdf/graner_biologie_de_synthe_se.pdf
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