BENTHAM, comme le montre la Théorie des fictions, récemment mise en valeur dans son œuvre, est l’homme qui aborde la question au niveau du signifiant. À propos de toutes les institutions, mais dans ce qu’elles ont de foncièrement verbal, à savoir fictif, sa recherche est non pas de réduire à rien tous ces droits multiples, incohérents, contradictoires dont la jurisprudence anglaise lui donnait l’exemple, mais au contraire, à partir de l’artifice symbolique de ces termes, créateurs de textes eux aussi, de voir ce qu’il y a au total, dans tout cela, qui puisse servir à quelque chose, c’est-à-dire faire justement ce dont je vous ai parlé à l’instant, à savoir l’objet du partage.
La longue élaboration historique du problème du bien aboutit à se centrer sur la notion de ce que c’est, comment sont créés les biens, les biens en tant qu’ils s’organisent : non à partir de besoins soi-disant naturels prédéterminés, mais en tant qu’ils fournissent la matière à une répartition par rapport à quoi va commencer à s’articuler la dialectique du bien comme tel, pour autant qu’elle prend son sens effectif pour l’homme.
Les besoins d’homme se logent dans l’utile dans la partie symbolique. C’est la part prise à ce qui, du texte symbolique peut être, comme on dit, de quelque utilité. C’est pourquoi à ce stade et à ce niveau, il est bien certain, pour BENTHAM, qu’il n’y a pas de problème. Le maximum d’utilité pour le plus grand nombre, telle est bien la loi selon laquelle s’organise à ce niveau le problème de la fonction de ces biens.
Pour tout dire, à ce niveau nous sommes avant que le sujet ait passé la tête dans les trous de l’étoffe, et l’étoffe est faite pour que le plus grand nombre de sujets possible passent leur tête et leurs membres. Seulement, bien entendu, tout ce discours n’aurait pas de sens si les choses ne se mettaient pas à fonctionner autrement. C’est justement parce que, dans cette chose rare ou pas rare, mais dans cette chose produite, dans cette richesse en fin de compte - de quelque pauvreté qu’elle soit corrélative – il y a au départ autre chose que sa valeur d’usage et que son utilisation de jouissance.
Il est clair que le bien s’articule d’une façon toute différente. Le bien n’est pas au niveau de l’usage de l’étoffe, le bien est au niveau de ceci, c’est qu’un sujet peut en disposer. Le domaine du bien est la naissance du pouvoir : " Je puis le bien. " La notion de cette disposition du bien est essentielle, et si on la met au premier plan, tout vient au jour dans l’histoire de ce que signifie la revendication de l’homme - parvenu à un certain point de son histoire - à disposer de lui-même.
Ça n’est pas moi, mais FREUD, qui s’est chargé de démasquer ce que ceci veut dire dans l’affectivité historique : ceci veut dire disposer de ses biens. Et chacun sait que cette disposition ne va pas sans un certain désordre, et que ce désordre montre assez quelle est sa véritable nature. Disposer de ses biens, c’est avoir le droit d’en priver les autres. C’est bien autour de cela qu’il est inutile, je pense, que je vous fasse toucher du doigt, que c’est bien autour de cela que se joue le destin historique.
[…] Ce qui s’appelle " défendre nos biens " n’est […] qu’une seule et même chose, n’a qu’une seule et même dimension avec ceci : nous défendre à nous-mêmes d’en jouir.
La dimension du bien comme telle est celle qui dresse une muraille puissante et essentielle sur la voie de notre désir. C’est la première à laquelle nous avons, à chaque instant et toujours, affaire.
Comment nous pouvons concevoir de passer au-delà ?
Comment il faut que nous identifiions à une certaine répudiation des plus radicales un certain idéal du bien pour que nous puissions même comprendre dans quelle voie se développe notre expérience.
C’est ce que je poursuivrai pour vous la prochaine fois.
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Info: Le séminaire, tome 7 : L'éthique de la psychanalyse
Commentaires: 2
miguel
18.07.2025
très bien merci.. tu es la spécialiste, j'élague selon tes dire... et ça clarifie :-)
Coli Masson
17.07.2025
Je vois plein d'étiquettes... je sais pas trop quoi dire. Pour moi c'est assez simple, Lacan illustre simplement tout l'écart qui existe entre la dimension du désir et celle du service des biens. Il prend exemple sur Bentham et l'utilitarisme mais finalement, ce n'est pas vraiment le sujet. Le sujet c'est: défendre ses biens, c'est s'empêcher d'en jouir. La préoccupation du bien occulte la dimension du désir. Mais ce bien ne se limite pas qu'au matérialisme, ça concerne aussi le bien qu'on imagine moral. Ce n'est donc même pas seulement égoïste. A la limite peut-on faire ressortir la dialectique moi-sujet. Idem pour législation consensus, c'est pas le sujet. Paradoxe, je sais pas, à chacun de voir. Effort collectif, c'est pas le sujet non plus. péréquation sociale, pq pas si c'était l'idée de Bentham. Transgression : pourquoi ? Envie commune : je sais pas Aliénation linguistique : pourquoi ? surmoi : pourquoi ? objet a et NDP : je vois pas non plus en quoi ils ressortent particulièrement ici.