beaux-arts


Un jour, Dostoïevski lança cette phrase énigmatique : “La beauté sauvera le monde”. Qu’est-ce que c’est que cette affirmation ? Longtemps, je l’ai considérée comme de simples mots. Comment était-ce possible ? Quand, dans l’histoire sanglante, la beauté a-t-elle jamais sauvé quelqu’un de quoi que ce soit ? Ennoblie, exaltée, certes, mais qui a-t-elle sauvé ?

Il existe cependant une particularité dans l'essence de la beauté, dans le statut de l'art : la force de conviction d'une œuvre d'art véritable est absolument irréfutable et force même un cœur opposé à capituler. On peut composer un discours politique apparemment lisse et élégant, un article entêté, un programme social ou un système philosophique sur la base d'une erreur et d'un mensonge. Ce qui est caché, ce qui est déformé, ne deviendra pas immédiatement évident.

Puis un discours, un article, un programme contradictoire, une philosophie construite différemment, s'opposent – ​​tout cela avec autant d'élégance et de fluidité, et une fois de plus, cela fonctionne. C'est pourquoi de telles choses suscitent à la fois confiance et méfiance.

En vain répéter ce qui n'atteint pas le cœur.

Mais une œuvre d'art porte en elle sa propre preuve : les conceptions inventées ou exagérées ne supportent pas d'être représentées en images, elles s'effondrent toutes, paraissent chétives et pâles, et ne convainquent personne. Mais les œuvres d'art qui ont recueilli la vérité et nous l'ont présentée comme une force vive – elles nous saisissent, nous contraignent, et personne, même dans les siècles à venir, ne viendra les réfuter.

Alors peut-être que cette antique trinité de Vérité, de Bonté et de Beauté n'est pas une simple formule vide et défraîchie, comme nous le pensions à l'époque de notre jeunesse matérialiste et pleine d'assurance ? Si les cimes de ces trois arbres convergent, comme le prétendaient les érudits, mais que les tiges trop évidentes et trop directes de la Vérité et de la Bonté sont écrasées, coupées, interdites de passage, alors peut-être que les tiges fantastiques, imprévisibles et inattendues de la Beauté surgiront et s'élèveront jusqu'à cet endroit précis, accomplissant ainsi l'œuvre des trois ?

Dans ce cas, la remarque de Dostoïevski : " La beauté sauvera le monde " n’était pas une phrase anodine, mais une prophétie. Après tout, il lui était donné de voir beaucoup, c'était un homme doté d’une illumination fantastique.

Et dans ce cas, l’art, la littérature pourraient vraiment aider le monde d’aujourd’hui ?



 


Auteur: Soljenitsyne Alexandre

Info: Prononcé lors de la remise du prix Nobel de littérature en 1970

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