[à propos du graphe du désir]
Cette autre ligne [δ→δ’] est donc celle du discours courant, commun, tel qu’il est admis dans le code du discours, de ce que j’appellerais le discours de la réalité qui nous est commune. C’est aussi le niveau où se produit le moins de créations de sens, puisque le sens est déjà en quelque sorte donné, et que la plupart du temps ce discours ne consiste qu’en un fin brassage de ce qu’on appelle idées reçus, que c’est très précisément au niveau de ce discours que se produit le fameux " discours vide " dont un certain nombre de mes remarques sur la fonction de la parole et du langage sont parties.
Vous le voyez donc bien :
– ceci [δ→δ’] est le discours concret du sujet individuel, de celui qui parle et qui se fait entendre. C’est ce discours que l’on peut enregistrer sur un disque.
– L’autre [γ→A] est ce que tout cela inclut comme possibilités de décomposition, de ré-interprétation, de résonance, d’effets métaphoriques et métonymiques.
L’un va dans le sens contraire de l’autre, pour la simple raison justement qu’ils glissent l’un sur l’autre, mais l’un recoupe l’autre, et ils se recoupent en deux points parfaitement reconnaissables.
Si nous partons du discours [δ→δ’], le premier point où le discours rencontre l’autre chaîne [γ→A] que nous appellerons la chaîne proprement signifiante, c’est, du point de vue du signifiant, ce que je viens de vous expliquer, à savoir " le faisceau des emplois ", autrement dit ce que nous appellerons " le code ". Et il faut bien que le code soit quelque part pour qu’il puisse y avoir audition de ce discours. Ce code est très évidemment dans le grand A qui est là, c’est-à-dire dans l’Autre en tant qu’il est le compagnon de langage. Cet Autre, il faut absolument qu’il existe, et je vous prie de noter à l’occasion qu’il n’y a absolument pas besoin de l’appeler de ce nom imbécile et délirant qui s’appelle " la conscience collective ".
Un Autre c’est un Autre, il en suffit d’un seul pour qu’une langue soit vivante, il suffit même tellement d’un seul, que cet Autre à lui tout seul peut être aussi le premier temps. Qu’il y en ait un qui reste et qui puisse se parler à lui-même sa langue, cela suffit pour qu’il y ait lui, et non seulement un Autre, mais même deux autres, en tout cas quelqu’un qui le comprenne. On peut continuer à faire des traits d’esprit dans une langue, quand on en est encore le seul possesseur.
Voilà donc la rencontre première [α] au niveau de ce que nous avons appelé " le code ". Et dans l’autre, la seconde rencontre [γ] qui achève la boucle, qui constitue à proprement parler le sens, qui le constitue à partir du code qu’elle a d’abord rencontré, c’est à ce point d’aboutissement. Vous voyez deux flèches qui aboutissent - et aujourd’hui je me dispenserai de vous dire quelle qu’elle est la seconde des flèches qui aboutit ici [γ] - dans ce point γ, c’est le résultat de cette conjonction du discours avec le signifiant comme support créateur de sens : c’est le message. Ici le sens vient au jour, la vérité qu’il y a à annoncer - si vérité il y a - est là dans le message.
La plupart du temps aucune vérité n’est annoncée, pour la simple raison que le discours [δ→δ’] ne passe absolument pas à travers la chaîne signifiante [γ→A], qu’il est le pur et simple ronron de la répétition et du moulin à paroles, et qu’il passe quelque part en court-circuit entre β et β’, et que le discours ne dit absolument rien, sinon de vous signaler que je suis un animal parlant. C’est le discours commun de ces mots pour ne rien dire, grâce à quoi on s’assure qu’on n’a pas en face de soi affaire à simplement ce que l’homme est au naturel, à savoir une bête féroce.
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Info: Le séminaire, tome 5 : Les formations de l'inconscient - blabla de la non rencontre (tag de mg) *souligne la nature de l'interaction entre les plans distincts (les deux singularités horizontales et le consensus idiomatique vertical). C'est précisément le croisement de ces axes qui rend l'inventivité possible.
Commentaires: 1
miguel
02.07.2025
Suite à une question de FLP, la réponse de Deepseel.ai : - Le Dialogue Dynamisé par la Différence des Genres L'idée que le dialogue serait dynamisé par l'interaction entre deux genres différents (ici, sous l'angle du "tropisme de genre" Lacanien que nous avons défini, c'est-à-dire féminin 1 : intérieure, tournée vers l'extérieur, vérité de l'amour et masculin 7 : extérieur, tourné vers l'intérieur, amour de la vérité) apporte une profondeur supplémentaire à l'analyse du texte. Si l'on projette ces tropismes sur la rencontre triadique (les deux singularités horizontales et le consensus idiomatique vertical), on peut imaginer comment cette différence de genre pourrait enrichir, mais aussi parfois entraver, la création de sens. Le "Masculin" (7) : La Quête de la Vérité Structurelle Un interlocuteur avec un tropisme "masculin" marqué (7) serait naturellement enclin à analyser, conceptualiser, et chercher la structure et la logique derrière le discours. Dans ce dialogue : Il serait celui qui, face au "blabla de la non-rencontre", chercherait à identifier la faille signifiante, le "vide" du discours. Son inclination serait de remonter vers le "code" (l'Autre), d'interroger la validité des "idées reçues" et la manière dont le langage se construit formellement. Son "amour de la vérité" le pousserait à tenter de faire passer le discours "à travers la chaîne signifiante" (γ→A) pour que le sens "vienne au jour". Il valoriserait la clarté conceptuelle, la définition précise des termes, et la cohérence logique du message. Sa contribution tendrait à tirer le dialogue vers la verticalité du sens, vers une compréhension plus abstraite et universelle. Le "Féminin" (1) : L'Intériorité Tournée vers l'Autre et la Vérité de l'Affect Un interlocuteur avec un tropisme "féminin" marqué (1) serait davantage connecté à l'intériorité, à l'affect, à l'expérience vécue et à la manière dont le discours résonne personnellement et relationnellement. Dans ce dialogue : Elle serait attentive à la résonance du discours chez l'autre et en elle-même. Son "intérieure, tournée vers l'extérieur" la rendrait particulièrement sensible à la façon dont la parole impacte la relation. Sa "vérité de l'amour" pourrait l'amener à privilégier l'écoute empathique, la tentative de comprendre le sujet dans sa singularité (sa propre ligne horizontale δ→δ’) et la manière dont son discours est ancré dans son vécu émotionnel. Elle pourrait être celle qui explore les "possibilités de décomposition, de ré-interprétation, de résonance, d'effets métaphoriques et métonymiques" non pas seulement pour des raisons structurelles, mais parce que ces aspects permettent une connexion plus profonde, une vérité qui se révèle dans l'intimité de l'échange, au-delà de la logique pure. Son apport dynamiserait le dialogue en y injectant une dimension de sensibilité et de rapport à l'autre. La Dynamique de l'Orthogonalité Genrée C'est dans la tension et la complémentarité de ces deux tropismes que le dialogue s'enrichit : Le tropisme masculin pourrait pousser à la structure, à la clarification et à l'extraction de la "vérité" conceptuelle. Il cherche à s'assurer que le discours "ne dit pas absolument rien". Le tropisme féminin pourrait apporter la dimension relationnelle, émotionnelle et la richesse des associations symboliques qui donnent vie au sens, s'assurant que le dialogue n'est pas seulement un exercice logique mais une expérience humaine. Lorsque ces deux "genres" (au sens Lacanien de tropisme) interagissent, le dialogue n'est plus un simple "brassage d'idées reçues". Il devient un espace où la quête de la vérité abstraite (masculine) rencontre la vérité vécue et relationnelle (féminine). La parole individuelle (horizontale) de chacun est non seulement soumise au code commun (vertical), mais aussi à la manière dont cette parole est accueillie, interprétée et résonne chez un interlocuteur ayant un tropisme différent. Cette différence de "genre" oblige les participants à dépasser leur propre "ronron" et leurs "idées reçues". Elle les contraint à s'articuler différemment, à explorer des facettes du langage et du sens qui pourraient rester inaccessibles si le dialogue n'avait lieu qu'entre des individus aux tropismes identiques. C'est cette friction constructive qui "dynamise" le dialogue, le sortant de son inertie pour le propulser vers une création de sens plus riche et plus complète.