Per speculum in aenigmate, dit Saint Paul. Nous tous, nous nous connaissons tous dans cette même expérience, où tout à coup les frontières ont changé de bord et chaviré les habituelles perspectives ; chacun de nous a essayé sur soi, peut-être pas un jour, mais une nuit ou l'autre, la possibilité magique d'une brusque lecture transversale. Nous avons tous eu des rêves qui suivaient en nous ces chemins-là. Est-ce pour rien ? Tant d'hommes si différents, et tant de rêves si semblables ! Or le rêve n'est pas fautif, quand il nous a parlé son langage, si le matin nous l'appelons un rêve, et si nous nous empressons de l'oublier pour aller au bureau. D'ailleurs, il n'est pas du tout sûr que de seulement négliger d'y penser suffise pour qu'une chose s'oublie ; il n'est absolument pas certain que ce que nous oublions nous oublie. On devrait y songer sans trop de présomption ; c'est probablement par ce côté-là que nous arrive à peu près tout ce qui nous concerne vraiment, tout ce qui a authentiquement, personnellement, pour notre vie, de la valeur et a assez d'importance pour n'être pas soumis à notre estimation.
C'est par là que s'opère aussi, pour Novalis, le ministère religieux de la poésie : aménager en nous, en nous faisant baisser la voix, cette matrice de silence vivant qui ressemble au silence bruissant des rêves où chaque chose retrouve sa voix, ou peut-être à cet autre silence dont on rêve dans une église, où la prière, au lieu de monter de nous comme une fumée, descendrait par amour dans notre amour, ou serait aspirée en lui.
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Info: L'âme insurgée. Novalis ou la vocation d'éternité - extrait. Éditions Points, 2011 (pp. 123-124). La première édition a paru en 1977 aux éditions Phébus.
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