souvenir

"Vous vous souvenez qu’elle était belle mais ça ne signifie rien, fit courtoisement observer le camarade directeur à M. Zaturecky. Il y a beaucoup de jolies femmes ! Etait-elle grande ou petite ?

- Grande, dit M. Zaturecky.

- Etait-elle brune ou blonde ?

- Elle était blonde", répondit M. Zaturecky après une seconde d’hésitation.

Cette partie de mon récit pourrait servir de parabole sur le pouvoir de la beauté. Le jour où M. Zaturecky avait vu Klara, chez moi, il en avait été à ce point ébloui qu’il ne l’avait en fait pas vue. La beauté interposait devant ses yeux une sorte de diaphragme opaque. Diaphragme de lumière qui la dissimulait comme un voile.

Car Klara n’est ni grande ni blonde. Seule la grandeur interne de la beauté pouvait lui prêter aux yeux de M. Zaturecky l’apparence de la grandeur physique. Et la lumière qui émane de la beauté prêtait à ses cheveux l’apparence de l’or.

Quand le petit homme arriva enfin dans l’angle de la pièce où Klara, en salopette marron, se penchait, crispée, sur les pièces d’une jupe, il ne la reconnut pas. Il ne la reconnut pas car il ne l’avait jamais vue. 

Auteur: Kundera Milan

Info: Risibles amours, traduit du tchèque par François Kérel, éditions Gallimard, 1986, pages 34-35

[ fantasme ]

 

Commentaires: 2

Ajouté à la BD par Coli Masson

Commentaires

miguel, filsdelapensee@bluewin.ch
2025-01-19 01:02
femme-par-homme ?
Coli Masson, colimasson@live.fr
2025-01-20 14:25
Est-ce que c'est encore une femme quand c'est à ce point un fantasme ? il ne la reconnaît même pas d'après son souvenir !