Aujourd'hui que tout le monde est contraint, sous peine d'une condamnation par défaut pour crime de lèse-respectabilité, d'embrasser quelque profession lucrative, et d'y travailler avec quelque chose qui ressemble à de l'enthousiasme, une plainte de la partie adverse, qui, elle, se satisfait de ce qu'elle a, et revendique de rester spectatrice en goûtant le temps qui passe, sent un peu la bravade, sinon la gasconnade. Pourtant, il ne devrait pas en être ainsi. L'oisiveté, ainsi qu'on l'appelle, qui ne consiste pas à ne rien faire mais à faire beaucoup de ce qui n'est pas reconnu dans les formulaires dogmatiques de la classe dirigeante, a autant le droit de déclarer sa position que l'industrie elle-même. Il faut bien reconnaître que la présence de personnes qui refusent de participer à la grande course de handicap pour le gain des pièces de sixpenny est tout à la fois une insulte et un désenchantement pour ceux qui s'y engagent. Un brave garçon (comme nous en voyons tant) prend son courage à deux mains, vote pour les sixpence et, pour recourir à l'emphase d'un américanisme, " y va à fond ". Faut-il s'étonner de son ressentiment, tandis qu'il s'échine désespérément à casser des cailloux sur la route, s'il voit dans les prairies, non loin, des personnes allongées au frais, un mouchoir sur les oreilles et un verre à portée de la main ? Alexandre lui-même est frappé en un point très sensible par le mépris de Diogène. Où était la gloire d'avoir conquis Rome, pour ces tumultueux Barbares qui envahissaient le Sénat et trouvaient les Pères assis, silencieux, indifférents à leur victoire ? C'est en vérité une chose bien fâcheuse que de se donner toutes les peines du monde, d'escalader les sommets les plus ardus, pour découvrir au retour l'humanité indifférente à vos exploits. Voilà pourquoi les physiciens condamnent tout ce qui n'est pas la physique, les financiers ne tolèrent que superficiellement ceux qui n'entendent pas grand-chose à la Bourse, les littéraires méprisent les incultes, et les gens de toutes les professions s'allient pour dénigrer ceux qui n'en ont aucune.
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Info: Essais sur l'art de la fiction
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